Parmi les femmes que je reçois, certaines font le choix d’être « au foyer ».
Pour les unes, ce choix répond au désir d’offrir temps et attention à leurs enfants. Pour d’autres, c’est un choix par défaut : je pense aux femmes expatriées pour qui il est difficile de travailler dans le pays où elles vivent, ou à d’autres, qui sont guidées par le besoin de faire une pause dans leur vie professionnelle plus que par l’envie d’être avec leurs enfants.
Si les motivations varient, la réalité de la vie de mère au foyer s’avère, pour les femmes que je reçois, loin de ce qu’elles avaient imaginé.
Elles viennent à moi, dépitées, avec le constat qu’elles sont débordées.
Séverine me confie avoir choisi le congé parental pour stopper cette course infernale dans laquelle elle se sentait prise, du temps où elle travaillait : « Je ne me sentais pas en phase avec moi-même et pour moi, c’était bien ma vie professionnelle qui était l’élément perturbateur. Avec mon mari, on survolait tout, on ne vivait pas ».
Mais rapidement après le début de son congé parental, Séverine se lance dans des travaux chez elle : elle envisage de repeindre toute la maison, et d’entamer un bilan de compétences pour réfléchir à la suite de sa vie professionnelle. Au bout de trois mois, elle me contacte, éreintée : « La maison est en chantier, je crie sur les enfants qui sont dans mes pattes quand je peins une pièce, et je vois avec angoisse la fin du congé parental arriver à grands pas, sans que j’aie trouvé d’idée pour ma future vie pro ».
Séverine comprend peu à peu que le fameux « élément perturbateur » de son emploi du temps réside moins dans son activité professionnelle que dans la façon dont elle envisage sa vie. Je lui pose la question :
« Si ce temps de congé parental devait vous permettre de remplir un seul objectif, le plus important, lequel serait-il ? »
Elle répond : « De gagner en qualité de vie, c’est-à-dire de ne plus être dans la précipitation permanente, de prendre mon temps avec mes enfants, de mieux voir mon mari, de prendre du recul sur mes choix ».
Quelques mois vont être nécessaires pour parvenir à changer les habitudes prises par la famille, et arriver à un rythme dont elle soit globalement satisfaite. Cela ne veut pas dire que Séverine s’empêche de s’investir aussi dans des projets personnels durant cette période. En plus de sa présence auprès de ses filles, elle s’offrira deux courtes sessions de formation, une semaine de randonnée sans enfants, et quelques séances de bilan de compétences, le tout sans replonger dans la spirale infernale d’avant-congé.
Comment a-t-elle fait ?
À chaque projet excitant, elle s’est posé la question : « Comment vais-je pouvoir caser ce projet dans mon emploi du temps de manière à conserver mon nouveau rythme ? ».
Séverine est consciente qu’elle a besoin de stimulation, au-delà de tout ce que la vie de famille lui demande comme temps et dépense d’énergie. Elle a pu, en apprenant à connaître ses rythmes, changer de regard sur le congé parental, notamment en s’offrant à elle-même une place de choix, et en acceptant de réaliser ses projets les uns après les autres, et pas tous en même temps.
Ingrid a 5 enfants en bas âge. Elle a choisi de s’occuper de ses enfants, mais se sent débordée.
« Ma fille aînée s’oppose à moi, je suis obligée de crier pour me faire entendre. Je suis prise dans une routine infernale, je n’ai aucun temps libre et mes enfants me rendent dingue ».
Un grand malentendu existe sur le congé parental, qui repose peut-être sur le terme « congé » : il s’agit de se mettre en « congé » de son travail à l’extérieur de la famille et non en congé tout court. « Je ne supporte plus le désintérêt, parfois même le mépris que je lis dans le regard des gens quand j’annonce que je suis mère au foyer ».
Avec Ingrid, nous imaginons ce qu’elle pourrait répondre à ceux-là, comment changer les regards, et d’abord le sien.
Elle pourrait utiliser le sarcasme, ou la malice : « Je suis mère au foyer, ce qui veut dire que je passe la majeure partie de mon temps à me faire les ongles ». Mais je lui suggère d’inventer sa propre expression, comme l’a fait Julie : « Je travaille en tant que créatrice d’ambiance », ou alors « Je gère une équipe de cinq personnes dont les intérêts divergent et que je suis chargée d’accompagner pour que chacune d’entre elles développe son potentiel », ou encore : « En ce moment, je vis une phase de ma vie où je m’occupe de mes enfants et ce qui me plaît particulièrement, c’est… /ce que je découvre d’intéressant, c’est… /etc. ».
Là encore, il me semble important de redorer le blason de cette activité à ses propres yeux.
Pourquoi ne pas envisager le congé parental comme une interruption du travail à l’extérieur de la famille pour une période de travail à l’intérieur de la famille ?
En envisageant son activité comme un travail, ou comme un projet, Ingrid admet que son emploi du temps doit comporter des moments pour recharger ses batteries. Elle a identifié le manque de temps libre comme un poids qui l’empêche de rester calme avec ses enfants. Je lui dis : « Ce n’est pas parce que vous avez choisi de vous occuper des enfants que vous n’avez soudainement plus besoin de temps pour vous ressourcer. À moins que vous occuper des enfants soit une activité régénératrice pour vous ».
Je lui demande les tâches qui lui semblent les plus énergivores.
Nous identifions ensemble plusieurs points : d’abord, les conduites en voiture, qu’elle propose en pensant que c’est sa responsabilité : « Les autres mères bossent, moi je suis là pour ça ». Ensuite, elle a tendance à tout faire pour ses filles, pensant qu’en remplissant ses journées de lave-vaisselle à défaire, de lessives et d’heures de préparation des vacances scolaires, elle justifie son statut de mère au foyer :
« Si je ne fais pas ça, à quoi je sers ? ».
Avec Ingrid, nous passons plusieurs séances à mettre à plat ses motivations, ses fuites d’énergie, ses désirs, ses valeurs et sa vision de la maternité. Ce travail donnera de beaux fruits : d’abord, elle prend conscience que son choix de mère au foyer lui a permis avec succès de donner à ses enfants une qualité d’attention dont elle a cruellement manqué elle-même. Cette prise de conscience lui apporte un grand vent de liberté : « Mon statut de mère au foyer était à la fois savoureux et source de culpabilité et de malaise social. Lui donner ce sens fait que je ne le subis plus ». Ensuite, elle décide d’œuvrer à rendre ses enfants autonomes, en fonction de leurs capacités,
consciente qu’elle n’a pas à devenir « corvéable à merci » pour justifier son choix de rester au foyer :
« J’ai organisé des conduites mieux réparties, l’aînée prendra les transports en commun plus régulièrement, et puis j’ai associé mes enfants à la corvée de linge, ce qui me permet de passer plus de temps de jeu avec eux ».
Pour Ingrid comme pour Séverine, ce questionnement autour du statut de mère au foyer aura été l’occasion de s’interroger sur elles-mêmes, d’identifier les moments où elles ne se respectaient pas et de considérer ce temps comme un véritable projet, méritant d’être défini par un ou plusieurs objectifs, des moyens et des échéances. C’est bien cette démarche qui aura permis, pour chacune d’elles, d’assumer leur choix et de remettre du plaisir dans leur quotidien de mère au foyer.