Hélène Bonhomme, fondatrice du site Fabuleuses au foyer, est aussi chroniqueuse sur LePoint.fr. Enfants, couple, travail, maison… chaque semaine, elle partage ses impressions sur le quotidien des mères au XXIème siècle. Découvrez sa tribune sur le blog des fabuleuses !
Dans “Une jeunesse sexuellement libérée… ou presque”, Thérèse Hargot dénonce “un féminisme qui s’est retourné contre les femmes elles-mêmes”.
“C’est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ; c’est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète.” (Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe)
Si l’on en croit Thérèse Hargot, sexologue et intervenante en éducation affective et sexuelle, cet héritage beauvoirien a en fait formaté les petites-filles de la révolution sexuelle à penser leur liberté dans une indépendance financière, dans un confort matériel et dans un affranchissement vis-à-vis de l’homme et des enfants.
Féminisme matérialiste
Dans son ouvrage tout juste paru chez Albin Michel (Une jeunesse sexuellement libérée, ou presque), Thérèse Hargot dénonce le “féminisme matérialiste” dont nous héritons :
“L’argent, c’est le pouvoir. Et plus encore, pour tous ceux bercés de féminisme : le travail ne permet pas seulement d’acquérir des biens, il offre aussi une existence sociale. Celui qui ne travaille pas, ne fait rien, il ne possède rien (ni bien ni statuts), il n’est rien. Ce sont donc les conditions matérielles qui déterminent notre existence, notre place dans la société. Depuis plus de cinquante ans, nous sommes imprégnés d’un féminisme en fait matérialiste parfaitement accordé à la société individualiste et consumériste qui est la nôtre.”
“Et toi, tu fais quoi dans la vie ?” “Oh, je ne fais rien. Je m’occupe de mes enfants.”
Pour Thérèse Hargot, la stigmatisation qui symbolise le plus fortement cette conception matérialiste de la liberté est celle dont font l’objet les mères au foyer :
“C’est l’état de la femme soumise à sa famille, l’antimodèle féministe par excellence. C’est certainement le statut le plus socialement dévalorisé, pire que d’être chômeur. Pour être quelqu’un, il faut faire : tout ce qui entrave l’activité économique devient à combattre, au nom de la réussite professionnelle.”
La femme moderne condamnée au silence ?
En exergue du dernier chapitre de l’ouvrage, on peut lire cette formule de Florence Foresti qui résume parfaitement l’héritage décrié par Thérèse Hargot :
“Trois enfants, 30 ans ferme.”
Pour les héritières de la révolution sexuelle, l’enfant est devenu un obstacle majeur à la sacro-sainte indépendance, qui plus est économique. Cette dernière a un prix, selon les propos rapportés par Thérèse Hargot :
“J’ai sacrifié ma vie de famille pour mon travail”, se confie-t-on entre femmes, quand les masquent tombent et que les confidences pleuvent. “Oui mais attendez, vous l’avez choisie, cette carrière ! Alors arrêtez de vous morfondre et soyez heureuse d’être des femmes libres !” “Les femmes de ma génération sont tiraillées. On nous a dit de penser à notre projet professionnel et qu’il fallait travailler pour le réaliser. Mais quand avons-nous été encouragées à penser à notre projet familial ?”
Pour sortir de l’incapacité à élaborer de manière unifiée les différentes aspirations des femmes, il est de bon ton de défendre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale.
“Mais comment y parvenir dès lors que les activités liées à l’éducation et au foyer sont méprisées ? Comment y arriver dès lors qu’on oppose la femme à la mère, la femme à l’épouse, quand bien même il s’agit en fin de compte de la même personne ? Cette conception de la liberté divise intérieurement, oblige à une gestion fragmentée de son temps ; c’est usant.”
S’adapter à un monde d’hommes
“Nous héritons d’un féminisme qui se retourne aujourd’hui contre les femmes elles-mêmes.” Selon Thérèse Hargot, le féminisme a produit le contraire de la libération des femmes : “Plutôt que de modifier la société patriarcale, il s’y est littéralement soumis en encourageant les femmes à s’y adapter. Les institutions se sont effectivement ouvertes aux femmes mais elles n’ont pas changé leur fonctionnement. C’est aux femmes à s’adapter à un monde d’hommes, régi par des hommes, pensé pour les hommes.”
Embrigadés dans le prisme de la consommation et de l’argent, nous serions donc passés à côté du relationnel et de l’humain.
“Servir la cause des femmes ne devrait-il pas consister dans le changement des structures des entreprises et des institutions, pour que les femmes puissent s’y insérer de manière équilibrée ? Servir la cause des femmes ne devrait-il pas aussi consister à valoriser ce qui n’est pas de l’ordre de l’efficacité, de la performance, de la productivité ; ce qui est de l’ordre de la relation, de l’attention aux autres et des soins, bref, de toutes ces choses nécessaires à l’humanité ? Pourquoi devoir choisir ? Pourquoi ne pas pouvoir tout vivre ? Est-ce que c’est à nous, les femmes, de devoir payer l’incapacité de notre société à se renouveler ?”