C’était il y a 2 ou 3 ans. J’étais en direct à l’antenne d’une radio nationale : on m’avait invitée pour commenter une émission sur les femmes au foyer. La présentatrice venait de donner la parole aux auditeurs : plusieurs mères (et pères) racontaient leur quotidien et expliquaient leur choix de rester à la maison pour se consacrer à leur famille.
Tout à coup, une auditrice hyper agressive a lâché avec condescendance :
« Le matin à pas d’heure, je les vois partir, mes voisines. Elles déposent leurs enfants à la crèche dans la nuit et dans le froid. C’est vraiment malheureux. Je les plains. »
Eh merde. J’étais ultra mal à l’aise mais c’était trop tard : les hostilités étaient lancées.
« C’est moi qui vous plains d’être enfermée dans votre foyer », a rétorqué une auditrice excédée.
Il est toujours plus facile de faire de la peine aux autres, plutôt que de ressentir sa propre vulnérabilité. Alors pour justifier ses choix, on se permet de condamner ceux des autres. Et pour ne pas avoir l’air trop mesquine, on déguise nos jugements en fausse compassion :
« La pauvre. Je la plains. »
Pour faire passer la pilule de l’injonction, on brandit l’argument imparable : celui du bonheur. « Je vais te dicter la vie que tu devrais avoir. Mais t’inquiète, c’est pour ton bonheur ! »
Dans ce studio parisien, je me tortillais sur mon tabouret et attendant mon tour de parole.
J’avais envie de hurler dans mon micro :
« Tu sais, ta voisine qui installe ses enfants dans la voiture à 7h du matin, elle n’est peut-être pas aussi malheureuse que tu le crois — que ça t’arrangerait de le croire. Et ta voisine qui a quitté son job pour se consacrer à son foyer, elle n’est peut-être pas aussi malheureuse que tu le crois — que ça t’arrangerait de le croire. »
L’injonction au bonheur, c’est aussi l’injonction à bâtir sa vie selon certains critères qui, d’après les bien-pensants qui nous entourent, devraient nous rendre heureuse à tous les coups.
Alors lorsque j’ai imaginé le nouveau mook des Fabuleuses, j’ai eu envie de donner la parole à des femmes dont le bonheur ne ressemble pas à ce qui est attendu d’elles. Des femmes qui construisent leur vie exactement là où ce n’était pas prévu. Et qui assument leurs choix courageux, malgré le sentiment de vulnérabilité qui va avec, et peu importe ce que les autres en pensent.
En clair :
« Tu la trouves pourrie, ma vie ? Ben moi, je la kiffe. »
C’est le cas de Rebecca Dernelle Fischer, qui raconte qu’elle est souvent dans la lune voire carrément à côté de la plaque : « La soeur de mister Bean, c’est moi 😂 Mais si les gens pensent qu’on ne peut pas être heureuse sans être mince, organisée, adulte et posée… eh bien ils se trompent parce que moi, j’aime ça ! »
Au fil des pages, on trouve également le témoignage de Marie Chetrit, qui raconte son divorce. En voici un extrait :
« Mes parents formaient le couple parfait. Ils étaient l’incarnation de l’unité, du bloc parental indivisible. (…) Et puis mon couple s’est dégradé. Tellement que j’ai dû renoncer à mon conte de fées. Divorcer a été une transgression majeure. Dans les couples de mon entourage, la vie n’avait pas toujours été rose, mais jamais aucune rupture irrémédiable n’avait eu lieu. J’avais échoué là où mes parents avaient réussi haut la main. »
Peu à peu, Marie s’est détachée du modèle de bonheur qu’elle avait reçu en héritage :
« Mes parents ont vécu ce qui était bon pour eux de vivre, ce qu’ils pouvaient vivre, de la manière la mieux adaptée à leur histoire. J’ai compris que la mienne m’avait aidée à mûrir, à grandir, à résoudre certaines difficultés. »
Parmi mes invitées, il y a aussi Florence Servan-Schreiber, “professeure de bonheur”, à qui j’ai demandé comment se défaire de cette pression extérieure, qui voudrait que notre bonheur rentre dans telle ou telle case. Florence m’a expliqué qu’elle a précisément besoin d’être un peu rebelle pour être heureuse :
« Si je peux faire le contraire de ce qu’on me demande, alors je ressens beaucoup plus de satisfaction. C’est toujours en faisant ce que l’on attendait pas de moi que j’ai créé mes plus grands bonheurs ! »
Tu l’as compris : dans le nouveau mook des Fabuleuses, nous t’embarquons avec nous dans une exploration du bonheur version libérée… en faisant un bras d’honneur aux injonctions extérieures 🙂
Chère Fabuleuse, ton bonheur n’appartient qu’à toi. Et tant pis s’il ne ressemble pas à ce que d’autres attendent de toi !