C’est vrai ça, de quoi tu te mêles ?
Pourquoi irais-tu parler à cette maman toute blême devant l’école et qui a l’air tellement fatiguée ?
Pourquoi irais-tu aborder celle qui accompagne son petit garçon handicapé à l’école, et qui repart rapidement, sans jeter de coup d’œil ni à gauche, ni à droite, parce qu’elle n’en peut plus de l’insouciance des autres et qu’elle veut oublier la vie dont elle rêvait avant ?
Pourquoi parlerais-tu à cette voisine, celle que tu entends s’engueuler tous les soirs avec son mari et dont le bébé de trois mois hurle sans arrêt ?
Parce que toi, chère fabuleuse, tu peux faire quelque chose pour chacune d’entre elles.
Tu as traversé, ou tu traverses encore, la grande épreuve qu’est la maternité.
- Tu as connu l’angoisse à l’idée d’accoucher ;
- Tu as connu le périnée en vrac, les allaitements foireux, le reflux qui gâche tes journées et tes nuits, les coliques interminables ;
- Tu es passée par ces nuits sans sommeil, à tenir contre toi un nouveau-né qui ne parvenait à dormir que dans tes bras, tu as pleuré de fatigue, assise dans ta cuisine, assommée par ton quotidien qui tourne en boucle comme un disque grinçant qui te rendait folle ;
- Tu as connu les matins à la bourre, à courir pour arriver avant la fermeture des portes de l’école, parce que ton enfant refusait de s’habiller ;
- Tu as appris la maladie de ton enfant, le handicap qui t’est tombé dessus comme une enclume sur la tête et t’a laissée sans voix, sans pleurs, sidérée de chagrin. Tu as passé des coups de fils, des tonnes de coups de fils, au pédiatre, à la psy, à l’orthophoniste, au généticien ;
- Tu t’es battue pour qu’il mange autre chose que des chips et des bonbons, pour qu’il se brosse les dents, pour qu’il mettre ce foutu bonnet quand il fait froid ;
- Tu as lutté pour que rentrent dans sa tête p+a = pa, 4+4 = 8…
- Tu as serré les poings et les mâchoires, blanche de rage et d’épuisement, quand ton enfant enchaînait les crises de colère et que tu ne savais plus quoi faire ;
- Tu as passé des soirées aux urgences pédiatriques, tu es allée chercher du Doliprane ou de la lotion anti-poux à 20h30 un dimanche, à la pharmacie de garde.
Et après, tu prétends que tu ne sais pas, que ça ne servirait à rien, que tu n’as rien à apporter… ?
Pourtant, tes enfants sont toujours vivants, normalement pénibles, et tu les aimes. Bref, on peut considérer que tu as brillamment réussi !
Tu as même atteint le niveau « Expert » !
Il n’y a pas beaucoup de personnes aussi qualifiées que toi pour se mêler, avec bienveillance et discrétion, des difficultés des autres.
Toute cette grande expérience de vie, acquise au fil des jours de ta vie de mère, tu peux en faire profiter d’autres parents.
Ne sous-estime pas la puissance du fabuleux témoignage de ta vie de mère ordinaire.
C’est quoi, en fait, se mêler de la vie des autres ? Sûrement pas se délecter de leurs difficultés ni les raconter avec gourmandise à d’autres ;
Ce n’est pas non plus de se substituer au médecin ni aux services sociaux en faisant des tas de démarches à la place de la personne que tu aides. Non : tu n’es pas le sauveur !
C’est juste donner un petit coup de pouce, un aiguillage, une piste de réflexion, un encouragement, un signe d’intérêt, un peu de chaleur et de bienveillance.
Nul besoin d’être pédiatre ou psychologue pour apporter de l’aide ou du réconfort à une maman en souffrance. Les professionnels n’ont pas non plus une vie parfaite et exempte de difficultés personnelles, pas plus que toi. Ta confiance en toi est défaillante ? Dis-toi que certaines sont tellement peu sûres d’elles-mêmes qu’elles hésitent longtemps – ou toujours – à franchir le cap de la maternité.
Il faut juste oser faire un petit pas au-delà de sa peur.
De la peur de gêner, de la peur d’être indiscrète, de la peur du regard des autres, de la peur de se faire rembarrer, de la peur de notre supposée incompétence… Cette peur nous musèle, elle bride notre authenticité et nous empêche d’offrir notre soutien à toutes celles qui en ont besoin. Échanger quelques mots, reconnaître une maman jour après jour et échanger un sourire avec elle, lui adresser la parole, rompre sa solitude, s’intéresser à ce petit copain de ton fils, celui qui est un peu bizarre et n’est jamais invité aux anniversaires.
Alors certes, tes quelques mots ne vont pas changer radicalement la vie de cette fabuleuse qui s’ignore. Mais sans doute qu’ils vont lui apporter de la légèreté, une petite bulle d’optimisme qui rendra sa journée plus joyeuse ou la rendra plus patiente avec son enfant.
- Peut-être que cette petite discussion lui donnera l’impulsion nécessaire pour parler à quelqu’un de son mal-être ;
- Peut-être que tu lui redonneras confiance dans les autres,
- Peut-être que tu l’aideras à sortir de l’isolement ;
- Peut-être qu’en voyant ce que tu as vécu, et comment tu l’as surmonté, elle croira de nouveau que c’est possible.
Et peut-être que toi, la maman en jean et baskets qui n’a pas eu le temps de te maquiller – encore une fois – ce matin, d’apparence normale mais fabuleuse dans ton cœur, tu auras été le petit signe de la providence, placé là, à ce moment précis de sa vie, qui fera tout changer.