Je vais être honnête : ne croyez pas que je vais vous donner des solutions miracles pour réguler la consommation de téléphone portable par vos adolescents. Parce que ces solutions, moi-même, je les cherche.
Vous le savez, je passe souvent du temps à me plaindre que mes petits garçons font du bruit, sautent, crient, hurlent, se disputent, jettent des jouets par terre et se battent.
Et c’est vrai : cela fait beaucoup de bruit, c’est fatigant, usant même.
Et puis les années passent, la maturité arrive, le calme revient (si on a la chance de pouvoir conserver son calme pour les devoirs, parce que ce n’est pas gagné non plus cette affaire). L’enfant grandit, rentre au collège, prend le bus ou le métro, ou rentre seul avant vous à la maison, et là, bim : vous vous dites “Il va falloir qu’il ait un téléphone ! Si jamais il se passait quelque chose ! Il faut qu’il puisse me prévenir.”
Ma fille a eu son premier téléphone portable à la fin du CM2, pour la préparer à la sixième, quand elle devrait être autonome et se rendre seule au collège. C’était surtout pour rassurer les parents flippés que nous étions, afin de pouvoir la joindre quand nous le voulions, nous.
“Tu es rentrée ? Ça s’est bien passé ? Personne ne t’a suivie ? Tu fais quoi ? Tu as des devoirs ?”
Cela me rassurait de savoir qu’elle pouvait m’appeler en cas de pépin. Mais bon… Soyons honnête : depuis que votre ado a son téléphone portable, combien de fois l’a-t-il utilisé pour vous prévenir d’une urgence ? Zéro, nous sommes d’accord. Enfin si, une urgence du style “stp rachète des chocapics “, par exemple. Une urgence relative, donc.
Et là, j’ai l’impression de m’être légèrement fait avoir, finalement.
De lui avoir mis entre les mains un instrument démoniaque (oui je sais, j’exagère).
De vous à moi : Vous ne regrettez pas l’époque où on avait des télécartes ? Pas de réseaux sociaux, et quelque part, une certaine liberté. On disait trois mots en hurlant à la cabine téléphonique, puis “j’ai plus d’unités, je raccroche !” et hop, c’était réglé. Nos parents n’étaient pas flippés comme nous. Sans doute nous faisaient-ils plus confiance.
Des études ont montré que les enfants d’aujourd’hui sont surprotégés et que leur marge d’autonomie, y compris en termes de distance, s’est réduite comme peau de chagrin : là où nos grands-parents marchaient librement jusqu’à dix kilomètres, nos enfants font au plus trois cents mètres. Je me souviens que vers huit ou dix ans, je partais me balader seule dans les vignes et les bois près de chez moi. SEULE DANS LES BOIS. Pourtant, mes parents n’étaient pas inconscients ou démissionnaires. Évidemment, je ne laisserais jamais aucun de mes enfants faire une chose aussi dangereuse. Le téléphone, c’est un peu la même logique de surprotection, sauf que parfois, cela se retourne contre le parent (et l’enfant).
“Chérie, tu fais quoi ?
(Fille à son bureau, une oreillette vissée sous les cheveux)
“Je prépare un exposé avec Bidule.”
“Ah d’accord. Et… Vous avancez bien ?
“Ouais ouais, t’inquiète maman.”
Une demi-heure passe, et moi je passe un œil par la porte. (Fille très concentrée sous ses cheveux, sur son téléphone)
“ Hum hum, ma chérie, tu as révisé le français pour ton commentaire composé de la semaine prochaine ?
Oui, mais là je fais juste une petite pause, je regarde des vidéos sur la disparition des pingouins / un tuto de nail-art / le dernier clip d’un groupe au nom imprononçable et totalement inconnu / Une vidéo sur comment réviser avant un commentaire composé.”
Ah d’accord… Et est-ce qu’il suggèrent d’éteindre Youtube pour ouvrir ses bouquins, dans cette vidéo ? À tout hasard.
Elle passe, parlant toute seule dans le couloir. Ah non, en fait elle discute avec une copine. Mais… Ce n’est pas la même copine avec qui elle était en visio avant le dîner ? Bizarre. (mère bien relou)
“Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous vous racontez quoi, les filles ?
(fille qui hausse un sourcil)
Ah mais on discute pas, on travaille.”
