« Tu l’as voulu ? Tu l'assumes » - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

« Tu l’as voulu ? Tu l’assumes »

maman et son bébé
Marie Lucas Leborgne 15 février 2021
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Tout juste enceinte de mon premier enfant, je me retrouve face à la gynécologue, dont j’attendais à peu près tout pour savoir comment mener à bien cette grossesse.

Sa première question m’a totalement déroutée, glacée :

« Est-ce une grossesse désirée ? »

Je me suis demandée combien de temps j’avais pour réfléchir et pour répondre. Oui, j’ai toujours désiré être mère. Oui, je veux mener à terme cette grossesse. Mais l’arrivée de cet enfant à ce moment précis nous a surpris, moi et mon mari, et a exigé que nous abandonnions plus tôt que prévu notre vie confortable à deux.

Devais-je donc répondre « non » ?

J’ai tout à coup pris conscience que j’étais chez la gynécologue, pas chez le psychologue ou chez ma meilleure amie. J’ai brutalement répondu affirmativement à la question posée, mais je me suis sentie très mal à l’aise. 

Je m’aperçois aujourd’hui que cette question est extrêmement brutale, et qu’en fait la réponse est difficile à donner, car le désir d’enfant est très complexe, jamais totalement univoque. Le consentement en termes de maternité est bancal, puisqu’on ne sait pas à quoi on s’engage, et que la grossesse garde toujours une part de surprise, d’inattendu. Il ne suffit pas d’avoir eu un moyen de contraception pour que la grossesse soit voulue.

La maîtrise de la fécondité a alourdi la responsabilité de la femme.

La maîtrise de la fécondité n’a pas libéré les femmes comme on l’escomptait. Celles qui deviennent mères se sont vues chargées d’un nouveau fardeau : celui de la responsabilité de donner la vie. Puisque je peux ne pas donner la vie, en la donnant, je suis totalement responsable de tout ce qui découlera.

Arrêter de prendre la pilule donne le vertige ; on hésite avant de sauter le pas, on ne sait quand est exactement le bon moment (pour soi, pour son couple, pour sa carrière, pour mon corps, pour mes autres enfants…).

« La maîtrise de la fécondité invite à décider rationnellement ce qui échappe à toute raison », souligne l’historienne Yvonne Knibiehler dans Féminisme et maternité

Mais voilà bien le problème :

On ne peut pas vraiment y réfléchir avant, car avant on ne sait pas ce que cela fait d’être mère, et encore moins ce que cela fait d’être mère de cet enfant-là. Lorsqu’on formule ce désir, on peut se rêver femme épanouie, et se découvrir totalement harassée et angoissée par la charge à porter.

Toute grossesse repose au fond sur une part d’inconscience, nécessaire justement pour devenir mère. Comme si un « halo illusoire » entoure toute maternité, pour reprendre l’expression d’Elisabeth Badinter : « La future mère ne fantasme que sur l’amour et le bonheur. Elle ignore l’autre face de la maternité faite d’épuisement, de frustration, de solitude, voire d’aliénation avec son cortège de culpabilité ».

Cet halo illusoire, qui se dissipe peu à peu après l’accouchement, fait qu’on peut se sentir enfermée dans une situation qu’on n’avait pas exactement voulue comme cela. Sauf qu’il faut bien s’occuper du bébé qu’on a dans les bras – et il est difficile d’assumer l’ambivalence de nos sentiments devant l’impératif d’être heureuse. 

Devenir mère au fond, c’est comme sauter en parachute :

Il faut savoir fermer les yeux. On ne s’y résout jamais sans un brin de folie, à moins que quelqu’un ne vous précipite dans le vide, comme lorsque l’enfant s’« invite » sans qu’on s’y attende. Le parachute exige un lâcher-prise – c’est toujours dans le vide qu’on saute, et on ne peut savoir avant comment nous réagirons. Après le saut et le moment de vol en parachute, où nous sommes comme sur un nuage, l’atterrissage peut être très difficile, et l’on peut se relever avec des membres endoloris ou brisés – et le monde nous regarde :

« Fallait pas sauter, si vous n’étiez pas prêt à en assumer les conséquences ! »

Il y a une principale différence entre celui qui saute en parachute et la mère : on saute pour son amusement propre ; on devient mère non pour soi, mais pour autrui. Et ce détail change tout. 

Je ne suis pas mère d’abord pour mon bonheur.

Lorsque nous décidons d’avoir un enfant, nous le voyons comme un chemin de bonheur. Mais on peut rapidement avoir l’impression de s’être trompés, une fois l’enfant dans nos bras, car notre bonheur et notre tranquillité semblent s’être éloignés de nous avec l’arrivée de l’enfant.

La maternité est d’autant plus difficile que nous sommes dans une société qui fait l’apologie de la liberté, de l’aisance matérielle et de la recherche avant tout du plaisir. Mais la maternité exige un renoncement à un moment de tout cela. L’altruisme que suppose la maternité est en décalage avec l’idéal de la recherche constante de notre propre plaisir que nous propose notre société. Citons encore E. Badinter :

« Dans une civilisation où le « moi d’abord » est érigé en principe, la maternité est un défi, voire une contradiction. […] Le souci de soi doit céder la place à l’oubli de soi et au « je veux tout » succède le « je lui dois tout ».

La maternité, à commencer par la grossesse, exige d’abord l’acceptation du sacrifice de soi, sacrifice de son confort, de son sommeil, de ses soirées, de son budget aussi, de sa liberté de mouvement… autant de choses qui paraissent de plus en plus difficiles. L’écart entre la vie étudiante et de jeune femme au travail, et celle de mère se creuse de plus en plus et nous sommes de moins en moins préparées à nous sacrifier, et que ce sacrifice n’est pas réellement reconnu par la société. 

Pour conclure, parler de la maternité en termes de désir pose problème, dans la mesure justement où l’on ne sait pas trop ce que l’on désire en désirant un enfant, et son arrivée peut nous donner le vertige, et même bien souvent nous faire vaciller.

La femme enceinte ou la mère peut vouloir cet enfant et dans le même temps ne pas le vouloir. 

Il faut déconstruire l’image idyllique que l’on se fait de la maternité, qui peut être fatigante, angoissante – tout aussi bien qu’épanouissante.

Être mère n’est pas nécessairement le plus beau jour de la vie. Mais ce qu’on cherche alors n’est pas d’abord notre bonheur personnel, mais dans le geste le plus altruiste qui puisse être, on cherche celui de l’autre.



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Cet article a été écrit par :
Marie Lucas Leborgne

Professeure agrégée de philosophie et mère de trois enfants, elle vit actuellement à Compiègne. Mère et prof à temps plein, quand il lui reste du temps libre elle continue ses recherches sur le corps féminin en philosophie. Et à ses heures perdues, elle écrit de la fiction jeune adulte. 

Elle a à coeur de porter sur les questions chères aux Fabuleuses un regard philosophique et concret, inspiré de ses lectures et de ses propres questionnements.

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