Comme toutes les Fabuleuses, j’ai traversé dans ma vie des étapes moins fastes que d’autres, des années difficiles, des plans foireux et des moments de découragement.
Dans ces moments-là je me suis fait « aider », comme on dit pudiquement. Parce que j’avais décidé que le meilleur investissement à faire n’était ni dans un iPhone, ni dans une robe Tara Jarmon, mais que c’était bien en moi que je devais investir.
Donc, la personne qui « m’aidait » (ma psy, pour appeler un chat, un chat) m’a dit un jour :
« Fondamentalement, je ne peux rien pour toi ».
Cela m’avait un peu chamboulée, moi qui me sentais perdue, minuscule,
et qui attendais tout d’elle, comme si elle était le génie de liberté, place la Bastille qui s’envole dans le ciel, perché tout là-haut sur sa colonne. Et pourtant, avec le temps, j’ai compris qu’elle avait raison.
Pendant longtemps, je me suis sentie tellement nulle que je me croyais sincèrement incapable d’autre chose que de subir ma vie. Si je devais me comparer à un animal, alors j’étais un petit lapin affolé pris dans la lumière des phares. C’est mignon, un petit lapin. Mais le plus souvent, le destin d’un petit lapin est de finir aplati sur le bord de la route ou croqué par un renard. Mieux vaut essayer de devenir, non pas un lion, mais au moins un « Super Lapin » très malin qui court très vite et ne se met pas en danger, ni sur les routes, ni sous le museau d’un renard.
Une grande partie de mon chemin a consisté à accepter l’idée que j’étais capable, pas si nulle que ça, dotée de compétences et de ressources déjà présentes en moi.
Si je devais décomposer les étapes qui m’ont amenée à sortir de l’impuissance, je dirais que :
- La première a été de me plaindre
- La deuxième de sortir de ma plainte
- La troisième, d’accepter les signes de reconnaissance que mon entourage me donnait
- La quatrième, de décider que je valais la peine, et d’investir sur moi
- Et alors, « Super Lapin » a pu s’envoler !
Exprimer sa plainte
Quand on va mal, on a besoin de se plaindre pour se faire réconforter et vider son gros sac de chagrin. On se montre vulnérable, ce qui suscite la tendresse de celui qui écoute. Une maman ne dira pas à son enfant qui est tombé à vélo :
« Tu es bien gentil, mais je n’ai pas fini de lire cette passionnante revue féminine, cesse de m’importuner avec tes gémissements ! »
Non, son enfant, elle le console, elle le dorlote, elle l’écoute raconter le gros malheur qui vient de lui arriver.
Sortir de la plainte
Juste après, il est prêt pour repartir sur son vélo ! Et moi, adulte, c’est à ce moment-là que je dois sortir de ma plainte pour avancer.
Et c’est là qu’est le piège : quand on est adulte (les enfants ne font jamais cela), il arrive que l’on s’installe dans le « scénario Cosette », autrement appelé le scénario de la plainte continuelle.
« Comme je suis malheureuse, je suis si malheureuse, tellement malheureuse que je ne pourrai rien faire de ma vie, jamais, je n’en suis pas capable ! »
Et je finis par tirer un bénéfice de cette plainte dans laquelle je me tourne et me retourne comme un chien dans son panier, crasseux et plein de puces, certes, mais tout de même confortable : le bénéfice, c’est de m’apitoyer sur moi-même et d’exister par la profondeur de mon malheur, qui devient une sorte de doudou malsain qui ne m’aide ni à aller mieux, ni à grandir.
Le problème avec le « scénario Cosette », c’est qu’il m’enferme dans un rôle de victime.
Je suis victime de la vie,
de mon conjoint, de mon ex-conjoint, de mon boss, du monde entier… Le scénario Cosette finit tenir mes amis à distance.