Alors d’accord, nous sommes dans une période particulière. Confinement, déconfinement, reconfinement, lycée en mi-jauge… Bien sûr, les circonstances actuelles font qu’il est bien plus compliqué d’avoir une attitude restrictive concernant les écrans puisque c’est devenu quasiment leur seule vie sociale. Pour autant, faut-il lâcher l’affaire ?
La question du smartphone déclenche de nombreux questionnements. J’omets volontairement la question de l’exposition à un contenu indésirable, dont Valérie de Minvielle a déjà parlé dans un article, pour me concentrer sur son usage excessif.
Quel est mon rapport à l’autorité avec un ou une adolescent(e) ?
Devoir réguler la consommation de téléphone portable avec son grand, c’est accepter de rentrer en conflit avec une personne pas encore adulte, mais plus tout à fait enfant, capable de s’opposer, d’argumenter, de refuser. Pas toujours confortable. Or à cet âge, même s’ils sont grands et prêts pour davantage d’autonomie, cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à imposer certaines de nos décisions. Ils ont besoin que nous les aidions à réguler ce lien très fort qui les unit à leur doudou numérique.
- Est-ce que j’assume de devoir, parfois, prendre des décisions qui vont mettre ma fille en rogne, comme lui enlever son portable durant les devoirs ?
- Qu’est-ce que cela vient titiller chez moi, si je ne le sens pas trop ?
- Est-ce que je me sens légitime à exercer l’autorité (juste et raisonnable) envers mon enfant ? Sans flicage excessif, mais sans naïveté non plus.
À la source de cette question, il y a celle du dialogue qui existe déjà avec mon ado.
Est-ce que je parle avec lui ou elle, de son avenir, de ses souhaits, de ce qu’il aime, de comment il se projette, de ses motivations ? Si j’ouvre la conversation juste pour lui reprocher son usage du téléphone, il y a des chances que cela coince. Quelle est la qualité de ma relation avec lui ? Est-ce que je prends le temps de connaître ce futur adulte un peu mystérieux ?
Est-ce que l’usage du téléphone est problématique dans sa vie quotidienne ?
L’utilise-t-il au détriment de ses devoirs, de sa participation à la vie familiale, de son sommeil ? Si oui, il y a des mesures à prendre pour ré-équilibrer la relation au téléphone.
Quel exemple est-ce que je lui montre pour ma propre consommation d’écrans ? Est-ce que je suis moi-même capable de ne pas l’avoir tout le temps à portée de main ?
Ça, c’est la question qui tue, parce qu’assez souvent, nous les parents ne sommes pas si exemplaires. Est-ce que j’accours vers mon portable à la moindre notification ? “@amanda_9236 a aimé votre publication” Ah, en effet, c’est important. Est-ce que je montre l’exemple de la déconnexion, des notifications en mode silencieux, du portable jamais à table ?
Comment en parler avec mon enfant ?
Il me semble que les enfants sont tout à fait capables d’entendre notre discours de parents sur le téléphone, si le discours se passe dans la sérénité et le respect. On peut tenter un “j’ai remarqué que…” (c’est un peu difficile à l’école en ce moment au niveau de tes résultats / tu sembles fatigué le matin, est-ce que tu es maintenu éveillé par ton téléphone ? / je te trouve bien silencieux, j’aimerais qu’on discute ensemble de ta vie en ce moment…).
Disons qu’il est bénéfique que la discussion se passe dans un esprit de “discipline positive” plutôt que de carotte et de bâton.
La fois où nous avons abordé la question avec nos deux grands, nous avons été assez étonnés de leurs réactions. Notre garçon nous a dit spontanément :
« À votre époque, c’était mieux, vous sortiez jouer avec vos copains, nous on est en train de s’envoyer des messages depuis nos téléphones, c’est nul.”
Et ma fille, une fois que nous discutions sérieusement mais tranquillement quand même, de son utilisation excessive du portable, m’a dit :
“Ce truc, c’est une drogue”.
Les enfants sont donc tout à fait clairvoyants : ne manquons pas de saisir la perche qu’ils nous tendent, quand nous prenons le temps de creuser le sujet avec eux. Et comme il faut battre le fer tant qu’il est chaud… Action ! Mettons en place quelques mesures limitatives, toujours avec bienveillance et en expliquant le pourquoi de notre décision.