Un jour une amie m’a dit « merci »
de ne pas l’avoir jugée en tant que mère à l’époque où sa fille (du même âge que la mienne) n’écoutait pas les consignes du cours de sport et ne faisait les exercices qu’à moitié tandis que la mienne les suivait à la lettre. Ce jour-là je me suis contentée de répondre : « Mais évidemment, enfin ! ». C’était vrai, la juger pour la turbulence de sa fille ne m’était pas venu à l’idée, mais c’était bien loin de représenter cette période avec justesse. Ce que j’aurais dû répondre, ce que j’aurais voulu dire, c’était plutôt :
« Merci de ne pas m’avoir jugée, moi, en tant que femme ».
Au moment où elle craignait mon jugement, ce que je ressentais, moi, c’était de l’admiration pour elle. Je ne l’avais jamais vue autrement que parfaitement coiffée, bien maquillée, joliment vêtue. À cette époque-là, moi, je ressemblais à un saucisson dans mon jogging. J’avais des cernes, le teint pâle, mon visage n’avait pas vu l’ombre d’un fard à paupières (ni de tout autre fard d’ailleurs) depuis longtemps et j’avais la queue de cheval invariablement décoiffée (c’est ce concept qui consiste en une queue de cheval parfaite quand vous sortez de chez vous, avec quelques cheveux qui s’en échappent sur le chemin puis une nuée de mèches hors de l’élastique lorsque vous arrivez à destination ; vous voyez de quoi je parle ?). Je me sentais comme un vieux balai aux poils défraîchis (un gros balai, d’ailleurs) qu’on aurait oublié dans un coin depuis des décennies.
Si j’avais voulu lui ressembler, voilà ce qu’aurait été ma matinée-type :
réveil à 5 h du mat’, préparation, vomi de ma fille, nouvelle douche, nouveau maquillage, doigts grassouillets (ou graisseux ?) de ma fille sur robe blanche, changement pour jupe fendue, accroupissement pour aller chercher la sucette sous le canapé, jupe tout à coup beaucoup trop fendue, désespoir, défaite par KO… Je n’aurais jamais eu la force de persévérer jusqu’au stade de la défaite, j’aurais déclaré forfait bien avant. La conclusion à cette époque avait été sans appel : autant ne pas essayer. S’infliger cet échec couru d’avance aurait été du masochisme.
Puis les mois avaient passé ; j’avais franchi une étape, puis une autre, pas à pas : coiffeur, shopping, esthéticienne…
jusqu’à cet aveu de mon amie qui m’a brutalement montré le chemin parcouru.
Je n’ai jamais retrouvé mon apparence « d’avant grossesse », mais aujourd’hui je me sens bien dans ma peau et surtout je me sens enfin mère et femme à la fois. Que mon amie puisse avoir, ne serait-ce qu’un instant, envié la mère que j’étais à l’époque m’a surprise et attristée. Pendant qu’elle complexait sur la mère qu’elle était, je me morfondais sur l’image de femme que je renvoyais. Si j’avais trouvé la force, à l’époque, de lui dire combien j’admirais la femme qu’elle était (tout en étant à ses yeux une maman géniale), elle m’aurait probablement avoué qu’elle admirait la mère que j’étais (tout en étant à mes yeux une femme super). Cela nous aurait permis de réaliser cette vérité qui nous échappait alors :