Hélène Dumont : la sexualité au féminin - Fabuleuses Au Foyer
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Hélène Dumont : la sexualité au féminin

sexualité au féminin
Agathe Portail 5 juillet 2022
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Hélène Dumont est l’une des signatures emblématiques des Fabuleuses. Conseillère conjugale, elle est également sexothérapeute et mère de six enfants. Son livre, Terre éclose consacré à la sexualité au féminin est paru le 8 juin 2022 aux Editions de l’Emmanuel. 

« Terre éclose, la sexualité au féminin ». À l’heure où les informations consacrées au sexe et au plaisir pullulent, pourquoi pensais-tu important d’écrire ce livre ?

Dans mes entretiens, je réalisais que les femmes avaient énormément de questions autour de leur sexualité sans parvenir à nommer de façon précise le malaise, la souffrance ou les questionnements qui les habitaient. J’avais l’impression que les femmes manquaient de mots pour pouvoir nommer leur sexualité. Cela m’a donné envie de me former en sexothérapie pour mieux les accompagner dans le cadre de mon activité de conseil conjugal. Puis je me suis mise à écrire des chroniques sexo pour les Fabuleuses, j’ai démarré un podcast pour enfin parvenir à ce livre. Il y a eu une progression dans mon cheminement. 

Je voulais leur donner des repères pragmatiques sur la sexualité pour casser le mythe de la sexualité parfaite fantasmée aujourd’hui, comme si tu devais atteindre le septième ciel tous les jours. Cette démarche s’appuie sur un travail autour de la parole : nommer les émotions, nommer le corps, nommer ce qui se passe dans le couple, pour aider les femmes à s’exprimer.

Pourquoi en est-on arrivé à ce point de méconnaissance au sujet du corps et de la sexualité des femmes ?

La sexualité n’a pas toujours été taboue, mais le XIX siècle et le jansénisme sont passés par là. Cette époque a été globalement marquée par un mépris de la chair et donc de tout ce qui avait un lien avec les fluides corporels et la perte de contrôle, que ce soit dans la maladie ou la jouissance. 

S’est développée cette croyance que nommer la sexualité des femmes risquait de réveiller chez elles un désir indomptable. Il existait un enjeu énorme, social, moral et politique, autour de la sexualité des femmes car elles étaient celles par qui la famille et la descendance se perpétuait. La société a donc posé un couvercle sur la sexualité des femmes pour éviter de réveiller chez elles des désirs immoraux qui mettraient en péril ce modèle social. Avec la création d’un tabou sont arrivées les postures de dénigrement et de camouflage. 

La maternité était énormément valorisée car c’est la pièce maîtresse de l’ordre social, tandis que ce qui touchait à la sexualité, à la sensualité, était fortement encadré et relégué dans les bordels, les asiles d’aliénées ou, éventuellement, le domaine des arts, qui permettait aux femmes d’exprimer leur dimension érotique.

Aujourd’hui nous portons encore cet héritage culturel. Je crois qu’il y a une troisième voie entre le tabou et l’expérimentation permanente, qui est celle de l’équilibre entre une sexualité de tendresse, une complicité et une sexualité de sensualité. Les hommes sont réellement partie prenante de cette recherche d’équilibre. La maternité qui appartient au courant « tendre » n’est pas rejetée, mais on essaie d’y intégrer le courant « sensuel » et érotique de la femme. C’est une ligne de crête qui n’est pas très empruntée encore. Nous ne sommes pas nombreuses à essayer de faire réfléchir les femmes sur leur identité érotique et à les aider à se situer. 

Tu cites Valérie de Minvielle qui dit que nos représentations de mère et de femme « nous collent à la peau et agissent comme un vêtement qui nous serait imposé mais qui n’est pas le nôtre ». Est-ce qu’on a toutes ce travail de déconstruction-reconstruction à faire ?  Quand devient-il nécessaire ?

Oui ce travail est nécessaire et nous le faisons tous, notamment à l’adolescence, de manière inconsciente. C’est le moment du tri parmi ce qui a été reçu, pour aborder la vie adulte de manière plus posée. 

J’insiste sur le fait que « déconstruction » ne signifie pas « tout jeter à la poubelle ». On ne fait pas table rase, mais on fait le tri entre :

  • ce qui nous a nourrie, ce qui nous a permis de poser des jalons sur notre chemin de femme
  • ce qu’on ne souhaite pas garder, parce que c’est dépassé, cela ne nous correspond pas ou plus
  • ce qui était bon mais a été transmis de façon maladroite

Cela demande un peu de maturité et aussi de se réconcilier avec les parents imparfaits que nous avons eus. D’ailleurs nous nous réconcilions avec nos parents lorsque nous devons nous réconcilier avec la mère imparfaite que nous sommes.

L’une de mes clientes me disait beaucoup en vouloir à sa mère qu’elle trouvait beaucoup plus femme que mère. Or, le jour où elle a eu un enfant, elle a réalisé que sa propre mère s’était en définitive pas si mal débrouillée. Je trouvais ça joli. 

