Je te l’avais promis lors de notre préparation au mariage, je me l’étais rappelé en voyant tant de couples se séparer : notre couple passerait toujours en premier. Oui, mon Fabuleux, nous sommes la base de notre famille, la fragile fondation à renforcer sans faiblir pour que notre foyer tienne dans le temps. Les enfants partent, le couple reste. Nous n’étions pas censés nous laisser accaparer par notre future progéniture. Oui, nous garderions pour nous une soirée par semaine, un weekend par mois, une semaine par an. Mais voilà…
Mais voilà, elles sont arrivées.
Grâce à toi (donc oui, c’est un peu ta faute aussi) j’ai plongé mes yeux dans les leurs, et… tout a changé.
Terminée la théorie, oubliées mes certitudes, aux oubliettes mes vœux pieux.
Mon cœur a explosé en les tenant enfin dans mes bras. Ce n’est pas du tout que je t’aime moins, car je fonds toujours en te regardant, mais elles, c’est presque animal. Je pense à elles en me réveillant, je compte les heures au travail et je n’attends qu’une chose : que cette maudite aiguille tourne pour atteindre une heure décente où je pourrai, sous prétexte que la crèche ferme tôt, courir les chercher, sans que mon boss ne tique. Même la nuit, le moindre vagissement, la plus petite toux me réveille.
Elles ont envahi mon univers, elles sont devenues mon essentiel et je me suis perdue.
Toi mon Fabuleux, tu gardes le cap. Tu arrives à dormir quand elles hurlent, à regarder ton match quand elles te sourient ou pendant que tu leur donnes un biberon. Ta barbe est toujours rasée, tes vêtements toujours rangés. Tu vas peut-être un peu moins au sport mais les abdos sont là.
Tu es resté l’homme, le mari, tout en devenant le père.
Alors que moi, je suis devenue mère, j’ai oublié l’épouse et je suis en train de perdre la femme.
Moi qui était si coquette, qui adorais te séduire, qui prenais soin de moi, qui m’épanouissais dans mon boulot… Comment se fait-il qu’elle me paraisse si loin, cette femme fabuleuse, alors que notre aînée n’a pas deux ans?
J’ai l’impression de n’être qu’épuisement, que mes vêtements sont soit trop grands (ceux de grossesse), soit trop petits (ceux d’avant) et sont toujours tachés ou déchirés. La lingerie, je n’en parle même pas… Il y a bien longtemps que je ne me suis pas couchée près de toi dans autre chose qu’un pyjama oversize. Mes hormones sont toujours en folie mais les symptômes principaux sont les larmes, les colères fulgurantes et les crises de boulimie. J’ai une patience infinie pour elles, aucune pour toi. Tu m’as connue sociable, fêtarde, je suis devenue asociale et invoqué n’importe quelle excuse pour refuser les invitations. Je vois à ton regard ton incompréhension, quand je te repousse. Tu voudrais de la tendresse, toi qui aimais tant cette qualité chez moi.
J’en ai pour elles, mais plus pour toi. Je ne peux pas.
Je ne peux pas car je veux dormir mon Fabuleux. Je veux des nuits de douze heures pour réparer mes cernes, un mois dans un spa pour reprendre en main mon corps, un osthéo à domicile pour réparer mon dos, un mois d’arrêt pour refaire du sport et une cuisinière pour entreprendre ce maudit régime et perdre mes kilos de grossesse. Je veux réapprendre à m’aimer, à aimer mon corps. Je veux être reposée, détendue. Et je voudrais que tout aille très vite, comme par magie.
Je veux redevenir une femme pour redevenir ta femme.
Mais je dois être patiente avec moi-même… La même patience que celle que je te demande, mon Fabuleux. Un petit pas après l’autre, je me remets en route, guidée par cette prise de conscience : j’ai égaré ta femme en chemin. Ces trois grossesses en deux ans, nos deux merveilleuses filles et notre ange, là-haut dans le ciel, m’ont changée à jamais, mais je reste un être à multiples facettes. Il n’y a qu’à les retrouver pour, de nouveau, les faire briller.
Il a suffi d’un instant de répit pour sortir la tête de l’eau et me regarder en face.
Ce que j’ai vu de moi a causé cette petite décharge dont j’avais besoin pour cesser d’attendre un coup de baguette magique.
Non, je ne renie rien de cette femme fatiguée qui se fait passer au second plan depuis si longtemps. Je reconnais dans ses traits fatigués la marque du don qu’elle a fait d’elle-même, je lis dans son ventre mou un gage d’amour infini, dans ses cernes la preuve de son attention sans cesse tendue vers ses enfants. Cette femme est belle. Cette femme est digne d’amour. Et cette femme a envie de renouer avec toutes les autres parties d’elle-même.
Elle a besoin de retrouver son unité : mère, femme, épouse, amie.
Je ne m’en veux pas d’avoir mis toutes mes autres identités en sourdine pendant ces deux années, je crois que c’était ce qu’il fallait faire. Je jette aux orties la tentation de la culpabilité (“tu t’es laissée aller”) qui ne m’aidera en rien sauf à m’appuyer la tête sous l’eau. Et, tout en douceur, je sors du grand bassin de la maternité exclusive. L’image de la Vénus de Botticelli debout sur son coquillage me donne de la force.
Je sais que tu m’attends avec impatience sur la rive, mon Fabuleux, et je puise en cette attente la force d’aller à la recherche de ces petits morceaux de moi éparpillés par le souffle puissant de la maternité.
Cette femme qui est la tienne est aussi mère aujourd’hui. Elle est différente d’il y a deux ans, et je sais déjà que tu vas l’aimer encore plus profondément.
Ce texte nous a été transmis par Fleur, une fabuleuse maman.