Pour une sexualité ordinaire - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Pour une sexualité ordinaire

couple amoureux
Hélène Dumont 3 décembre 2023
Partager
l'article sur


« Ses mains se faufilent sous les pans de ma chemise de nuit, il me caresse le dos. Je connais le scénario par cœur. Ensuite, il prolongera son geste en allant sur mes fesses. » Aussi inattendue que soit l’émergence de la caresse, car on ne sait pas toujours quand elle va survenir, elle est somme toute le plus souvent ordinaire : quand elle surgit, elle est là, identique à celle de l’autre fois

Si l’effet de récurrence n’est pas vécu chez tous les couples, il existe le plus souvent chez ceux qui ont choisi de vivre à deux le temps long de l’engagement.

Le répétitif s’incruste dans le quotidien, jusque dans la sève de son intimité. Doit-on s’en plaindre ? C’est une question de fond qui interroge les couples sur les idées qu’ils se font d’une sexualité dite « normale » et donc sur leurs attentes. Est-il possible que cette sexualité soit « ordinaire », à l’image de cette caresse, si imprévisiblement prévisible ?

Nombre de personnes que je reçois revendiquent, malgré elles, la norme d’une entente érotique qui serait basée sur l’alignement du désir sexuel : au niveau de la fréquence, comme au niveau de la complicité ou de la qualité. Si je les reçois, c’est que cette supposée synchronie, désirée et fantasmée, n’est pas au rendez-vous ; à chaque fois elle est décevante et, bien souvent, source de dispute

À les écouter, cette alliance (fréquence, complicité, qualité) serait essentielle :

elle confirmerait que le couple va bien. Pour faire durer son couple, il faudrait non seulement faire l’amour régulièrement, mais plus encore le faire « comme il faut », selon un certain nombre de critères glanés ici ou là au gré des magazines ou des discussions. De là à penser que l’entente sexuelle est une obligation, nécessitant un savoir-faire, de la créativité et beaucoup de temps, il n’y a qu’un pas. C’est bien de cela qu’il s’agit quand nous discutons. La sexualité plan-plan, un peu mollassonne, en régularité comme en complicité, celle dont le scénario ne varie guère, parce que l’on a la flemme, celle qui s’exécute en 5 minutes top chrono, juste après la douche et juste avant de dormir, cette sexualité-là, non, n’a pas le vent en poupe. 

Pourtant, il me paraît urgent de rappeler combien la sexualité ordinaire a, elle aussi, ses lettres de noblesse,

afin de remettre un peu d’érotisme dans la banalité de nos assiettes à soupe. La sexualité n’est pas uniquement le combo parfait d’une série de préliminaires (« parce que « ça saoule » et parce qu’on a le droit d’en être saoulé »), d’une recherche de communion parfaite (« oui, parfois on pense à autre chose tout en le faisant et ce n’est pas forcément grave »), d’une pénétration longue, source de connexion (« parfois on a simplement envie que ça aille vite »), d’un orgasme aux multiples paillettes (« parfois ça fait flop, parfois on ne le recherche pas non plus »), et d’un moment postlude hyper romantique (« Tu ne veux pas qu’on se décolle un peu ? »), d’une sexualité un peu moins émotionnelle (« la pulsion, c’est bien aussi, non ? »), sans forcément tomber dans le « on se décharge un point c’est tout »

La sexualité ordinaire, c’est la sexualité de la vraie vie.

Celle, vite fait bien fait, entre 14h et 14h15 le dimanche après-midi après avoir scotché les enfants devant « C’est pas sorcier ». « Autant qu’ils s’instruisent pendant qu’on batifole », me disent les couples les plus scrupuleux. La sexualité ordinaire, c’est celle qui s’exécute « rapidos » entre 22h30 et 22h40 parce que « sinon franchement on ne le fait jamais ».  

Oui, la sexualité ordinaire, c’est celle d’un couple qui se voit au quotidien,

qui s’oublie même parfois, celle qui se noie dans le panier de linge salle, qui se perd dans la to-do-list, celle que l’on vit, imparfaite, pas toujours glamour, ni même érotique, oui, mais : celle-ci, qui a au moins le mérite d’exister, de se chercher, de se dire. N’est-ce pas essentiel ?

