Il y a quelques mois, je suis allée respirer l’odeur des cahiers neufs avec mon fils. Nous avons acheté des fournitures scolaires, comme toutes ces mamans, qui, début septembre, se pressaient pour préparer le cartable de rentrée de leurs enfants. Sauf que cette année encore, c’est moi qui ai fait ma rentrée ! Je suis une maman étudiante. J’ai été en cours de sciences politiques avec mon gros ventre, sous les yeux étonnés, incrédules, amusés, parfois moqueurs, souvent gentils.
J’ai eu aussi ces sourires admiratifs qui vous font réaliser le caractère peu commun de la situation et qui vous apprennent que vous êtes, déjà, une fabuleuse…
Je suis allée travailler à la bibliothèque de mon université avec mon nouveau-né blotti contre moi dans son porte bébé.
J’ai même allaité dans le hall de Sciences Po, expérience particulièrement amusante puisque l’appariteur m’a demandé de quitter les lieux : de toute évidence, je ne pouvais pas être étudiante dans cet établissement.
Il m’est arrivé d’aller à Sciences Po avec mon enfant dans sa poussette, le sac à main craquant sous le poids des livres à rapporter à la bibliothèque et de demander à la responsable de la cafèt de me réchauffer un biberon ou un petit pot. Bien sûr, elle a pensé que j’étais sa baby sitter.
J’ai aussi bossé à des heures bizarres, galérant un peu pour suivre ma règle du « no job at home » en repartant, une fois mon mari à la maison, faire les nocturnes de la bibliothèque quand j’étais trop en retard dans mon travail.
J’ai surtout eu la fierté de pouvoir écrire sur cette première page de mon mémoire de recherche : « A mon fils, pour son premier anniversaire ».
Il m’est souvent arrivé d’entendre des femmes dire qu’avoir un enfant les avait encore plus « boostée » dans leur carrière ou dans leurs projets.
Devenir mère a « intensifié » mon rapport aux études.
La maternité m’a fait percevoir la densité de ce que Nietzsche exprime dans le Gai Savoir lorsqu’il dit que le but de la philosophie est de découvrir la complicité entre le Savoir et la Vie. La philosophie est traversée par la quête intellectuelle du sens de l’existence ; j’ai le sentiment aujourd’hui de chercher à traduire intellectuellement ce que la maternité m’a fait effleurer, comme une intuition cherche à s’exprimer.
Je pense souvent à toutes ces fabuleuses, qui ont déjà pleinement expérimenté le sens de ce que des vieux bonhommes mettent 500 pages à expliquer…
Quelle est la vraie vie d’une maman étudiante en dehors de ces images que l’on peut retrouver dans une comédie américaine ?
Je crois pouvoir en dire que c’est une vie intense, mais parfois solitaire.
Vos camarades qui vous pressent de prendre un pot après la sortie de cours alors que bien sûr, vous ne pensez qu’à votre petit bout qui vous a réclamé toute la journée (ou du moins, c’est ce que vous vous imaginez). Qui croient que maintenant que vous êtes maman, vous n’avez plus d’autres projets ou que vous avez assez de problèmes comme cela pour qu’on ne vienne pas vous parler des siens.
Je me souviendrais toujours de cette réaction d’une camarade apprenant ma grossesse : « Trente ans de féminisme pour ça ! » (Promis, j’en ferais un livre de cette remarque). Et d’un autre : « Ah, super, tu vas pouvoir t’occuper maintenant ! ».
Vos professeurs, qui d’un coup, vous prennent un peu moins au sérieux quand vous leur parlez de votre désir de poursuivre en doctorat : « Vous ne voulez pas un deuxième ? ».
Vos copines mamans qui ne comprennent pas non plus toujours très bien, ni votre rythme éloigné du leur, ni le fait que vous ne souffrez pas d’être encore étudiante (« Ma pauvre ! Vivement que tu aies terminé ! ») Qui ne comprennent pas que, sans rire, ça vous fait intensément vibrer de ne plus penser à rien d’autre, pendant 2h, qu’à la théorie kelsenienne et que même si vous aimez fort votre enfant, écouter ce prof vous parler de Marx est une des plus belles choses de votre journée.
Depuis que j’ai la joie d’être maman, je me sens des aptitudes de funambule entre deux mondes.
Celui de mon université, qui comprend le féminisme comme une libération des individus de sexe féminin de la « domination naturelle ». Comprenez en français que la maternité est un joug. Elle est ce dernier bastion des « tâches » que les femmes ne peuvent partager à égalité avec les hommes, d’où les « trente ans de féminisme pour ça ».
A minima, on vous assènera qu’un enfant ne peut être vraiment désiré s’il arrive avant que vous ayez entamé votre carrière et garanti votre indépendance financière.
Bref, un monde dans lequel la maternité comme une richesse spécifique des femmes n’est pas comprise.
Et cet autre monde des « parents » à temps plein où, parfois, il arrive que l’on réduise la fécondité à la fertilité : le simple fait d’avoir des enfants et les élever doit suffire à vous combler, puisque vous êtes faite pour ça.
Un monde où l’on oublie souvent que le foyer réalise pleinement la mère, mais pas entièrement la femme.
Je ne suis pas encore tombée de mon fil. Mais je rêve du jour où l’association féministe « Osez le féminisme » dira « Osez la maternité », et j’espère que ce jour-là, toute maman pourra dire qu’elle aime ses enfants « et aussi…».