Un début d’après-midi de la semaine dernière. Les enfants étant à l’école, c’est donc tout naturellement que je me retrouve dans mon bureau pour me faire les ongles travailler devant mon ordinateur.
Une notification reçue sur mon smartphone trouble subitement ma concentration. Je jette un œil : c’est juste un SMS. Je regarderai plus tard, trop de choses à boucler d’ici la sortie de l’école. Mais un détail me turlupine : je ne connais pas l’expéditeur. Intriguée, je déverrouille donc mon téléphone pour prendre connaissance du texte.
C’est la maîtresse de Numérobis.
Ça ne sent pas bon.
“Bonjour, Je suis désolée mais Numérobis s’est coupé les cheveux. Ce matin, je m’occupais d’un groupe et l’ATSEM d’un autre, Numérobis a récupéré une paire de ciseaux sur une table et s’est coupé les cheveux ! Il a pleuré et avait honte, je lui ai dit que le principal c’est qu’il ne refasse pas deux fois la même bêtise. Bon après-midi”
Je confirme, ça sent carrément mauvais.
Il y a même une photo. Je l’ouvre. Oh put%^*$n de m*$&#de, il s’est carrément scalpé. Un trou d’un rayon de 5 centimètres. Les cheveux coupés à ras. Genre 2 millimètres. La couche ouverte dans la chambre d’hôtel, c’était presque un entraînement à côté de ÇA.
Je respire un bon coup tout en relisant le texto de la maîtresse. Dans ce genre de moment, il vaut mieux ventiler.
Et là, je souris.
- Gratitude pour l’institutrice qui a pris le temps de me prévenir et de rassurer mon zébulon préféré.
- Gratitude car il ne s’est pas blessé (le connaissant, il aurait pu s’entailler le cuir chevelu ou, pris dans le feu de l’action, se blesser à un œil).
Je passe un rapide coup de fil à mon mari. Gratitude, encore : il décroche.
« C’est une chance qu’il n’ait pas attaqué la tignasse de sa camarade ! »
Gratitude, toujours.
Ensemble, nous établissons un plan d’action : à la sortie de l’école, rassurer le petit bêtisier plutôt que lui mettre le nez dans son impair. À la tête qu’il fait sur la photo, le pauvre a l’air complètement abattu et sa mine respire la culpabilité du voleur pris la main dans le sac.
Deux heures plus tard, devant le portail de l’école, je rassure et je câline. À travers mon masque, je souris à la maîtresse dont la gêne est visible. Je prends le temps de lui préciser que je ne lui en veux absolument pas, que cela aurait tout aussi bien pu se produire à la maison. Je connais mon fiston et son expérimentation créative sans limites.
Presque assise sur le trottoir, je murmure à mon iroquois préféré que je ne suis pas fâchée mais qu’il ne faut pas recommencer, promis ?
« Promis, maman »
Les trémolos dans sa voix aiguë achèvent de me faire fondre, tout comme ils évacuent toute crainte de ce que pourraient bien penser la vingtaine de parents devant lesquels je me trouve accroupie.
Évidemment, pas besoin de préciser que TOUT LE MONDE nous regarde. Eh bien, croyez-le ou pas, je n’ai vu que les sourires, les mines sincèrement embêtées pour moi et mon loustic, et aussi, disons-le, soulagées de ne pas être à ma place.
Je me mets même à plaisanter avec certains d’entre eux que je connais un peu :
« Oui, il a voulu jouer au coiffeur puisque tous les salons sont fermés ! »
« Sympa, la tendance automne 2020, non ? »
« Bon, je suis rassurée qu’il ne se soit pas testé sur les jolies boucles blondes de votre fille ^^! »
En m’éloignant de l’école, sa petite pogne un peu poisseuse dans la main, je suis presque fière.
Oui, fière.
- Parce que je n’ai pas donné plus d’importance aux regards des parents qu’à l’état émotionnel de mon fils.
- Parce que je n’ai pas sombré dans la colère ni l’apitoiement, mais que je me suis raccrochée presqu’immédiatmeent à la gratitude.
- Parce que j’ai mesuré le chemin parcouru : il y a quelques années, j’aurais vécu ce moment comme une épreuve.
Sur le chemin, du retour, alors que Numérobis grignote un gâteau sec, je me suis offert un joli cadeau : un moment « rétroviseur ». L’espace d’un instant, j’ai pu estimer la valeur de tous les petits pas opérés depuis ce sombre matin de décembre où je me suis inscrite au mail du matin des Fabuleuses.
Alors, gratitude pour le scalp ? Presque !
P.S. Chère Fabuleuse, je me dois ici de te donner quelques précisions techniques sur l’épilogue de ce sabotage capillaire : mon Fabuleux a fini par dégainer la tondeuse afin d’égaliser le désastre. Numérobis se retrouve donc avec une vraie coupe de G.I (ou de moine tibétain, selon l’image qui te parle le plus ^^). Vive les bonnets d’hiver !