Trois femmes.
L’une est maman solo sans aide de son ex-mari aujourd’hui gravement malade ;
L’autre se retrouve seule en semaine depuis plusieurs années, pour cause de célibat géographique ;
La dernière est seule à la barre plusieurs mois par an, avec un mari à l’autre bout du monde ;
Trois femmes. Trois femmes fortes, malgré la fatigue, malgré les soirs où elles n’en peuvent plus, malgré les cris dont elles se sentent parfois coupables, malgré ce sentiment de solitude qui les étreint certains dimanches soir.
Chacune de ces femmes fait comme elle peut pour :
- sortir de son grand lit vide sans maudire l’univers tout entier (ou le Fabuleux absent);
respirer un grand coup quand le petit dernier ne dort toujours pas à 21h47 (et qu’il faudra se lever à 6h12 parce que l’aîné a laissé tomber son doudou); - garder le moral quand la voiture ne démarre pas et qu’il est 8h17 (alors que la cloche de l’école sonne à 8h30);
- trouver la motivation pour emmener les enfants se promener sous la pluie un dimanche après-midi tandis que personne n’a pensé à lui faire signe pour occuper cette longue journée marquée par la solitude;
- ne pas s’endormir en pleurant sur son oreiller parce qu’elle a perdu patience et crié quand elle a découvert la salle de bains inondée et le contenu de sa trousse de maquillage éparpillé sur le sol;
Trois femmes, héroïnes du quotidien.
Ces trois femmes-là, je pourrais tout simplement ne pas m’en sentir proche parce que trop impressionnée par la charge qui est la leur au quotidien. Parce que forcément un peu honteuse de mes “petits” problèmes, de mes frustrations idiotes (au hasard, un Fabuleux qui rentre trop tard le soir).
Mais trois femmes qui osent me raconter leurs défis, leurs coups de déprime, leurs matins difficiles, leurs dimanches soir grisounets, qui osent aussi me confier leurs joies quotidiennes, leurs petites victoires, leurs fiertés anodines (comme d’arriver à l’heure à l’école malgré la pluie et d’avoir mis des bottes à chacun de leurs enfants).
C’est cette authenticité, ce partage en vérité, cet échange sans fard, en un mot, ce courage ordinaire, qui me permet de me sentir proche de chacune d’elles.
Solidaire.
Oui, parce que la perfection ne m’intéresse plus, ne m’attire plus, pas plus que la victimisation ou l’apitoiement sur soi-même. La perfection ne crée aucune solidarité entre femmes, encore moins entre mères : elle ne produit que le venin de la comparaison et de l’épuisement. La victimisation, c’est ce mécanisme qui ne crée pas non plus de solidarité et qui distille en nous ce même venin de la comparaison, en nous faisant dire :
“Chez moi, c’est pire !”
Ensuite, la victimisation nous fait édicter des jugements du type :
“Ma pauvre, c’est affreux tu n’as vraiment pas de chance !”
C’est la phrase que j’ai de plus en plus de mal à entendre et que je m’interdis de dire. Même si le réflexe n’est jamais très loin (tellement plus facile !), cette phrase sonne comme une sentence accablante, mais aussi comme un enfermement dans une posture de victime.
La perfection et la victimisation ont le même résultat : la solitude.
Ce qui m’attire davantage, c’est de pouvoir dire :
“J’entends que c’est difficile, mais je suis sûre que tu vas gérer. Regarde tout ce que tu as déjà accompli !”
“Je suis tellement fière de toi, et toi, est-ce que tu te rends compte à quel point tu es courageuse ?”
Courage, fierté, vulnérabilité, imperfection, défi : j’aimerais que ces mots remplacent définitivement toutes ces phrases que l’on se répète d’abord à soi-même avant qu’elles n’occupent définitivement nos échanges avec les autres femmes :
- Je devrais / tu devrais / elle devrait
- Je n’ai pas assez / tu n’as pas assez / elle n’a pas assez
- Je suis trop / tu es trop / elle est trop
- Je suis toujours / tu es toujours / elle est toujours
Ces phrases qui, sous couvert de nous permettre de nous situer et de nous pousser à progresser, sonnent le glas de la solidarité. Voilà mon souhait aujourd’hui : arrêtons de nous juger les unes les autres, de nous comparer sans cesse, de jauger nos galères à l’aune des bobos des autres.
Cette comparaison, qui nous inscrit d’emblée dans la compétition de la féminité et de la maternité, est un poison et un mensonge, en ce qu’elle nous donne l’illusion de nous « autoriser » à nous sentir, à nous dire, mais aussi à avancer ou encore à nous arrêter.