Cette envie de tout plaquer t’a peut-être un jour traversé l’esprit.
À moins que ce ne soit celle de vider l’armoire de ses vêtements à lui dans trois grands sacs pour ensuite les poser sur le paillasson. « Je ne le supporte plus, me répète Marine, je préfère être seule que mal accompagnée. »
Marine fait partie de ces personnes que j’accompagne et qui ne comprennent plus le sens de leur vie à deux.
L’idée de la séparation s’est installée de façon progressive, déception après déception
et cette petite voix qui se faisait d’abord discrète a fini par envahir ses pensées au point de la perturber sérieusement et quotidiennement.
Je propose à Marine d’aller plus loin dans sa réflexion : quelles sont les raisons précises qui la poussent à vouloir partir, quitte à revoir son confort de vie, sa situation financière, sa façon d’être mère ? Pour elle, la réponse est évidente, il lui semble aujourd’hui plus facile de vivre seule plutôt que de s’organiser avec un conjoint qui, me dit-elle, « l’encombre ».
C’est ainsi que Marine me confie son sentiment de solitude depuis qu’elle est devenue mère.
Son conjoint, peu présent à l’époque, débutait un nouveau travail qui le mobilisait beaucoup. Il avait pourtant sincèrement l’impression de remplir son rôle d’homme et de père en assurant la sécurité financière de sa jeune famille. Au fil des mois, elle finit par ne plus rien attendre de l’homme qu’elle aimait auparavant.
Elle préfère même se débrouiller seule pour ne pas souffrir d’une énième déception.
Plusieurs femmes ont déjà partagé avec moi un discours similaire, dans un contexte différent. Lucie, mariée avec un militaire, m’explique combien il lui semble plus simple de s’organiser quand celui-ci est en mission. Dans ces moments d’absence prolongée, la jeune femme sait qu’elle ne peut compter que sur elle. Elle déploie un système d’aide efficace, une organisation rigoureuse de son quotidien, apprend à déléguer davantage à ses enfants et n’hésite plus à téléphoner à une amie en cas de coup dur pour obtenir un peu de réconfort.
De façon assez logique, elle reconnaît avoir du mal à trouver un équilibre lorsque son mari rentre.
« Je dois accepter qu’il puisse agir autrement que moi, dans la maison comme auprès des enfants. Cela modifie mes habitudes et, parfois, me fait grincer des dents. Mais le plus difficile est d’espérer être aidée sans avoir à le lui demander, tant cela semble couler de source. Cela provoque beaucoup d’incompréhension et de disputes. »
La très grande qualité de ces femmes est de savoir s’organiser et de mener leur barque familiale avec énergie.
En revanche, elles peinent à solliciter concrètement leur conjoint ou à faire preuve de flexibilité avec lui.
Marine attend de son conjoint qu’il devine et anticipe les difficultés qu’elle affronte. Pour Lucie, demander de l’aide provoque une vague de culpabilité et d’agacement. L’une comme l’autre se mettent à pester ou à crier contre telle chose ou tel enfant, espérant secrètement faire réagir leur homme et obtenir un coup de main, sans résultat. Ce dernier ne comprend pas le message et n’intervient pas.
En creusant un peu, chacune reconnaît qu’il n’est pas facile d’accepter le rythme et la façon de faire de l’autre, plus lente ou plus rapide, dans un ordre différent, avec un autre goût, une autre sensibilité… Cette différence peut devenir source de stress et d’exaspération, provoquant l’impression de ne pas être considérée, et donc en fin de compte, de ne plus être aimée.
La vie de couple est bien souvent décourageante
si l’on part du principe que l’autre doit nous combler, nous deviner, réagir selon notre mode, anticiper notre fatigue et lui répondre ou encore s’organiser exactement comme nous le voudrions. Elle crée des attentes, ce qui est normal puisque c’est bien avec l’autre que nous construisons notre vie, mais des attentes parfois rigides, ce qui provoque nécessairement de l’insatisfaction.
Une femme que j’accompagnais observait qu’auprès de son amant, elle n’était jamais déçue.
La différence entre un conjoint et un amant est la suivante : d’un amant, on n’attend pas grand-chose. L’amant apparaît comme un bonus et disparaît aussitôt que la relation s’étiole. L’amant ne connaît pas la routine, la relation se nourrit d’une adrénaline subtilement entretenue par le secret. Il ne sera jamais reproché à un amant de ne pas avoir ramassé le vomi de la gastro du dernier à 2 h du matin ou d’avoir étendu le linge d’une façon inadéquate : ces situations ne se produiront jamais. L’amant n’offre que le meilleur : de l’écoute, du sexe, des paillettes et du rêve… Tandis que nous attendons bien plus de l’homme avec qui nous décidons de faire notre vie. Nous voudrions qu’il soit confident, ami, amant et magicien de la vie. Et que tout cela soit offert et vécu comme nous le souhaiterions exactement.
Or, lorsque l’on vit à deux, l’autre nous dérange toujours.
Un peu, parfois beaucoup. Il n’hésite pas à remettre en question nos croyances, nos attentes ou nos habitudes tout en défendant son avis et sa façon d’être avec conviction. C’est tout son monde et sa culture familiale qu’il s’efforce de nous faire découvrir : l’autre nous décentre de notre « petit nombril ».
C’est ce que me dit Caroline. Quand elle prend conscience que la vie à deux ne sera jamais aussi fluide qu’elle se l’était imaginé, la terre s’ouvre sous ses pieds.
Pendant plusieurs semaines, la pensée de la séparation tourne en boucle dans son esprit,
tandis qu’une autre voix lui dit « mais tu l’as choisi, ton mari, souviens-toi ! Vous avez réfléchi, ce n’était pas un coup de tête. » Cette petite voix intime la guide dans une remise en question déconcertante, mais passionnante. Doit-elle rester fidèle à sa première intuition ou céder à la colère de ce qu’elle traverse et partir ? Certes, son mari lui semble moins glamour et franchement lourd à certains égards, mais ne l’est-elle pas tout autant pour lui ? La jeune femme décide de faire un pacte avec elle-même :
si dans 10 mois la situation n’a pas évolué alors, elle partira.
Peu à peu, elle interroge ses représentations, revoit sa feuille de route et parle franchement à son mari qui lui confie (à sa grande surprise) penser la même chose. De son côté, il s’était également mis en mouvement pour comprendre ce qui « clochait » chez eux. À la suite de cette discussion, avec le temps comme allié, leur vie de couple s’apaise et chacun semble retrouver son équilibre, avec moins d’attentes et de fusion, des missions différentes et davantage de patience et de dialogue.
C’est un fait.
La relation demande une bonne dose de flexibilité et de capacité d’adaptation,
de la clarté, un peu d’indépendance dans nos besoins affectifs et une bonne dose de maturité. C’est peut-être à ce prix que nous pourrons faire de la place à l’autre sans avoir envie de : « le virer ou me barrer » (bien sûr, lorsqu’il y a maltraitance, la réflexion n’est pas la même).
Comme l’écrivait André Malraux, « Le couple est la dernière grande aventure du monde moderne », une aventure à tenter, à nuancer, à ajuster, à interroger, oseras-tu la tenter ?