Sauvetage Provençal - Épisode 2  - Fabuleuses Au Foyer
Vie de famille

Sauvetage Provençal – Épisode 2 

femme dans un champ de lavande
Agathe Portail 26 juillet 2023
Partager
l'article sur


Mission accomplie

Pour bloquer cette cascade de pensées polluantes, je prends une grande inspiration.

L’air embaume le thym et la pierre à fusil, enfin j’imagine, vu que je n’ai pas de fusil. Mais enfin, cette odeur minérale à la fois crayeuse et piquante. Voilà, ça sent un peu le nuage qui se disperse lentement après l’explosion d’un feu d’artifice. Pas une once d’humidité. J’en ai la gorge sèche. Tiens, j’ai oublié de remplir ma gourde. Même par 15 degrés, dans ce pays rocailleux, c’est une étourderie qu’il vaut mieux éviter. J’allonge un peu le pas, comme si cette toute petite ration d’eau créait une sortie d’urgence. Pourtant je suis partie il y a moins d’une heure, je ne risque tout de même pas la déshydratation. Devrais-je faire demi-tour ? Oh et puis non, la boucle sera à peine plus longue que de revenir sur mes pas.

Gauche, droite, gauche, comme je l’ai prévu sur la carte du gîte.

C’est alors qu’une saignée vert vif se dessine entre deux gros rochers, un peu plus loin vers l’Est. S’agirait-il d’une de ces sources dont Pagnol parle comme d’un miracle ? Est-ce que je peux prendre le risque d’y remplir ma gourde ? Il me semble que le pays ne soit pas particulièrement agricole. Pas de risque de contamination chimique de l’eau, donc. Est-ce que je réfléchis comme une citadine, qui, sous prétexte qu’elle ne voit aucune cheminée d’usine, se croit en terre vierge ? Je souris. Les garçons ne me rateront pas, sur ce coup-là. Ils sont bien prompts à pointer mes erreurs, mais la plupart du temps ils le font avec un humour piquant qui me réjouit. Ce n’est jamais très méchant. 

Poussée par une espèce d’inquiétude pour mon hydratation

et, aussi, par la curiosité de découvrir ce paysage humide qui tranche si puissamment avec l’environnement dans lequel je marche depuis trois heures maintenant, je bifurque. 

Que c’est beau ! La lumière qui tombe projette sur les parois des gorges une lumière entre le doré et le mauve. J’aperçois un nuage de moucherons au-dessus d’un bosquet, qui accroche la lumière comme une gerbe de paillettes. Oui, il y a bien de l’eau ici, tout mon corps assoiffé le devine. Je m’approche sur la pointe des pieds, tout émoustillée à l’idée de surprendre une jolie bête s’abreuver entre les touffes de menthe et de bourrache dont les arômes montent jusqu’à moi. Une nuée d’oiseaux s’envolent quand un gros caillou rond roule sous mon pied. C’est un jaillissement d’ocre et de vert vif, je crois d’ailleurs reconnaître un couple de loriots. Mais mon émerveillement ne dure qu’une seconde, au terme de laquelle un grand crac me ramène sur terre.

C’est ma cheville, qui vient de lâcher. Je m’écroule sur le sol.

Idiote, idiote qui ne regarde pas où elle met les pieds ! Plus forte encore que la douleur, cette voix méchante me remplit toute entière. La pensée de mes deux gars qui ne se doutent pas un instant de ma fâcheuse posture me ramène quelques années en arrière, quand Jean avait mis le pied dans un regard en béton dont quelqu’un avait retiré le couvercle. Il s’était durement cogné le tibia. Est-ce que je l’avais incendié ? Traité de petit imbécile ? Pas du tout. Je l’avais pris dans mes bras, j’avais demandé à Louis d’aller chercher de la glace, je l’avais bercé tout doucement pour calmer ses sanglots. Réveillée par ce souvenir, une voix douce s’élève alors :

Allez ma grande, t’inquiète pas. On va mettre cette cheville dans l’eau fraîche. Courage, c’est à deux pas. On y va sur les fesses, tu vas y arriver. Oui, je sais, ça fait un mal de chien.

Être douce avec moi me fait du bien,

et mieux, me donne du nerf pour aller plonger mon pied dans l’eau glacée qui chantonne un peu plus bas. Que ce filet d’eau me fait du bien ! Deux minutes auparavant, j’allais tourner de l’œil sous l’effet de la douleur, et me voilà le visage levé vers le ciel qui se teinte d’indigo, pour remercier les étoiles de m’avoir amenée là. Bain de pied royal, environnée d’aromates et de jolis oiseaux. Bizarrement je n’ai pas peur. Si je devais passer la nuit ici, je n’en mourrais pas. La pierre est encore tiède, mon gilet me protégera un peu. 

Alors que je souris, confiante et un peu béate, dirait Jean,

j’entends un appel qui rebondit sur les parois de calcaire.

– Maaaamaaaaaaannnnnn !

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Mes deux petits hommes sont partis à ma recherche. Ils ont trouvé le temps long, finalement, sans moi. À moins qu’ils ne s’inquiètent pour leur barbecue, ces deux estomacs sur patte. Mais peu importe, ils me cherchent, ils sont sortis de leur fauteuil, leurs grandes pattes maladroites gravissent le même sentier que moi et, avec un peu de chance, ils ont l’idée d’apprécier le paysage à la lumière du soir. Pour ne pas laisser leur inquiétude s’étirer au delà du raisonnable, j’ouvre la bouche et je projette ma voix en direction du chemin par lequel je suis arrivée :

– Je suis là ! Par iciiii mes chéris !

Pour lire l’épisode 1 « Randonnée solo », c’est ici !

PS. Sais-tu que tu peux retrouver cette histoire lue sur le podcast « Fabuleuses histoires », disponible sur toutes les plateformes, ou sur notre chaîne Youtube ?



Partager
l'article sur




Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

https://www.fnac.com/ia9173370/Agathe-Portail

> Plus d'articles du même auteur
Les articles
similaires
Les Quatre sœurs-Noël, épisode 5 : Tout est bien…
Quand le cadeau des beaux-parents s'enfuit, qu'un bébé de plus s'annonce, que les cultures familiales se télescopent et que le[...]
Les Quatre sœurs-Noël, épisode 4 : Noël sous les cocotiers
Quand le cadeau des beaux-parents s'enfuit, qu'un bébé de plus s'annonce, que les cultures familiales se télescopent et que le[...]
Les Quatre sœurs-Noël, épisode 3 : Lutin surprise
Quand le cadeau des beaux-parents s'enfuit, qu'un bébé de plus s'annonce, que les cultures familiales se télescopent et que le[...]
Conception et réalisation : Progressif Media