Je ne rapporte pas assez d’argent - Fabuleuses Au Foyer
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Je ne rapporte pas assez d’argent

Agathe Portail 2 mars 2022
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Chère Fabuleuse,

Toi qui as fait le choix de faire une pause dans ta carrière, de réduire ton temps de travail, de ne pas accepter cette promotion alléchante pour de multiples raisons, je pense à toi souvent. Je pense à ce que tu entends parfois, que c’est tellement dommage de ne pas utiliser ton formidable potentiel, que tu vas regretter ce coup de frein donné à ta carrière, et je suis à tes côtés quand on te pose cette inévitable question :

« Mais heu, et ton indépendance financière ? »

Personnellement, je n’ai pas choisi la vie conjugale pour que chacun vive de manière totalement indépendante. Au contraire, se créer de multiples dépendances mutuelles, qu’elles soient financières ou affectives, est pour moi inhérent à l’abandon que porte en lui l’amour conjugal.

Je ne me vois pas confier à l’autre mon cœur, mon corps et mon bonheur tout en gardant à l’abri mon portefeuille.

Pour de multiples raisons, ce sujet nous touche toutes différemment selon notre histoire familiale, notre couple, notre construction intime, et ce que je dis n’engage bien sûr que moi. Si j’évoque le sujet, c’est parce que, indépendance financière ou pas, demeure le problème de « qui rapporte le plus ».

L’asymétrie financière provoque chez un certain nombre d’entre nous une désagréable sensation d’inconfort.

Mais pourquoi ?

Il y a quelque chose que je trouve particulièrement difficile, c’est de se retirer de la tête la règle jamais formulée clairement du 1€ = 1 voix. De façon étonnante, je trouve de multiples exemples chez nous, les Fabuleuses, qui montrent que nous associons argent et poids dans les décisions. Nous pouvons être dans l’autocensure quand l’asymétrie financière nous dessert et dans l’absolutisme décomplexé quand c’est nous qui finançons.

L’une des situations qui met le doigt sur ce drôle de balancier entre la soumission et le despotisme, c’est l’achat d’un appartement ou d’une maison.

J’ai deux exemples contradictoires.

Une amie clerc de notaire et son mari viticulteur cherchaient une maison entre Bordeaux et le Médoc. Elle travaille à Bordeaux et lui pas loin de l’estuaire de la Gironde, 60 km séparent leurs lieux de travail. Cette amie me confie que le choix s’est porté sur une maison bien plus proche de la propriété viticole, bien sûr parce que le travail de la vigne demande des horaires décalés au moment des vendanges et des vinifications, mais surtout parce qu’elle s’est auto-imposé un choix plus favorable au principal financeur du projet (sans qu’il ait rien demandé en ce sens d’ailleurs).

À l’inverse, une cousine qui gagne deux fois plus que son compagnon lui a imposé une maison avec piscine. Alors qu’il protestait que la piscine n’était pas indispensable au nord de la Loire et constituait un gouffre financier, elle lui a répondu avec un sourire attendri : « Ne t’inquiète pas pour le gouffre mon chéri, et puis j’ai bien le droit de me faire un peu plaisir, non ? ».

Dans les deux cas, la Fabuleuse a donné à l’argent une puissance symbolique qui autorise le plus « riche » à imposer son choix à celui qui contribue le moins. 

Comme nous ne sommes pas à une contradiction près.

Il nous arrive parfois d’être les deux à la fois : l’opprimé et l’oppresseur.

Je gagne beaucoup moins que mon Fabuleux, et de manière très atypique puisque mes revenus principaux se constituent de droits d’auteur que je touche deux fois par an. Lorsque nos avis divergent, je me soumets (oh le mot interdit) aux préférences de mon mari concernant les lieux de vacances, choix de voiture et autres, parce que je ne me vois pas imposer au financeur principal une lourde dépense pour quelque chose qui ne lui plaît qu’à moitié. Rassurez-vous, je pinaille quand même.

