Mille manières de fêter Noël, mille tranches de vie à croquer, mille paillettes à lancer au firmament ! Cette année, chère Fabuleuse, nous te proposons d’explorer à la manière Fab ces petits symboles et objets emblématiques de la magie de Noël. Retrouve chaque jour sur nos réseaux sociaux la suite des aventures d’Aurélie, maman de Zazar et Louna, Alice, maman d’Axel et Zélie, celles de Soraya, maman de Fanta, qui vient d’accoucher de Noé et celles de Nicole, qui passera Noël toute seule cette année.
Retrouve les premiers épisodes ici.
1- Romance sous la neige
Les assiettes à bord doré sont vides. Nicole s’essuie la bouche du coin de la serviette qu’André lui a sorti d’un tiroir. Elle sent l’antimite et le vieux garçon.
— C’était pas mauvais, ces petits machins, soupire André qui bascule légèrement en arrière sur sa chaise.
— Ça mon vieux, tu t’es pas mouché du coude avec cette bûche. C’était du grand luxe, approuve Nicole.
— Je la gardais pour Noël, mais bon, la manger tout seul, ça me faisait moins envie.
Nicole évite le regard d’André qui la scrute au-dessus de la carafe d’eau.
— Toi aussi, ils t’ont laissé tomber, cette année ? demande-t-elle, d’une voix qui tremble un peu.
— Attends, on a divorcé depuis combien de temps, vingt-trois ans ? Eh bien, je passe Noël seul depuis… laisse-moi compter… vingt-trois ans. Tu t’es bien débrouillée, bravo, applaudit André.
— Dis, tu m’en as fait baver aussi, je te rappelle, proteste Nicole.
Mais le cœur n’y est plus vraiment. Ce déjeuner l’a ramollie sérieusement, et elle se demande au fond si tout ça en valait bien la peine. Le résultat, elle l’a sous les yeux : deux vieux qui passent Noël tout seuls et qui n’ont rien reconstruit sur les ruines.
— Il neige ! s’exclame André, s’éjectant de sa chaise.
C’est vrai, sur le balcon étroit, les flocons se déposent sans bruit. Quand André ouvre la baie vitrée, le son étouffé du dehors entre dans l’appartement. Nicole fouille son sac à main et en sort son téléphone, puis elle rejoint André qui fixe le square qui blanchit en contrebas.
Elle mitraille le ciel gris pour saisir la magie de ce moment, oubliant André qui s’approche par surprise et lui chuchote :
— Faut faire un vœu, non ?
Surprise, Nicole sursaute et laisse échapper son téléphone qu’André rattrape au vol.
— Allez, viens passer Noël avec moi et fais-moi un bisou, vieille carne, dit-il, le téléphone en main pour un selfie.
Deux secondes d’hésitation, puis Nicole lui plante un baiser sur la joue, tandis qu’André appuie sur le déclencheur.
— Et hop, on envoie ça aux enfants, ça va leur faire tout drôle, s’exclame-t-elle, le rose aux joues.
2- Crime à l’emporte-pièce
Les larmes aux yeux, Aurélie lit et relit le mail de la direction. Ça commence par « Joyeux Noël » et ça termine par « Nous ne pourrons malheureusement pas distribuer de prime à l’ensemble du personnel. La remise de prime se fera individuellement, au mérite ». Elle dépose sur son fauteuil à roulettes son sac Radimarket, où elle est allée acheter de la pâte à sucre rose et trois emporte-pièces pour faire passer la pilule auprès de Zazar et Louna : pas de bûche cette année, juste du fait maison. Machinalement, elle attrape son emporte-pièce sapin et le glisse dans sa poche avant de s’asseoir. Ça la détend d’en éprouver le tranchant du bout du pouce. Pas de prime générale. Purée. Ça n’est pas comme si elle en avait un besoin urgent, pour éponger ces minuscules accrocs dans le budget mensuel qui, à la fin de l’année, forment un véritable gouffre. Alors, elle rassemble son courage à deux mains, et elle se lève.
Il y a de la lumière à la fenêtre de Madame Rombiasse. Elle toque à la porte.
Après tout, elle attend toujours sa réponse pour sa demande de congés, elle fera d’une pierre deux coups.
— Entrez, répond la DRH.
Cette voix pointue hérisse Aurélie, qui se plante devant le bureau et serre dans sa main son emporte-pièce. Si elle n’obtient ni ses congés ni sa prime, elle est capable de découper un sapin sur le front de la Rombiasse, à l’emporte-pièce.
— Voilà madame, j’ai besoin de m’organiser pour Noël, est-ce que vous avez pu considérer ma demande de congés ?
Rombiasse la regarde par-dessus ses lunettes, l’air absent. Aurélie s’enhardit.
