Chère Fabuleuse,
J’ai honte de te l’avouer, mais…
… j’ai peur des professionnelles de l’école où sont scolarisés mes enfants.
J’ai toujours l’impression de mal m’y prendre, je suis à 90 % du temps absente lors des multiples réunions de rentrée ou de préparation des voyages de classe, il m’arrive d’être en retard et de ne pas rendre les papiers en temps et en heure. L’une des personnes qui encadrent mes enfants a bien compris à qui elle avait affaire, elle m’appelle même « maman Agathe » en fronçant les sourcils. Ça te fait rire ? Eh bien moi, non, et j’en suis venue à me demander comment j’ai pu laisser notre relation glisser jusqu’à ce point. Il y a bien sûr de nombreux facteurs, dont cette familiarité bon enfant à laquelle je me suis laissée aller, au tout début.
Cependant, un jour, j’ai eu le courage de remettre les choses à plat :
cela faisait deux jours que ma dernière ne trouvait pas son cartable au moment de partir à l’école. Elle est en moyenne section, il y a un cahier et un feutre rose dedans, bref, je n’en faisais pas une affaire d’État, me disant qu’il devait se trouver dans le coffre de mon Fabuleux. En arrivant devant la classe de ma fille ce jour-là, l’encadrante a planté ses deux mains sur ses hanches et m’a dit :
– Dites donc, maman Agathe, il n’y aurait pas un problème avec le cartable de votre fille ?
Moi, d’une petite voix que j’essaie de rendre bien assurée :
– Oui, il doit être dans la voiture de son papa.
– Pas du tout, me répond mon interlocutrice, il a été retrouvé sur le parking et ramené par une dame !
– Oups, il a dû tomber au moment où j’ai fermé les portières coulissantes.
– AH BAH BRAVO, MAMAN AGATHE, me répond cette dame en tapant bien fort dans ses mains, devant la file de parents qui attendaient derrière moi de déposer leur enfant.
Mon sang n’a fait qu’un tour et j’ai posé une main ferme sur les siennes en lui disant :
– Ça suffit, je ne suis pas une enfant de quatre ans.
BIIIIM, CHEH, comme dirait mon fils aîné.
J’étais toute tremblante de mon impudence, de mon courage, de cette limite claire que j’avais su imposer. J’ai aussitôt appelé ma copine maman-de-l’école pour lui dire que, enfin, j’avais su exprimer mon malaise d’être traitée comme une petite fille et que je me demandais bien comment on en était arrivées là. Cette amie m’a répondu dans un grand éclat de rire :
– Bah, ma poulette, en même temps tu te justifies pour tout ! Elle n’a fait que prendre le rôle que tu lui offrais.
Ça m’a coupé la chique. Il est vrai que mon Fabuleux me dit souvent :
« Mais ma chérie, cesse de t’excuser de demander pardon ! ».
Cette posture de contrition permanente est assez étrange, parce que ma propre mère m’appelle « la cheftaine », ce qui semble assez peu compatible avec ce « excusez-moi de vous demander pardon ». Dans mon boulot, je trace, dans mes responsabilités associatives, aussi. Pourtant, il y a quelques domaines dans lesquels je redeviens cette petite chose qui a peur de déranger et de ne pas être conforme : à l’école de mes enfants et devant le médecin qui les suit. En gros, ces moments où il est facile de toucher en plein cœur la maman que je suis et la petite fille que j’étais. Ces moments de vulnérabilité pendant lesquels ma plus grande crainte est de ne pas être validée comme « suffisamment compétente ».
Chez les Fabuleuses, il y a bien longtemps que l’on dit que la maternité est un moment de vulnérabilité immense,
qu’il fait ressortir en nous la petite fille blessée, que la fatigue accumulée et le sentiment d’incompétence peuvent nous fragiliser. Cette amie au téléphone n’a pas mâché ses mots et m’a dit que cette tentation de la justification est assez révélatrice d’un sentiment d’insécurité. En gros, j’essaie d’obtenir la clémence de mes juges et censeurs, en me livrant à une véritable plaidoirie pour ma cause perdue. Sauf qu’en agissant ainsi, je crée une relation dominant-dominé qui peut réveiller chez l’autre un désir de soumettre, et voilà comment je nous place dans un jeu de rôle délétère qui finit par m’abîmer alors que je voulais me protéger. Mais finalement, me retrouver écrabouillée sous le pied de celui devant qui je me répands en excuses, n’est-ce pas ce que je cherche, pour me prouver que, bah voilà, dans ce domaine de ma vie je suis vraiment nulle de chez nulle et la preuve, c’est qu’on m’écrabouille.
Chère Fabuleuse, est-ce que toi aussi, tu plaides ta cause en te répandant en justifications,
et tu t’étonnes qu’au lieu de te tendre une main secourable, ton interlocuteur appuie encore plus fort là où tu as mal ? Je comprends ton désarroi et cette espèce d’incapacité que tu as à ne PAS te justifier. Pourtant la Queen Victoria le disait elle-même : « never complain, never explain ». Ce n’est pas être malpolie que de dire « Merci de m’avoir attendue » plutôt que « Nan mais en fait je suis en retard parce qu’on avait perdu la deuxième chaussure de Marie-Cunégonde, et au moment de partir, bah j’ai pas trouvé mes clés, quelle quiche, hein, et donc je suis à la bourre, comme à chaque fois qu’il est expressément demandé d’être ponctuelle. » Pourtant ces mots de contrition me brûlent les lèvres et je me sens presque mal de ne pas les prononcer. Reproduire un schéma bien connu qui nous blesse est parfois plus facile que de changer de mode de fonctionnement : au moins, on connaît le mécanisme.
Chère Fabuleuse, j’ai une compassion infinie pour toi,
parce qu’on se comprend et que je rage à l’idée que d’autres s’engouffrent dans tes brèches pour assurer leur position dominante. Je t’encourage, je t’exhorte à fuir ce schéma relationnel (et je sais que c’est difficile parce que j’ai tellement de mal, moi aussi). Non, tu ne vas pas être rejetée par le groupe. Non, on ne va pas penser que tu es gonflée (et même si on le pense tout bas, ça sera avec une pointe d’admiration). Non, tu ne mérites pas d’être écrabouillée, surtout dans le domaine de la maternité où tout le monde patauge à un moment où un autre. Tu es respectable, tu es digne, tu fais des erreurs et ce n’est pas la fin du monde, tu ne déranges pas les autres, tu ne fais pas tache, tu t’en sors bien.