Ça déborde (et ça crie) - Fabuleuses Au Foyer
Vie de famille

Ça déborde (et ça crie)

Hélène Dumont 1 décembre 2019
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Je la sens qui monte, cette petite vague de tension que je connais bien. Je la sens prendre racine dans ma fatigue, se nourrir de sommeil en retard, atteindre mes limites physiques et émotionnelles. Je la sens, tapie dans mon impatience, mon agacement et ma déception de vivre un moment pourri alors que je m’étais appliquée à organiser le contraire. 

Et voilà qu’un événement aussi anodin qu’un jouet mal rangé fait déborder le tout. Je me dis que le monde conspire contre moi. Le monde ? Mon mari et mes enfants : voici les coupables, qu’on les juge, qu’on les condamne ! Ce jouet, mal rangé, traînant au milieu du couloir et qui a bien failli me faire casser la gu…. a été placé là juste pour moi, n’est-ce pas ? 

Ça fait « POP », comme une durite qui pète.

C’en est trop. Je sens la vague s’engouffrer dans mon ras-le-bol, vriller d’un mouvement quasi électrique du fond de mes tripes jusque dans ma gorge et s’échapper dans un cri. Mon cri. Je crie. 

Je ne saurais pas exactement vous le traduire avec des lettres : « AAAH*!§ ARRG !! C’est quoi ce µ*!§ ! J’en ai marre de vos **!§§ d’affaires qui traînent ! » Les enfants se figent, stupéfaits : 

« Mais pourquoi tu cries ? »

Comment vous expliquer ? C’était justement LA phrase à ne pas prononcer. À ne pas dire. L’effet est radical.

Ils se foutent de moi ?

Je crie un peu plus fort et déblatère un peu plus vite. En comparaison, le capitaine Haddock n’a qu’à bien se tenir. D’ailleurs, je ne sais plus trop ce que je dis. Ma rancœur, ma fatigue et mon « trop plein » de ces derniers jours se déversent à la figure de ce petit monde qui semble ne rien y comprendre. Agacée par ce manque d’empathie, je ramasse le traiN coupable et le balance dans la chambre, tourne les talons et m’enferme dans la cuisine. 

Il y a quelques années, quand mes garçons étaient plus jeunes, chacun se levait et filait doux. Mon cri faisait un effet « boeuf ». Comme par magie, chacun faisait ce qu’il avait à faire, devoirs, bains, rangement. Plus de disputes magistrales autour d’un vulgaire Lego, pas besoin de répéter dix fois les choses pour que le train-train familial avance, et finalement la journée se terminait bien. 

Oui mais…

… au fond de moi, je n’aime pas crier. J’ai même horreur de ça. Personne n’aime crier d’ailleurs. Enfin, je crois. Je n’ai jamais croisé d’homme ou de femme en cabinet me disant : « Crier ? Oh si ! Moi j’addôôôre ! Je crie dès que je peux ! » 

Quand je crie, j’ai l’impression de devenir un mauvaise mère au regard de la tendance actuelle :

« Surtout, ne criez pas, c’est mauvais pour leur santé mentale ! »

J’exagère à peine, c’est un peu ça. Le résultat est immédiat : la culpabilité pointe le bout de son nez et me fait de l’œil. 

Plus profondément, c’est l’effet de mes cris sur mon entourage que je déteste. Si mes enfants se tenaient à carreau, c’est parce que cet éclat de colère leur fichait la trouille ; parfois, leur surprise était telle qu’ils ne pouvaient s’empêcher de rire, comme pour palier au stress de ne pas comprendre ce qu’il se passait. Pour être tout à fait précise, je pense que chacun comprenait mon désaccord, mais qu’aucun ne saisissait l’ampleur du débordement. Parce que dans leur tripes, ils ne pouvaient pas sentir la vague venir. Évidement, c’était la mienne. Sa source, d’ailleurs, pouvait venir d’un tout autre évènement.

Oui, c’était ma vague, mon cri.