— Quant à la prime de Noël, vu qu’elle est au mérite et que j’ai cravaché toute l’année, je me disais que…
— Vos pauses déjeuner sont bien longues, pour quelqu’un qui cravache, rétorque la DRH.
Le rouge envahit les joues d’Aurélie. Elle prend 45 minutes, pas une de plus, pour courir au Radimarket, la plupart du temps. C’est sûr que comparé à Rombiasse qui grignote devant son ordinateur, ça semble long, mais enfin… Alors qu’elle ouvre la bouche pour protester, elle est interrompue par le téléphone qui vibre sur le bureau. Nouveau Whatsapp. Rombiasse ouvre le message d’un index distrait, puis tousse, saisit son téléphone dans la paume, approche l’écran de son œil et murmure :
— Pas possible…
Un long silence s’installe dans le bureau, pendant lequel elle passe par toutes les émotions sous les yeux ébahis d’Aurélie.
Puis l’intraitable DRH lève des yeux humides sur son employée et lui répond :
— Bien sûr, Aurélie. La prime et les congés. C’est entendu.
Abasourdie, Aurélie sort du bureau en titubant. Elle n’a pas vu la photo sur l’écran de sa cheffe, mais elle sait qu’elle lui doit une fière chandelle : le dragon est devenu petit chaton.
Une fois seule dans son bureau, Madame Rombiasse repose lentement son téléphone. Sur son écran, une vieille dame est en train d’embrasser un vieux monsieur sous la neige.
3- Bougies coquines
De retour du spectacle de fin d’année, tout semble différent à Alice. Les paysages enneigés ne sont plus tout à fait cette carte postale qui l’avait charmée au début. Tandis qu’Axel et Zélie somnolent à l’arrière, ivres d’applaudissements et de chocolat chaud, Alice le comprend : elle est chez elle, ici, depuis ce soir.
Elle n’est plus cette architecte qui travaille en visio pour d’autres, néoruraux, en se demandant si elle est condamnée à attendre le retour de son mari le soir comme le seul moment qui donne du sens à sa présence ici. Elle n’est plus non plus cette mère de famille qui s’épuise à tout faire tellement bien que ça ferait d’elle une super maman.
Elle est Alice, elle vote à Megève et elle va faire quelque chose qui a du sens pour Noël :
partager cette chance qu’elle a de vivre ici, pratiquement sur les pistes, dans une maison immense et confortable.
Alors qu’Antoine se gare puis détache Axel pour le porter dans son lit, Alice sort son téléphone et pianote un SMS : « Salut, ma sœur, et si on le faisait pour de vrai, ce Noël ensemble ? Je te prends les billets ce soir, c’est mon cadeau. Je t’aime, Alice ». Puis elle sort détacher Zélie qui lui murmure des bribes de chant de Noël d’une voix endormie, et la porte à l’intérieur, jusque dans son lit.
Quelques braises rougeoient encore sous la cendre quand elle descend l’escalier. Les bougies de l’avent sont alignées sur le manteau de la cheminée, chacune consumée à un niveau différent. La quatrième bougie n’est pas encore entamée.
Il est minuit, en ce quatrième dimanche de l’avent, ils peuvent l’allumer.
Antoine lui demande :
— On rallume le feu, ou on va se coucher ?
Alice sourit et s’approche de lui pour nicher sa tête au creux du cou de son mari.
— Tu dirais quoi, si Aurélie venait passer Noël ici, avec Zazar et Louna ?
— Je dirais « enfin, depuis le temps qu’on en parle ! ».
Tout doucement, Alice sourit dans le cou de son mari.
— Pour répondre à ta question, ce n’est pas le feu qu’on va rallumer, ce sont les bougies, et on va même en profiter pour faire des câlins devant la cheminée, à l’ancienne, murmure-t-elle.
4- Indispensables chaussettes
— Je sors ! prévient Fanta en claquant la porte de l’appartement.
Dans son décor 100 % Noël, il manque quelque chose d’important.
Elle dévale les escaliers et manque de se cogner contre un vieux monsieur en gilet sans manche qui vient en sens inverse, tout sourire.
— Tiens, Fanta ! Où cours-tu comme ça ?
— Je suis en mission accessoire pour Noël. Et vous, Monsieur André ? Vous faites quoi ce soir ? Vous avez l’air tout content.
André cligne de l’œil et répond, l’air mystérieux :
— Figure-toi que je suis invité à dîner chez la mère Noël. Elle s’appelle Nicole et c’est la vieille bique la plus chouette du monde.
— Stylé ! répond Fanta qui poursuit sa route.
Dans la rue, le froid lui saisit les oreilles. Il neige à tout petit flocon.
Elle n’a que quelques pas à faire pour atteindre l’immeuble de Louna.
L’interphone grésille, mais elle réussit à entendre la réponse de son amie :
— Déso Fanta, je ne peux pas t’accompagner, on fait les bagages ! Imagine, ma tante nous invite à Megève, la dinguerie… Je te laisse, il y a Zazar qui ne trouve pas ses slips.
