La météo intérieure de la plupart d’entre nous fait des siennes, depuis mars 2020. Courants violents, vents contraires, avec rafales brutales lors de chaque annonce présidentielle : nombre d’entre nous naviguons à vue. Dans un brouillard épais qui nous permet à peine d’anticiper le prochain iceberg.
J’ai reçu beaucoup de femmes dans mon cabinet de psychologue depuis mars 2020. La pandémie a affecté chacune d’entre elles.
- Certaines ont adopté une autre façon de vivre, plus souple et lente.
- D’autres ont surfé sur ces confinements pour se sortir elles-mêmes d’une prison intérieure dans laquelle elles croupissaient depuis trop longtemps.
- D’autres ont souffert de se sentir entravées à chaque restriction de liberté décidée par notre gouvernement.
- D’autres encore, ont vu tout le système familial dangereusement vaciller, ou se sont effondrées elles-mêmes.
Le point commun entre toutes ces réactions ?
C’est l’explosion des références, du connu, de l’habituel. Celui sur lequel on s’appuie pour pouvoir consacrer notre énergie au reste. Il y a tant de petites choses dont la permanence est précieuse : les horaires de sortie d’école, les jours de nounou, notre lieu de travail, notre environnement de quartier, les visages de notre entourage, les retrouvailles en famille l’été, notre cours de gym du jeudi soir, etc. Ces routines sont nécessaires au déploiement du reste de notre vie. C’est ce qu’on appelle des repères.
Caroline me disait :
« Il y a un an, j’attendais que les rythmes redeviennent “comme avant”, avant le confinement. Maintenant, je ne me souviens même plus de comment je vivais avant. Je vis un perpétuel ajustement, je me sens dans des sables mouvants, j’y passe tout mon temps. »
Chercher de nouvelles occupations pour les enfants quand les vacances ont été décalées, annuler le stage de danse prévu initialement, programmer des jours de télétravail, refaire le planning avec son conjoint, réduire la voilure sur le plan professionnel, déplacer ses rendez-vous, contacter les voisins pour mettre en place des tours de garde le mercredi puisque le centre aéré est fermé :
L’improvisation a pris une grande part dans la vie de la plupart de ces femmes.
Je dirais même plus, nous avons plongé encore plus profondément dans l’ère de l’immédiateté.
- Immédiateté liée à l’urgence de la situation, sans cesse réajustée, mais qui a supplanté tous nos repères.
- Immédiateté dictée déjà par le monde des écrans qui rythment nos journées de notifications, sonneries et sollicitations multiples.
Immédiateté qui nous rend présentes à l’urgence et absentes… à nous-mêmes ?
Oui, nous sommes présentes dans nos foyers plus que jamais ces temps-ci.
Mais ne sommes-nous pas en train de développer une forme de présence-absence ?
« Ah, mes enfants, je les vois beaucoup en ce moment ! », me dit Albane. Plus tard, nous réalisons ensemble que pourtant, elle ne les voit pas comme elle aime. Elle vit à côté d’eux, certes, mais vissée à son téléphone pour ré-organiser encore la semaine.
Un conjoint présent-absent, un parent présent-absent est bien là, physiquement, mais son attention est ailleurs. Et il croit être présent à l’autre, puisqu’il est là. Cette forme de présence-absence atteint la qualité de la relation, et peut affecter la sécurité affective de l’enfant qui fait face à un adulte présent-absent.
Alors je viens vous faire une proposition aujourd’hui.
Même prises dans ce tourbillon d’adaptation, même soumises aux urgences dictées par cette pandémie, comment pourrions-nous troquer l’immédiateté extérieure contre l’immédiateté intérieure ?
Et si vous décidiez de privilégier la réponse à vos besoins à vous, ceux que vous sentez dans votre corps ?
- En allant aux toilettes dès que vous en sentez le besoin par exemple.
- En parlant à votre conjoint du sujet qui vous chiffonne sur le moment, dès qu’il se présente à vos pensées.
- En appliquant la sanction indiquée à vos enfants dès le premier débordement, avant de perdre patience et de vous mettre dans tous vos états.
Faire le choix de rester reliée à vous, comme le marin fait corps avec son bateau, peut vous permettre de rester liée aux autres qui comptent pour vous, et de traverser la tempête en restant debout.
Car plutôt que de s’épuiser à vouloir re-créer sans cesse d’autres repères que ceux qui ne cessent de voler en éclats à chaque nouvelle mesure anti-covid, peut-être trouverez-vous, dans le réinvestissement de votre qualité de présence à ce que vous vivez, un réel appui pour avancer ?
En vous sentant présente à vous, et non dispersée à l’extérieur de vous.
Pour vous sentir un parent vraiment présent, ou vraiment absent par moments. Mais pas présent-absent un peu tout le temps.