L’expression vitale et brute d’un désir que ça cesse et que l’on pourrait traduire par « Stop ». Un énorme « STOP ». L’expression capitale de notre exaspération à ne pas être entendue ou comprise. Un revirement presque animal pour me ressaisir dans mon cadre intérieur bousculé par le ballottement de mon cadre extérieur : à la maison, il y a des règles pour que chacun ait sa place et puisse évoluer avec la considération dont il a besoin. Une sorte d’hygiène de vie assez souple pour que notre petite communauté familiale puisse fonctionner paisiblement, mais nécessaire pour que ça tourne sans que ce soit le « foutoir » en permanence. 

Souvent, l’élément déclencheur du cri est une anicroche banale nichée dans un quotidien familial et répétitif, parfois dense, ce qui la rend épuisante, comme « hors » des limites : 

  • Un enfant qui se roule par terre pour la énième fois ;
  • Un couvert mis n’importe comment ;
  • Une pièce en bazar alors qu’on venait tout juste de la ranger, un aspirateur coincé en bas des escaliers, le manche entravant le passage des premières marches ;
  • Des petits pois écrasés sur le carrelage, des crottes de nez sur les poignées de porte ;
  • Un départ à l’école en retard où tout le monde court. 
  • Le petit orteil de pied qui se prend le coin du lit…

Une accumulation.

On maudirait la terre entière. 

La vie de famille est ainsi truffée de situations épuisantes, surprenantes, de paroles répétitives, d’imprévus en cascade, de rappels, de redites. Normal, il s’agit de pâte humaine, et paradoxalement, c’est ce qui fait sa joie. Mais il n’en reste pas moins que cela peut devenir désolant. 

Alors on crie, parce qu’on voudrait du temps pour soi.

  • Pour se poser trente secondes.
  • Pour appuyer sur le bouton pause juste 24h.
  • Pour apprécier une maison calme 48h.
  • Pour ne pas se sentir morcelée par les sollicitations de chacun.
  • Pour dire que l’on a besoin d’être respectée. 

Ainsi, le cri est un révélateur : un petit signal rouge transmetteur de message. Il nous invite à nous poser un instant pour l’écouter réellement. Il vient nous dire que nous avons besoin :

  • d’exprimer nos limites, nos besoins et nos attentes de façon plus claire à notre entourage ;
  • de prendre du temps pour nous ressourcer, nous réunifier et goûter au silence ;
  • de dormir profondément, et pourquoi pas dans les bras de notre homme ;
  • de prendre en compte notre vulnérabilité ;
  • d’accepter de ne pas être une mère vaillante sur tous les combats et de choisir nos batailles éducatives ;
  • de dire « stop » avant qu’il ne soit trop tard ;
  • de prioriser ;

Chère fabuleuse…

quels sont les messages qui te sont adressés par tes cris ?

Peux-tu les lister ? Tu ne changeras pas ta vie et tes habitudes du jour au lendemain, mais en tâtonnant, en essayant avec indulgence. Cette prise de conscience est déjà un pas considérable.

Et si vraiment l’envie de crier te manquait, je te propose alors de le faire à pleins poumons, de façon régulière, afin de te défouler et d’évacuer tes tensions par la voix. Mais, de grâce, afin que ton entourage ne te prenne pas pour une folle, ait la sagesse d’attendre d’être seule !

Prends le temps de crier, sans culpabilité, afin d’exorciser tes pulsions maternelles meurtrières.… 

Et un jour, tu verras, ton cri sera un cri de joie !



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Cet article a été écrit par :
Hélène Dumont

Après avoir suivi un parcours de Lettres et Civilisations, Hélène est devenue professeur des écoles puis conseillère conjugale et familiale. Très attachée aux problématiques de l’articulation du maternel et du féminin, elle travaille aujourd’hui en cabinet libéral au rythme de sa vie de famille : un chouette époux et 6 enfants ! Elle est l'auteure du livre Terre éclose : la sexualité au féminin.
https://www.helene-dumont-ccf.com/

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