Toutes les étapes de vie un peu importantes vont nous pousser à repenser notre héritage. Ce travail de déconstruction-reconstruction est à recommencer à chaque grand bouleversement, comme la naissance du premier enfant, la ménopause.

Tu dis qu’il faut que la mère « accepte de se laisser détrôner » pour que sa fille grandisse et existe pleinement. Quel conseil nous donnes-tu en tant que maman de filles pour vivre sereinement ce passage de relai, quelles sont les « bonnes » attitudes à adopter pour que nos filles poussent bien ?

Se laisser détrôner, c’est d’abord se réjouir sincèrement de la croissance de nos filles, même quand elles le font de façon maladroite. Je pense à cette jeune fille qui descend avec un crop top beaucoup trop court. Il faudrait se réjouir de voir que notre fille a envie de devenir femme, poser sur elle un regard bienveillant, et l’accompagner, en disant par exemple : « Je vois que tu as envie de te faire jolie. Je te propose qu’on fasse quelques courses ensemble pour trouver quelque-chose qui te fasse sentir jolie, plutôt que de suivre la mode qui peut avoir ses excès ».

C’est accepter aussi de laisser sa jeune fille briller. Une cliente me disait que sa fille était arrivée un jour dans le salon avec la fraîcheur de ses dix-huit ans. Elle venait d’avoir d’excellents résultats à son premier examen. Ma cliente m’a dit : « À ce moment-là, je me suis tue, je me suis mise en retrait ». Elle a compris que c’était à sa fille de prendre place dans le cercle des adultes, avec toute sa fraîcheur, sa beauté, sa lumière. On regardait beaucoup plus sa fille qu’elle, et elle l’a accepté. 

Parfois des mamans veulent se la jouer jeunes du haut de leurs quarante-cinq ans (plus ou moins mon âge) et la tentation est grande de vouloir rester séduisante, séductrice, quand tu vois les copines de tes garçons arriver avec leur élan, leur jeunesse. C’est à nous de faire un travail pour comprendre que notre beauté n’émane pas de notre 36. Au moment où nos jeunes filles entrent dans le printemps, nous nous couvrons des couleurs de l’automne et l’automne a sa richesse aussi. 

Une femme qui est à sa place dans sa saison brille et rayonne autant qu’une jeune fille qui est à la sienne. 

Tu distingues très nettement désir, excitation et plaisir. Alors que tout semble complètement mélangé, que gagne-t-on à nommer et à reconnaître chaque réalité indépendamment ?

Quand une femme me dit « j’ai une sexualité pourrie, je n’ai plus de désir, je n’aime plus mon mari », cela nous permet à elle et à moi de démêler le faux du vrai. Le désir n’est pas égal à l’amour, donc on peut déjà la rassurer sur cette fausse croyance.

Démêler les concepts permet d’apporter un éclairage au niveau de la pensée. Faire le tri dans la pensée permet d’apaiser le cœur et de débloquer les tensions du corps, de rassurer les femmes et de les accompagner avec finesse. 

Telle femme me dit « je n’ai pas de désir », je vais travailler sur ce qui est morcelé en elle ou ce qui est trop tendu. Ce n’est pas la même chose qu’une femme qui me dit qu’elle n’a plus de plaisir qui est une question physiologique. Le manque de désir ne veut pas dire que l’on n’aime plus son mari. Le manque de plaisir ne veut pas dire que notre machine est cassée et qu’elle ne marchera jamais. C’est comme si tout allait ensemble.

On présente comme une liberté le fait de décorréler amour, sexe et procréation. Qu’a-t-on à gagner à reconnecter ces réalités ? 

Tout ! Cette démarche de rassembler ce qui est morcelé s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus large qui touche à toute la personne, pas seulement la sexualité. Hélène Bonhomme s’adresse justement à ces femmes qui sont morcelées entre le boulot, la maison et tous leurs différents rôles. L’idée est de recréer de l’unité. Une unité positive est possible, même si l’équilibre ne sera pas toujours parfait. Il dépend de ton âge, ton nombre d’enfants, leur âge… Je travaille, moi, à créer l’unité entre la dimension tendre de la femme et sa dimension pulsionnelle, qui ne sont pas incompatibles. 

Je tiens aussi à ce que les femmes ne se mettent pas la barre trop haut. En termes de sexualité, il y a une place pour la sexualité ordinaire. Cette sexualité un peu ratée, un peu maladroite, où tu passes un bon moment parce que tu te marres bien, et tant pis si il n’y a pas eu d’orgasme, tant pis si un enfant a crié dans sa chambre alors que tu étais en pleine action. Il y a des moments qui sont méga géniaux, et des moments ordinaires. Ce n’est pas moins bien, ni mieux, c’est comme ça, et l’idée c’est que le couple puisse goûter à différents « menus » et accepter cette diversité sans que ce soit un drame. Cela ne remet pas en question la valeur de l’un ni de l’autre. 

