Un jour, devenir mère.
Voir la vie en bleu.
Se faire arroser un matin en changeant une couche. Découvrir la vie au masculin. Lui offrir sa première voiture : la faire rouler dans les couloirs, des kilomètres durant. User les genoux de pantalons, des siens, et des miens. Lui apprendre à faire pipi assis. Puis pipi debout.
Devenir mère une deuxième fois.
Accueillir la vie en bleu.
Se dire qu’à deux, ils feront la paire. Le vérifier très vite. S’émerveiller devant le premier château-fort. Tailler des cubes en bois. Construire. Déconstruire. Reconstruire. Recommencer. Ne jamais se lasser. Fabriquer des épées et coudre des capes : choisir entre un Zorro ou un super-chevalier. Chercher les capes. Retrouver son beau châle noir ayant servi de cape. Le retrouver après la bataille, bien entendu …
Devenir mère une troisième fois.
Le bleu nous va si bien …
Sourire : on les nommera « Les trois mousquetaires ». Perdre les enfants dans le jardin. Les retrouver en haut d’un arbre et comprendre qu’ils ne savent plus descendre. Avoir une pensée sadique : les laisser poiroter là-haut encore 20 minutes. Juste le temps de prendre un café tranquille… Ne pas écouter sa pensée : aller chercher l’échelle.
Applaudir au premier coup de pédale. S’exclamer à la première pirouette. Les entendre jouer. A l’intensité des cris, comprendre que la bataille est rude. Espérer qu’il n’y aura pas de blessés mais qu’ils seront suffisamment K.O. ce soir pour s’endormir vite.
Laisser grandir le troisième, le plus paisiblement possible.
Devenir mère encore une fois.
Se dire que le comique de répétition a du bon : et vive le bleu !
Imaginer sa vie en sketch. Instaurer la règle « Pipi debout, pipi partout. Pipi assis, pipi précis. » Hurler un soir qu’on installera bientôt un urinoir au fond du jardin si les toilettes continuent de ressembler à une piscine.
Donner ses vieux bijoux de pacotilles pour constituer le trésor des pirates. Chercher le trésor, des heures durant. Le retrouver un an après en bêchant un massif de rhododendrons. Enterré. Parce qu’un trésor, un vrai, ça s’enterre.
Ne pas comprendre leurs disputes. Encore moins leurs retrouvailles. Observer leurs corps à corps, complices ou rivaux. Avoir l’impression de gérer une meute. Pleurer en constatant que la chambre rangée la veille n’est déjà qu’un vieux souvenir. Avoir envie de tout envoyer valser. Reconnaître qu’on est crevée. Manger du tigre et reprendre du « poil de la bête »…
Penser qu’on aura jamais de fille.
Sentir un vide. Un petit peu. Se demander ce que l’on pourra transmettre de notre identité féminine. Imaginer les choses qu’on aurait pu faire « entre filles » … Arrêter de se prendre la tête : accueillir la vie en bleu et décider de ne plus s’occuper des remarques gentilles ou désobligeantes que peut susciter une fratrie composée de garçons. Uniquement. Être très fière d’être une maman de garçons, tous différents.
S’adapter, les uns aux autres.
Enlever les échardes. Souffler sur les bobos. Consoler les chevaliers en herbes aux muscles de fer et aux pt’its cœurs tout mous. Faire plein de câlins. Beaucoup de câlins.
Les regarder grandir.
Un jour, accepter de se faire dépasser. Acheter mousses et rasoirs pour la première fois, la gorge serrée, et affirmer :
« C’est magnifique de te voir grandir ».
Comprendre que le gel, au collège, peut être un facteur d’intégration. Apprécier la douceur des voix qui muent…
Courir ensemble. Un peu, beaucoup. Puis ne plus courir : les regarder courir. Sans nous.
Faire des plats de pâtes. Encore des pâtes. Toujours des pâtes. En ingurgiter des plâtrées. Varier en cuisinant du riz, des pommes de terres ou des frites. Un jour, tenter le gratin de courgettes. Les voir revenir dans la cuisine deux heures plus tard avec les « crocs ». Installer un verrou au placard pour éviter que la réserve de chocolat Milka ne fonde trop vite. Renoncer. Acheter du chocolat premier prix.
Quelques années plus tard, un jour de printemps, redevenir maman.
Contre toute attente, voir la vie en rose !
Ne pas le croire et vérifier à chaque change : oui, la vie est en rose ! Se régaler de sa voix claire. Se dire que l’on pourra transmettre un petit quelque chose de sa féminité.
S’attendrir devant ses garçons : les observer câliner en cachette. Être surprise de leur délicatesse. De leur gentillesse. Guigner les services rendus spontanément : un couvert mis, un repas fait, une machine étendue, un tas de linge plié, une fleur dans un vase… Être touchée en plein cœur.
Réaliser que finalement, on l’a déjà bien transmis ce petit quelque chose de notre féminité, ne serait-ce que par le soin du foyer, de l’attention à l’autre, et qu’ils revisitent à leur façon. De garçon, bien entendu.
Au milieu du bruit, des voix qui deviennent graves, de leur forme olympique comme de leur cure de sommeil, de leurs soirées BD, du squat aux toilettes -ou de leur couette- pour cause de romans trop passionnants, de leurs blagues que je ne comprends plus, sauf peut-être encore avec mon petit dernier, se souvenir que ces garçons aussi ont effeuillé la marguerite :
« Maman, je t’aime, un peu beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup… »
Et cela, on ne s’en lasse pas, car être maman de garçon(s) ou pas …