« Femme au foyer » : maintenant, j’assume - Fabuleuses Au Foyer
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« Femme au foyer » : maintenant, j’assume

femme avec une veste bleue
Hélène Dumont 6 septembre 2023
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« Et vous, que faites-vous ? »

Les deux jeunes femmes se tournent vers moi. Nous sommes à un déjeuner entre amis. Elles viennent de parler de leurs différentes missions professionnelles avec un enthousiasme contagieux. J’hésite à répondre. Mon quatrième petit garçon est né il y a tout juste un an et j’ai décidé avec conviction et sérénité de rester à la maison pour profiter de mes enfants.

Pourtant, à cet instant précis, j’ai de la peine à assumer ce choix.            

« Je ne travaille pas. » Ma réponse m’arrache les cordes vocales : il est évident que même si je ne travaille pas je suis loin d’être inactive. Néanmoins, cette affirmation me renvoie une image négative de moi-même, comme un aveu de médiocrité. Que vont penser ces femmes ? Que mon boulot n’est pas assez intéressant pour avoir un bénéfice à m’évader de la maison ? Que je n’ai pas fait ma révolution féministe et que je préfère changer des couches plutôt que de faire marcher mon cerveau ? Pire, que je profite de mon mari qui se tue à la tâche pour faire tourner la maison avec un seul salaire pendant que je sifflote en faisant des tartes aux pommes ?

Je suis rentrée chez moi, l’amertume tapie au fond de l’estomac.

Je les avais sagement écoutées, j’avais approuvé leur choix, applaudi leur jeu d’équilibriste où l’univers professionnel côtoie celui de la maternité dans une alchimie savamment étudiée. Elles étaient organisées, brillantes, courageuses. Une vision binaire des femmes devenues mères m’avait alors envahie : il y avait celles qui ne travaillaient pas et celles qui travaillaient. Les femmes de la première catégorie me semblaient subir leur situation, la vie au foyer n’étant qu’une vie faute de mieux, un choix par défaut. Une vision sans nuance : tout ce que je déteste, moi qui mets un point d’honneur à défendre l’harmonie, la souplesse, la possibilité de naviguer d’un point à un autre, de revenir sur ses pas, d’évoluer. Moi qui déteste la rigidité. 

Je me suis surtout demandé pendant plusieurs jours ce qui m’avait empêché de parler de ma vie quotidienne, au foyer,

avec autant d’assurance et de joie que ces jeunes femmes quand elles évoquaient l’intérêt de leur travail. Pour quel motif m’étais-je interdit d’affirmer que j’y trouvais un avantage relationnel, émotionnel, mais aussi intellectuel, et que tout cela réuni, à ce moment-là de ma vie, m’épanouissait sincèrement ? Le problème venait de moi. 

Je ne travaillais donc pas. Pour reprendre l’expression usuelle, j’étais mère au foyer.

J’ai alors ouvert le dictionnaire pour mieux comprendre la signification de ces trois mots qui m’occupaient l’esprit. « Femme au foyer : femme, souvent mère, qui n’a pas d’activité professionnelle, chargée de la gestion du foyer ». Bien entendu, cette définition ne pouvait me convenir, me paraissant un brin désuète. Je n’avais pas toujours été mère au foyer à temps plein. Je précise à « temps plein », car finalement, quelle que soit l’amplitude horaire de notre activité professionnelle, nous devenons mère au foyer à partir du moment où nous devenons mère. C’est ainsi qu’avant d’accorder tout mon temps à l’éducation de mes enfants et au bon fonctionnement de ma maison, j’avais été mère étudiante, mère travaillant à mi-temps puis mère travaillant à temps plein. Dans chacune de ces situations, je m’étais toujours sentie responsable de la gestion de mon foyer, quel que soit le temps que j’y passais, mon investissement ou encore la répartition des tâches que nous nous donnions avec mon mari, selon les périodes que nous traversions. 

En revanche, reconnaître que je n’avais pas d’activité professionnelle me gênait.

Plus précisément, elle indiquait que je ne touchais pas de salaire et, par conséquent, que je n’avais aucune valeur économique. Par analogie, être mère au foyer me donnait l’impression que je ne valais rien du tout. Ma seule ambition était que ma maison tourne rond, que mes enfants aillent bien et que je puisse continuer de bien rire avec mon mari. Ambition ordinaire, voire insuffisante, car les jeunes femmes sympathiques que j’avais rencontrées partageaient ces aspirations, le travail, le salaire et mon admiration en plus. Et c’est bien ce « plus » qui faisait la différence, qui me poussait à m’interroger : car moi, qu’avais-je en « plus » ? Je ne rapportais rien. Pire, je perdais de l’argent, ce qui nous obligeait à suivre nos dépenses de près. Mon questionnement était compétitif, nourri par un manque de reconnaissance.

Qu’avais-je à gagner si je ne gagnais rien ?