Intimement convaincue que c’est celui qui paie qui décide,

j’ai moi-même actionné ce pouvoir symbolique à mon avantage lorsque que l’occasion s’est présentée et j’ai prononcé cette phrase monstrueuse, une phrase qu’on ne pardonnerait pas à un homme d’ailleurs :

« C’est moi qui paie, on fait comme j’ai dit »

Pour les 40 ans de mon Fabuleux, nous parlions de rassembler ses copains de toujours dans un super lieu, le temps d’un weekend. Sauf que mon mari imaginait une auberge espagnole sympa avec tous les enfants, chaque couple s’occupant d’un repas. Déjà épuisée, j’ai vu immédiatement les efforts de coordination que j’allais m’imposer : faire les menus, définir qui apporte quoi pour 5 repas, trouver une solution pour stocker l’intendance pour 15 enfants et 12 adultes. J’ai vu le temps passé en cuisine au lieu de prendre l’apéro, la vaisselle pendant la sieste… Et j’ai décidé d’imposer un ‘all inclusive’ en prenant une table d’hôtes.

Pour couper court aux protestations effarées de mon mari devant l’extravagance du projet, je lui ai répondu : « T’inquiète chéri, c’est mon cadeau, je te l’offre ». Autrement dit : « C’est moi qui paie, on fait comme j’ai dit ».

Plus qu’un cadeau, c’était une confiscation du projet par le biais d’un financement unilatéral.

Le weekend a été fabuleux, mais j’ai découvert à quel point ma conception de l’argent dans le couple était borderline. Si l’argent, c’est le pouvoir de clouer le bec à l’autre, l’aigreur puis la riposte sont inévitables. C’est un jeu dangereux. Celui qui a le moins d’arguments financiers est poussé à mettre en place des moyens de pression alternatifs et je vous laisse imaginer la guerre de tranchées qui en résulte. 

Le paradoxe, c’est que pour mon mari, l’argent n’est absolument pas paré de ces super pouvoirs que je lui donne. Jamais il n’aurait prononcé cette phrase. Au contraire, mon Fabuleux essaie de m’affranchir de cette domination symbolique que je m’impose toute seule, qu’elle soit à mon avantage ou à mon détriment : 

« Tu rapportes moins ? Mais est ce que tu te rends compte, ma Fabuleuse, du confort que nous offre ta disponibilité ? Que tu puisses gérer un artisan tout en bossant, passer au garage, emmener les enfants chez l’ophtalmo, mais ça vaut de l’or !

– De l’or, de l’or… Ça ne rapporte pas d’argent en tout cas. 

– Si on devait payer quelqu’un pour gérer tout ça, je peux te dire qu’on n’y arriverait pas. Essaie un peu de valoriser tout ce que tu fais, ne serait-ce qu’au SMIC. Et pour des missions absolument indispensables, en plus.

– OK, mais bon, c’est quand même toi qui fais bouillir la marmite, qui nous permet de faire des projets… Je n’ai pas trop mon mot à dire sur ce qui se décide, ça serait tellement gonflé alors que c’est majoritairement toi qui raques ! »

Le regard apitoyé de mon mari vaut son pesant de cacahuètes…

« Mais ma chérie, qu’est ce que tu crois ? Que je pourrais « rapporter » autant, comme tu dis, si je n’avais pas une Fabuleuse comme toi ? C’est toi qui me permets d’avoir une amplitude horaire comme celle que j’ai, qui nous simplifie le quotidien. Sans toi à mes côtés, je n’aurais jamais pu monter cette boite et la faire fonctionner. Et d’ailleurs, sans toi à mes côtés, ça n’aurait eu aucun sens de le faire. Il faut arrêter de raisonner à l’euro rapporté. Ce n’est pas “mon argent”, c’est “notre argent”, l’argent de la famille quoi.

– Oui, snif, t’as raison, Fabuleux. 

Alors, oui, chère Fabuleuse, j’ai un mari qui voit les choses sous un angle peu courant peut-être.

Au lieu de diviser, répartir et comptabiliser, il réunit, mélange et raisonne “communauté”.

À choisir entre la sienne et la mienne, je crois que la vision la plus apaisante ( qui demande, certes, une bonne dose de confiance en l’avenir de son couple), c’est la sienne.

L’esprit comptable, dans la vie couple, je ne sais pas si ça a déjà rendu quelqu’un heureux.

L’asymétrie financière est un sujet vaste, qui englobe l’égalité salariale, évidemment, mais aussi le reste : les orientations de carrière, les temps partiels, les congés parentaux. Peut-être que cette asymétrie est à ton profit, peut-être qu’elle est temporaire.

Quoi qu’il en soit, interroger le pouvoir symbolique qu’on accorde à l’argent dans notre couple est certainement l’un des nombreux chantiers de la fabulosité. 



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Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

https://www.fnac.com/ia9173370/Agathe-Portail

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