Une femme qui avait commencé à lire Le slow sex s’était exclamée, découragée : « J’ai parcouru les deux premiers chapitres, puis j’ai décroché. Je n’y arriverai jamais, je ne sais même pas si ça m’intéresse. » En réalité, il n’y a pas une seule façon de faire l’amour. Les pistes de réflexion que nous pouvons trouver sont à envisager comme des outils. Et, comme, n’importe quels outils, nous sommes libres de les interroger : sont-ils adaptés à notre personnalité ? Est-ce vraiment ça que je veux vivre ? 

La sexualité ordinaire, en définitive, c’est un peu comme un plat de nouilles.

Les nouilles, ça fait toujours plaisir, ça se réchauffe volontiers, ça dépanne, et puis, on peut imaginer des variantes : de l’emmental râpé le lundi, un coulis de tomate le mercredi, du pesto le vendredi. Pour les jours de folle gourmandise, on tentera le gratin ou les spaghetti bolognaise et tout le monde sera content. Bref, les nouilles, en 12 minutes, c’est fait. Ça régale quand on a faim, et pas de surprise : on sait à quoi s’attendre. 

En revanche, qu’il est bon certains jours de sortir la belle nappe, les assiettes de grand-mère, de réchauffer la blanquette, le canard rôti à l’abricot, les pommes de terre au romarin. Nos narines frétillent d’impatience, excitées par le fumet gourmet qui s’échappe de la marmite en ébullition. On se léchera les babines devant ce beau coulant au chocolat, on passera du temps en cuisine, on briquera les couverts, on picorera les olives, tout cela agrémenté d’un bon vin, j’imagine un châteauneuf-du-pape, et en dessert, un bon sauternes.

La sexualité ordinaire, donc, c’est un peu ça : un mélange de coquillettes au jambon égaillées de temps à autre par un coq au vin.

Dans la réalité d’une vie de famille faite d’obligations, la sexualité ordinaire réchauffe, elle n’est pas forcément artistique, ni tantrique, ni slow, pas toujours orgasmique,  mais elle est là. Elle permet aux couples qui le désirent de garder un lien, celui-ci en tous les cas, à leur façon. Et les jours de plus grande motivation, on osera une échappée, on prendra le temps, et peut-être même beaucoup de temps, les baisers seront plus langoureux, les positions variées, les caresses osées et recherchées, pour mettre un peu de folie dans une vie bien rangée – ou plutôt carrément dérangée. 

La sexualité ordinaire n’est pas une sexualité de second choix.

Il n’est pas juste de la rabaisser et de penser qu’elle ne permet pas aux couples de se connecter. C’est une autre forme de connexion qui a le mérite d’exister, plus pulsionnelle, peut-être, mais pas moins tendre. 

À nous de mettre du sel dans ce quotidien, de le saupoudrer d’érotisme.

Car mieux vaut une galipette effectuée rapidement sous la couette, qu’une rêverie fantasmatique qui n’adviendra jamais.



Partager
l'article sur


produits boutique

Cet article a été écrit par :
Hélène Dumont

Après avoir suivi un parcours de Lettres et Civilisations, Hélène est devenue professeur des écoles puis conseillère conjugale et familiale. Très attachée aux problématiques de l’articulation du maternel et du féminin, elle travaille aujourd’hui en cabinet libéral au rythme de sa vie de famille : un chouette époux et 6 enfants ! Elle est l'auteure du livre Terre éclose : la sexualité au féminin.
https://www.helene-dumont-ccf.com/

> Plus d'articles du même auteur
Les articles
similaires
portrait de femme devant une lettre
Tout ce que je n’ose pas dire à ma femme
Je t’aime depuis si longtemps  Alors que le soleil se couche,  Je vois ton regard dans les reflets de ses[...]
la passion dans le couple
La passion s’en est allée… que reste-t-il de nos amours ?
Les feux de l’amour Ah ! Roméo et Juliette ! Ce couple est pour notre société l’exemple typique des amoureux. Leur amour[...]
mon conjoint m'encombre
Mon conjoint m’encombre plus qu’autre chose…
Cette envie de tout plaquer t’a peut-être un jour traversé l’esprit. À moins que ce ne soit celle de vider[...]
Conception et réalisation : Progressif Media