La journée avait bien commencé. J’avais réveillé mes enfants avant l’école – eh oui, l’époque est révolue où ils venaient sauter sur mon lit à 6h du matin, à présent je dois les extirper de leur sommeil – et j’ouvrais les volets et les fenêtres en grand pour laisser entrer la douceur de cette matinée printanière. Le café coulait en ronronnant et diffusait son parfum stimulant. Le hamster finissait de tourner dans sa roue, après une nuit agitée. Mon mari venait de m’envoyer un SMS plein d’amour.
Je ne sais pas ce qui a pu se passer pour que tout ça tourne au vinaigre.
Ou plutôt, j’ai ma petite idée : un bol plein de cornflakes et de lait qui, je ne sais par quel mystère, se fracasse sur le sol, un préado qui a décidé qu’il avait laaargement le temps, alors que non. Un petit bonhomme qui a fait un choix vestimentaire discutable – non, on n’est pas encore en été, tu ne vas pas à l’école en short, marcel et tongs ! – et qui réplique que si, parce que maîtresse a dit qu’il ferait beau demain pour “l’école de la forêt”. Un autre SMS de mon mari qui m’annonce qu’il avait oublié de me dire qu’il ne pourrait pas récupérer Loustic après son activité extrascolaire. Et la goutte qui a fait déborder le vase : le filtre de la cafetière qui se retourne et déverse le marc dans ma potion magique du matin…
Trop, c’était trop.
Évidemment, j’arrivais très probablement à saturation dans une semaine plus que remplie mais que j’avais réussi à gérer jusque là. Non, je n’avais pas mes règles à ce moment-là, mais en effet, ça aurait pu être pire. Quelque chose a vrillé dans ma tête, et la méditation au lever du soleil n’a rien pu y faire. Je me suis alors sentie comme les personnages de dessin animé qui rougissent des pieds à la tête et qui ont de la fumée qui sort par les oreilles. J’ai lancé une phrase du style “Mais qu’est-ce qui se passe ici à la fin ? C’est un complot contre moi, c’est ça ?”. L’onde de choc a réveillé le hamster qui est reparti de plus belle dans sa roue. C’est là que je me suis dit que j’aurais dû refermer les fenêtres avant d’utiliser mes cordes vocales à plein régime, mais le mal était fait.
J’ai alors décidé de faire une pause, là, tout de suite,
dans ma journée de travail de maman qui avait pris une drôle de tournure. Pourquoi pas une journée entière, tiens ? L’idée d’un jour férié, à marquer dans le calendrier, a commencé à germer dans mon esprit surmené, et m’a fait sourire.
Parce que oui, le foyer est un lieu de travail !
Sauf qu’à la maison, il n’y a pas de pause, pas de salaire, pas de reconnaissance.
Il y a les mamans qui sont à temps plein auprès de leurs enfants et celles qui y sont à temps partiel, mais dans tous les cas, c’est du 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les sollicitations, les revendications, les interruptions, les questions, les besoins en tous genres… Il n’y a pas de répit pour les mamans ! Alors, pourquoi ne pas s’accorder un jour férié, aux côtés de tous les travailleurs dignes de ce nom ?
Après tout, le 1er mai fête les travailleurs, alors pourquoi les mamans ne participeraient-elles pas au mouvement ?
Ce jour où l’on commémore les luttes qui ont pris place pour acquérir des droits, pour faire avancer la justice sociale, pourrait aussi représenter celles qui, du matin au soir, et du soir au matin, donnent leurs tripes pour leur progéniture adorée et font passer leurs besoins au second plan, dans une très large proportion des cas.
Ne t’inquiète pas, chère Fabuleuse, je ne suis pas en train de lancer un mouvement, ni un parti politique. Simplement, en ce 1er mai, j’ai une pensée toute spéciale pour toutes celles qui, comme moi de temps en temps, ont bien besoin qu’on leur dise que ce qu’elles font est important, vital, incomparable, précieux, et que ça n’est pas du luxe que de s’accorder des moments “fériés”, des pauses.
Que c’est un vrai travail de prendre soin de ceux qu’on aime,
même si on les aime – justement parce qu’on les aime. Je n’ai pas l’intention, et je suis sûre que tu me rejoins, de revendiquer autre chose que du temps pour moi, des sourires et des câlins. Bon, je ne suis pas contre qu’il y ait un petit peu moins de “ça va, c’est cool d’avoir tous tes mercredis”, et un peu plus de “ce que tu fais n’a pas de prix, merci de le faire”. Mais, dans l’ensemble, je n’attends pas plus que ça.
Le truc, c’est que je ne vais pas attendre que quelqu’un, quelque part, décrète que je mérite une pause.