Le sourire aux lèvres, Fanta reprend sa route, sans Louna. Savoir que son amie va profiter de vraies vacances la réjouit profondément.
Enfin, la voilà devant Radimarket. Avec un peu de chance, l’accessoire dont elle a besoin sera en promo, la veille de Noël, les magasins déstockent ! En effet, les voilà, jetées dans un grand bac en métal surmonté d’un panneau « -50% » ces chaussettes de Noël qui manquaient à son décor « cheminée ». Il y en a des petites, avec pompons et grelots, vendues à l’unité, et des plus grandes, vendues par paire. Elle saisit deux paires à motif flocon de neige et sapin à boules argentées.
Une chaussette pour son père, une pour sa mère, une pour elle et une pour Noé.
— Être quatre, c’est vraiment le kiff… Qu’est-ce qu’on fait comme économies ! soupire-t-elle, ravie.
5- Entre le bœuf et l’âne gris
— Ridicules, ces santons géants, grommelle Nicole, son cabas bringuebalant derrière elle.
Elle a tout juste eu le temps d’arracher à la caissière la dernière bouteille de champagne en promotion avant que le magasin ne ferme ses portes, une heure avant l’horaire habituel. Elle a failli se faire avoir, mais elle l’a obtenue ! Voilà qui plaira à André, dont elle se souvient qu’il est difficile sur les questions de qualité. Cette année, elle n’est pas au mousseux-pâté de foie.
Cette année, Nicole a mis les petits plats dans les grands : c’est foie gras et champagne millésimé.
Perdue dans ses pensées, elle se cogne de toute sa hauteur contre un homme qui doit bien faire deux mètres de haut.
— Pouvez pas faire attention ? grinche-t-elle, quand elle reconnaît, au bras de l’homme, celle qui l’a secourue lors de son malaise à la caisse du Radimarket.
Au bras de Driss, Soraya esquisse un geste mécontent à l’attention de Nicole, avant de reconnaître cette vieille dame un peu perdue pour qui elle est allée chercher deux oranges.
— Eh bien je vois qu’on a retrouvé la forme, s’exclame-t-elle. Vous venez regarder la crèche ? Elle est superbe, cette année, non ?
C’est vrai que tout y est : l’étoile, les moutons véritables qui bêlent en regardant l’âne, la paille qui attend qu’on y dépose le nouveau-né.
— On pourrait y mettre Noé, ça serait tellement stylé, propose Fanta.
Le nourrisson remue dans son porte-bébé, arrachant au passage un sourire à Nicole qui reprend sa route. Nom d’un rat ! Elle évite de justesse une tornade à trois têtes qui jaillit d’une porte d’immeuble.
— Les enfants, cadence, cadence, on va rater le train ! s’écrie Aurélie, sa valise à moitié fermée au bout du bras.
— Mais j’ai perdu le petit Jésus qu’on doit mettre dans la crèche de tante Alice ! gémit Zazar.
— Elle en a sûrement un chez elle, le rassure Louna qui tire son frère par la main.
— Tu crois ? Et est-ce que Zélie et Axel vont me laisser jouer avec les santons ? Ils sont gentils ? Et…
— Tais-toi un peu et cours, Zazar, gémit Aurélie.
Sur le perron du chalet, Axel et Zélie se tiennent fin prêts à accueillir ces cousins dont ils ont du mal à se souvenir.
Ils se voient si rarement, depuis le déménagement.
— Fermez la porte, les enfants, on gèle ! s’écrie Alice, occupée à allumer la quatrième bougie de l’avent, étrennée la veille.
— Tu n’as pas allumé la crèche, dehors ! s’exclame Axel, horrifié.
Avec un soupir résigné, Alice va brancher l’installation terriblement éco-irresponsable et aussitôt, bergers, chameau, moutons et enfant Jésus en taille réelle s’illuminent devant le chalet. Si elle a cédé, c’est parce que les enfants lui ont promis qu’au bout de vingt ans, le bilan carbone de cette installation serait annulé par le fait qu’ils renonçaient pour toute leur vie aux sapins coupés.
L’idée d’accueillir sa sœur la rend tellement joyeuse qu’elle a cédé.
À travers la vitre embuée, elle sourit en regardant ses deux enfants aux aguets.
— Ils arriveront dans trois heures, au moins ! prévient-elle.
— C’est pas grave ! On est comme les bergers, on veille ! répondent Zélie et Axel, le nez tourné en direction de la gare.
Et madame Rombiasse ? Elle fête Noël en Finlande, l’œil vissé sur son téléphone sur lequel pleuvent des photos de ses parents, et se promet de rassembler tout le monde l’année prochaine, puisque la glace est rompue entre les deux irréconciliables.