Dans ton livre, tu proposes des exercices pratiques, est ce que cela signifie que la compréhension des enjeux, blocages, le fait de « se reconnaître » dans tel ou tel profil de témoignage ne suffit pas à apporter des solutions?

L’idée du livre est d’apporter un éclairage intellectuel et émotionnel, puis de « faire descendre » tout cela dans le corps pour créer une expérience. Nommer c’est faire exister des problèmes, donc les dédramatiser. Ensuite, les faire descendre dans l’expérience du corps permet à la femme de se relier à sa puissance de femme. Quand une femme habite son corps, elle devient puissante. Elle va peut-être se mettre à marcher différemment, à faire l’amour différemment, à mieux sentir son bassin donc mieux s’en servir. Ça va l’ancrer dans une expérience de vie. L’idée est de la faire se sentir vivante et en relation avec le monde et l’autre à travers son corps.

La disponibilité est une composante essentielle de l’émergence du désir, disponibilité de corps et d’esprit. As-tu quelques conseils concrets à donner pour recréer cette disponibilité dans la vie des Fabuleuses mamans ?

Trois « pratiques » permettent de se ré-ancrer dans le présent en passant par le corps :

  • La pleine conscience. Les Fabuleuses proposent beaucoup de choses autour de l’instant présent : prendre un café à sa fenêtre et ne faire que ça.
  • La méditation.
  • La méthode Vittoz, avec la reconnexion aux cinq sens.

En finir avec les injonctions pas possible autour de la mère parfaite est aussi une excellente manière de recréer de la disponibilité. La culpabilité étouffe tous nos espaces intérieurs. Quand la tête est pleine, il n’y a plus de place pour le désir.

Enfin, il faudrait accepter de moins se tourner vers les autres : mari, enfants, amis, boulot, et s’octroyer des moments qui ne soient pas « rentables ». Par exemple un cours de danse, de la peinture. Tu te mets dans le silence, tu ne feras rien d’efficace pour le quotidien, mais tu crées des espaces en toi. Le désir a besoin d’espace pour émerger. Si ta vie est pleine à craquer, tu vas toujours être ailleurs que dans le présent et donc dans le désir.

Tu cites souvent les Fabuleuses dans ton livre. Qu’est ce qui t’a donné envie de collaborer avec Hélène Bonhomme, comment l’as-tu découverte ? 

J’ai écrit un mémoire en 2013-2014 sur l’articulation du maternel et du féminin et sur internet je ne trouvais pas grand-chose. Un jour je suis tombée sur le blog d’Hélène Bonhomme qui parlait avec ses propres mots de la difficulté d’être à la fois mère et femme. Elle venait juste de sortir son premier livre. À ce moment-là, autour de moi, mes copines trouvaient que ma démarche était intéressante mais beaucoup me disaient aussi : « Mais qu’est ce que tu vas chercher des poux aux femmes ». 

Cela m’a poussée à écrire à Hélène pour lui dire que son blog était génial. Enfin quelqu’un qui pense la difficulté d’être mère et femme à la fois ! Le dialogue s’est engagé, on s’est présentées, et un jour je lui ai écrit sur le fait que les femmes se sentaient tiraillées entre leur cycle menstruel et leur rythme linéaire qui est fait de désir et d’élan. Cela pouvait créer des frictions et des conflits de valeur. C’était un extrait de mon mémoire et Hélène a proposé de le publier. C’était en 2016 et c’était ma première chronique sur les Fabuleuses. 

Aujourd’hui je continue parce que je trouve que toutes les intuitions d’Hélène sont bonnes : se poser, baisser ses exigences… Elle n’enferme pas les femmes dans des cases. Cela a un impact sur leur sexualité et cela permet à leurs désirs multiples d’émerger. Le côté rock des Fabuleuses et leur patate est un super carburant pour continuer.

Quelle astuces donnes-tu aux Fabuleuses pour survivre à une journée pourrie ?

J’en ai deux : je me relie beaucoup à ce que je vis dans l’instant présent. Quand je vis une situation de merde, je fais des instants pause, des arrêts sur image.

Deuxième chose : je me donne des échéances. Je sais que mes moments difficiles ont une fin. « Là j’en chie mais à 19h30, je n’en chierai plus ». Cela fonctionne pour les petits moments difficiles et pour les grands aussi. J’ai accouché comme ça, en me disant « Dans soixante secondes, la contraction sera passée, je peux tenir soixante secondes ». La deadline me rassure énormément. Mon expérience de vie me prouve qu’on n’en chie pas en permanence. Demain il fera jour, même si demain est parfois long à arriver. 

Terre éclose, la sexualité au féminin, d’Hélène Dumont, paru le 8 juin 2022 aux Éditions de l’Emmanuel



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Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

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