En effet, une fois que j’ai vidé le fond du sac de ma tristesse, on s’attendrait à ce que je sois soulagée et que je rebondisse. Mais dans le scénario Cosette, je ne rebondis pas du tout : je reste posée là, sur le bord du chemin. Mes amis s’épuisent à me réconforter, se découragent, tentent encore un peu, pour finir par laisser tomber. Je m’enferme, je m’isole, et cet isolement vient conforter et amplifier ma plainte. Et rebelote, me voilà seule avec ma tristesse et mon mal-être, puisque j’ai décidé de toute façon de ne saisir aucune main qui voulait me tirer vers le haut.
Recevoir les signes de reconnaissance
Pour ne pas s’enfermer dans le scénario Cosette, un pas important consiste à accueillir les signes de reconnaissance de mon entourage, à les écouter vraiment.
Mon mari me dit :
« Tu es vraiment courageuse, de t’occuper des enfants comme cela / de mener de front ton travail et notre famille ».
Est-ce que j’accueille vraiment ce qu’il me dit ? Est-ce que je laisse ses paroles, non pas se poser sur les couches superficielles de mon cerveau, mais descendre et pénétrer jusqu’à mon cœur ?
Si je suis en conflit avec mon conjoint, ces signes de reconnaissance peuvent m’être donnés par mes proches :
- Ma copine qui me dit « Tu es vraiment une super maman, je t’admire »
- Mon enfant qui me dit « Maman, ton gâteau d’hier était trop bon, j’aime faire la cuisine avec toi »
- Mes collègues qui me félicitent « J’ai vraiment aimé ta présentation d’hier, c’était très intéressant »
- Etc…
Tout est bon à prendre,
pourvu que je l’intègre vraiment, que je l’entende vraiment. Pendant longtemps, j’ai eu tendance à écouter distraitement ce genre de retour en les balayant du revers de la main, en pensant en moi-même :
« Ouais, mais c’est de la politesse, il/elle n’en pense pas un mot »
Je ne me saisissais pas de cette « nourriture » psychique. Donc, désormais, quand quelqu’un me dit une phrase gentille, positive, réconfortante, JE LA PRENDS et je fais taire en moi la petite voix qui, telle Dalida, chantonne « Parole, parole, parole… »
Décider que « je le vaux bien » et investir sur moi
Une fois que je me suis requinquée avec ces paroles positives qui m’aident à restaurer mon ego, la dernière étape est de décider que je vais investir sur moi, le « moi profond », c’est-à-dire tout ce qui fait mon être et ma personnalité.
Je suis parfois fascinée de voir tout ce que certaines femmes ont le courage et la persévérance de faire pour améliorer ou préserver leur apparence : passer du temps à se faire belle le matin ; choisir leurs vêtements avec soin ; dépenser de l’argent régulièrement pour leur coloration ; faire l’effort de se rendre dans un club de sport…
Loin de moi l’idée d’opposer ces femmes aux autres, mais j’aimerais tant que l’on ose investir autant de temps, d’argent et d’énergie pour son bien-être psychique que certaines osent le faire pour leur apparence physique.
Car entreprendre une thérapie représente un coût indéniable.
Mais après tout, pourquoi ne pas décider que c’est un budget à part, prioritaire par rapport à d’autres ? J’ai mangé beaucoup de pâtes pour financer ma thérapie. Pendant de longs mois, j’ai arrêté le shopping et j’ai porté mes vêtements jusqu’à leur mort naturelle. J’ai fait des cadeaux modestes à mes proches pour Noël.
Mon choix, le voici : déclarer que j’étais ma propre priorité, me replacer au centre, sans culpabiliser.
Mais ce qui est sûr, c’est qu’après ces années de travail sur moi, des années exaltantes, douloureuses, perturbantes parfois, mais motivantes toujours, je suis devenue – à ma modeste échelle – un Super Lapin : je ne me jette plus sous les roues des voitures, et j’ai appris à renifler les renards de loin.
Tout ça grâce à qui ? Eh bien, ça aussi, j’ai appris à le dire et à le reconnaître : tout ça, grâce à moi !