C’est en me plongeant dans les mots d’Yvonne Knibiehler que je me suis apaisée : « (…) la définition du travail est (…) bouleversée, écrit-elle, celle que nous avons héritée du XIXe siècle ne prend en compte que le travail “productif”, elle ignore les tâches parentales, rejetées hors travail et hors salaire. Pourtant, élever un enfant, n’est-ce pas un beau travail ? Pour la mère comme pour le père ? Certes, mais reconnaître la maternité, la parentalité comme un travail pose la question du “salaire maternel”, ou “parental” : question très discutée sur le plan éthique (à juste titre), et très connotée sur le plan politique. Faudrait-il imaginer d’autres formes de reconnaissance que le salaire ? Tout est à réinventer dans ce rapport entre la vie privée et la vie publique ! »

Tout était à réinventer et c’est ce qui me plaisait. À ma façon, je me suis approprié sa réflexion.

Je me suis ainsi demandé quelle était ma vision de la femme au foyer à temps plein.

Autrement dit, si je devais écrire une fiche de poste pour m’embaucher moi-même, quel en serait le contenu ? Comment pouvais-je décrire la mission qui m’attendait ? Je me suis vue embaucher une intendante aux multiples compétences et parfaitement flexible. J’ai pris le temps de redéfinir mes horaires, ce qui m’a permis de préciser les tâches que je souhaitais prendre pleinement en charge et celles que je souhaitais déléguer à mon mari ou partager avec lui. La tentation de m’attribuer une amplitude horaire et des objectifs déraisonnables était bien présente.

Ne travaillant pas, ne rapportant pas de salaire, je me sentais obligée de compenser,

ne serait-ce que pour obtenir à ses yeux un peu de reconnaissance : « oui, je ne travaille pas, mais tu as vu tout ce que je fais ? » En réalité, ce n’était pas de sa part que je manquais de reconnaissance, mais de la mienne. Je me suis alors efforcée de rédiger une fiche de poste strictement descriptive, détaillée et réaliste comme si j’allais la publier sur Pôle emploi. Je me suis demandé quels étaient les défis que je voulais relever, les objectifs que je voulais atteindre, pourquoi et comment.

Puis, il a bien fallu penser salaire, formation continue, vacances ou RTT.

Quelle serait ma rémunération ? Combien de RTT par an ? Quelle organisation pour les vacances ? Devais-je déléguer et ouvrir ma petite entreprise à d’autres salariés, entendez un(e) baby-sitter, une aide ménagère ? J’ai aimé faire ce travail de réflexion, découvrir les espaces que j’avais envie d’investir avec énergie et ceux que je voulais préserver pour cultiver mon équilibre mental. Au fur et à mesure que ma fiche de poste se dessinait, le sens de ce que je faisais au foyer prenait corps, devenait évident. J’aurais pu effectivement employer une nounou et la rémunérer pour exécuter tout cela, mais je voulais goûter à la présence de mes enfants, être dans leur rythme. Je n’avais pas de travail au sens économique, pourtant l’activité que j’avais choisie me semblait d’une valeur inégalable, riche de diversité et de créativité. Elle avait son lot de satisfactions et de pénibilités, comme tout autre travail, mais je l’appréciais pleinement. Pour me coacher et répondre à mon désir de « formation continue », je n’ai pas hésité à rejoindre un groupe de parole pour maman qui me permettait de piocher des idées, de me former et de prendre un peu de hauteur sur ce que je vivais. 

Ma fiche de poste à moi-même a souvent évoluée, ma rémunération symbolique ou réelle aussi.

Nous avons déménagé, je suis devenue entrepreneuse, notre famille s’est agrandie… 

Ce changement radical de regard sur le fait d’être mère au foyer à temps plein, même s’il n’était pas parfait ni magique, m’aura aidée au moins sur un point : il m’aura rendu l’audace de dire que j’étais heureuse, au foyer ou non, et de parler de mes choix avec enthousiasme sans me sentir déconsidérée.   

Aux femmes devenues mères que j’accompagne aujourd’hui, je n’hésite plus à les interpeller.

Au foyer, un peu, à la folie, passionnément ou pas du tout, quelle serait leur fiche de poste ? Quelle intendante ont-elles envie de devenir ? Comment vont-elles penser leur RTT ou leur formation continue ? Quel salaire symbolique ou réel vont-elles toucher ? En cette rentrée, c’est le vœu que je formule pour chacune d’entre vous avec détermination : rédigez votre fiche de poste et embauchez-vous avec bienveillance, peu importe votre amplitude horaire !



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journal Hélène

Cet article a été écrit par :
Hélène Dumont

Après avoir suivi un parcours de Lettres et Civilisations, Hélène est devenue professeur des écoles puis conseillère conjugale et familiale. Très attachée aux problématiques de l’articulation du maternel et du féminin, elle travaille aujourd’hui en cabinet libéral au rythme de sa vie de famille : un chouette époux et 6 enfants ! Elle est l'auteure du livre Terre éclose : la sexualité au féminin.
https://www.helene-dumont-ccf.com/

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