Victimisation maximale et mode ouin-ouin activé ? Pas du tout, chère Fabuleuse : ce titre est la reprise d’une mignonnerie sortie de la bouche de mon fils aîné lorsqu’il avait deux ans. En effet, à l’époque, nous jouions au jeu de « C’est qui la plus belle ? », à quoi mon petit amour sur cuissots dodus répondait, tout fier : « C’est maman ! ». Le jour où il a commencé à faire lui-même les questions et les réponses, ce petit dialogue trop chou a glissé vers « C’est qui la pou belle ? C’est maman ! ». Crise de rire de mon Fabuleux et moi.
Cependant, de la « plus belle » à « la poubelle », il n’y a qu’un pas, et je disais il y a quelques jours à mon amoureux :
– C’est HOrrible (avec l’accent sur Ho !), j’ai envie de me foutre à la poubelle.
Ça aurait pu être pire, j’aurais pu vouloir me foutre une baffe, par exemple. Était-ce le fruit d’un amer constat sur le plissé de mes paupières, lié à mon hygiène corporelle ou au fait que je me sentais périmée ? Point du tout, j’avais simplement :
- confondu les deadlines pour rendre l’intégralité des textes d’un magazine pour lequel nous sommes bénévoles (deux mois de retard dans la vue, bim)
- blessé une amie sans le vouloir
- oublié d’acheter un truc pour le dîner du rugby (« t’as qu’à apporter les clémentines »), et mon fils s’est fait traiter de radin par ma très grande faute 😔
Ennuyeux, oui. Tragique ? Pas vraiment.
Alors pourquoi ce désir très puissant de vouloir plonger dans la cuvette des toilettes et de tirer la chasse d’eau, ou de sauter à pieds joints dans la poubelle de la cuisine et de refermer le couvercle ensuite ? Pourquoi sommes-nous si promptes à nous sentir « comme une merde » pour des motifs si peu dramatiques ?
Il est bien sûr possible, et commode, d’incriminer ces failles narcissiques dans lesquelles se glissent la moindre de nos défaillances.
Oui, notre estime de nous est un peu fissurée, rafistolée, recousue, elle se construit, s’abîme et cicatrise au gré de notre chemin de vie.
Je la visualise comme une balle en cuir, dans le genre baseball. Elle a vécu, cette balle, elle a roulé sa bosse et elle continue. Finalement, lorsque je dis et ressens quelque chose d’aussi disproportionné que « J’ai envie de me foutre à la poubelle », je fais le geste de la lancer fort contre un mur, cette estime de soi… pour mieux me rassurer. Elle me revient entière, un poil égratignée mais pas tant que ça, parce qu’elle a une propriété incroyable, que j’ai besoin d’éprouver lorsque je me sens bof-bof : elle est élastique. Elle est résiliente. Et si elle résiste à mes gestes rageurs pour des motifs presque anodins, ça signifie qu’elle tiendra le coup pour les choses plus graves. Mon petit drama est une sorte d’exercice de sécurité pour vérifier qu’elle tient bien le coup.
D’ailleurs, le lendemain, souvent, elle a bien fait son boulot : je me sens beaucoup moins poubelle !
Mais j’aime bien pousser des cris et me sentir archinulle parce que j’ai cette petite certitude bien ancrée : chaque chose va bientôt reprendre de justes proportions, rien de ceci n’est grave, je peux jouer à me faire peur et à me détester l’espace de quelques minutes. Cela évoque pour moi cette phrase exaspérante que se chuchotent les mamans à la sortie de l’école : « Si Djézonne est insupportable avec moi, c’est parce qu’il se sent en sécurité, en réalité c’est une marque de confiance ». OK, je fais ma Djézonne, parfois, moi aussi. Je suis à deux doigts dans ces moments-là de chanter, avec l’accent de Dalida « Laissez-moi dramatiseeeeeeeer » (oui, il faut un peu massacrer la rythmique pour que tout rentre). C’est bien parce que tout va bien autour de moi que je m’autorise à gémir dans l’oreille de mon mari « J’ai envie de me foutre à la poubelle ». Ce à quoi il répond, très pragmatique : « ça va passer ».
Chère Fabuleuse, si tu as envie de te foutre à la poubelle (et uniquement à la poubelle, pas de blague), peut-être que ces quelques affirmations te permettront de prendre un peu de recul :
- Il y a de fortes chances que demain matin, tout ceci te semble moins catastrophique
- Ce ne sont pas ces trois ou quatre galères qui définissent l’ensemble de ta vie
- De « poubelle » à « plus belle », il n’y a qu’un tout petit pas