Mon conjoint est (encore) en déplacement - Fabuleuses Au Foyer
Maman épuisée

Mon conjoint est (encore) en déplacement

Hélène Bonhomme 22 novembre 2017
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Je m’occupe de tout, qui s’occupe de moi ?

Étonnant, ce bruit qui me tire du sommeil. Un bruit de fluide, accompagné d’une odeur infecte, bientôt suivi par des pleurs tonitruants. Je tends le bras et à tâtons, je cherches mes lunettes – ouais, je suis trop myope pour connaître l’heure sans mes lunettes. Bref, j’ai trouvé mes lunettes, et l’alarme indique 3h14. C’est marrant, ce réflexe de d’abord regarder l’heure avant de regarder ce qui se passe – 3h14, le coup de massue qui te fait revenir à la réalité. Il a vomi. Je rêve, ou c’est sur moi qu’il a vomi ?

La gastro est de retour. Mon fils a le ventre patraque, et c’est sur mon pyjama qu’il est venu vider le contenu de son estomac. Je le prends dans mes bras, je pars faire couler l’eau de la douche, et pendant que je déshabille le petit blond paniqué, je fais mentalement l’état de la situation :

  • gastro = p* de m*
  • mari absent toute la semaine = p* de m*

Mon mari est souvent en déplacement professionnel.

Et bien sûr, je n’aime pas vraiment ça. Parfois c’est 2 jours, parfois 3, 5 jours d’affilée. Mais quand un épisode de gastro tombe pile pendant l’une de ces absences-là, j’ai envie de hurler ma frustration.

Je lance une machine. J’installe mon fils sur un petit matelas près de moi, et il finit par se rendormir. Je devrais dormir moi aussi, mais je suis trop en colère :

“pourquoi est-ce que je suis toujours seule à gérer ça ? Pourquoi c’est moi qui m’occupe de tout le monde ? Et pourquoi il n’y a jamais personne pour s’occuper de moi ?”

(Là, on prend bien soin de remarquer le vocabulaire : “toujours”, “jamais”, “tout le monde”, “personne” – le genre de mots qui tournent en boucle quand on pète les plombs à 3h du matin.)

Le lendemain, bingo :

le frère jumeau a la gastro lui aussi. Je lance une deuxième machine. Pas d’école pour eux, donc pas de boulot pour moi : je m’imagine déjà en train de bosser le week-end pour boucler mes dossiers et déjà, ça m’énerve.

C’est marrant, comme les absences des maris tombent toujours mal.

La plupart du temps, mon mari est là – et vraiment là, en plus, puisqu’on travaille tous les deux à la maison. On a le temps d’être ensemble. Mais quand il est absent trois jours, il se passe un truc qui fait que j’ai des impressions de fin du monde.

Tenez, l’autre fois, la chaudière est tombée en panne et mon homme était dans une autre ville. Trois jours sans lui dans une maison à 9°. Vous savez combien de nuits ça fait dans une maison à 9°, sans bouillotte vivante pour votre survie ?

Bref. Épisode de gastro gémellaire. Et Monsieur, il est où ? Je balance “Pas là” de Vianney à fond dans le salon, je chante comme une tarée “Mais t’es où ?” et à la fin du titre, je me dis que c’est franchement une idée à la c* d’écouter du Vianney quand je suis dans un état pareil…

La vie sans toi, “Je sais pas” (là c’est Céline)

À des centaines de kilomètres de là, mon mari est en réunion. J’ai envie d’interrompre sa réunion. L’appeler, juste pour lui dire de vive voix ce que je lui ai déjà balancé dans douze textos différents depuis ce matin : “garçons – gastro – horrible –  seule – marre”, ou dit autrement : “Plains-moi – excuse-toi de ne pas être là – annule tout – reviens au plus vite – ou je craque” …

Bon, en tout cas après 4 jours de machines, les garçons se sont remis de leur gastro. Je les ai déposés à l’école et je suis revenue à la maison, pensant que j’allais savourer ce retour au calme. Sauf que j’ai couru, devinez où ? Aux toilettes. C’est qui qui a la gastro maintenant ? C’est bibi ! Et c’est qui qui va devoir tout gérer, tout en étant malade ? Allez bibi, prends un Smecta et compte les jours jusqu’à ce que ton mari revienne…

J’ai pas signé pour ça

Tu vois, quand j’ai dit oui, je n’avais pas imaginé ce que ça ferait d’être parfois sans lui. Je ne savais pas que je m’habituerais tellement à sa présence, que je ne pourrais plus m’en passer. Et je n’avais pas imaginé que l’angoisse de ses premiers déplacements n’était rien à côté du stress d’être seule à la barre quand le paquebot se prend des rafales et que dans les cabines, il y a des enfants qui ne veulent pas aller au lit. Quand j’ai dit oui, je n’avais pas imaginé cette semaine-là où je nettoierais des petites fesses alors que moi-même j’aurais 39,5° de fièvre et je n’avais pas imaginé à quel point j’aurais besoin de me sentir rassurée, tout le temps rassurée, par lui.

Car ce n’est pas juste une question de charge de travail (ou de charge mentale comme c’est la mode de le dire). C’est une question d’avoir envie d’un vis-à-vis à tout moment. Quelqu’un à qui pouvoir dire que ça va pas, dès que ça va pas. Juste une présence, pour ne surtout pas me retrouver seule avec moi-même.

J’ai un dialogue intérieur tellement fourni et tellement déprimant parfois, que je déteste ça, être seule avec moi.

J’ai besoin, vraiment besoin, de quelqu’un pour me distraire… et le sens de l’humour de mon fabuleux aide à désamorcer beaucoup de bombes intérieures. Alors voilà, les fois où il n’est pas là, il y a cette peur panique de devoir me débrouiller seule – seule avec mes peurs.

Et là je pense à mes amies mamans solos,

je pense à celles qui sont séparées, celles dont le conjoint est décédé, celles qui ont épousé un militaire, celles pour qui ces situations qui me font me sentir tellement démunie sont le lot de toute une vie. Je me sens bête de me plaindre pour “si peu”. C’est vrai, je devrais y arriver, franchement, et sans râler ! Mais je sais aussi que chacune a son propre lot, que deux vies ne sont jamais comparables et qu’on ne peut jamais nier une émotion sous prétexte qu’elle est différente d’une autre.

Et puis arrive le moment tant attendu. Il est de retour ! “Papaaaa !” Ils sont beaux à voir, tous les trois. Allez, ils ont eu leur dose de “Papaaaa”… c’est mon tour. Je lâche toute ma frustration, comme un camion-benne qui se déverse sur une pelouse de golf.

Je le sais, pourtant, que le retour est le moment le plus compliqué de l’absence…

Parce qu’on idéalise ce moment,

parce qu’on oublie que l’autre aussi est fatigué, que pour lui aussi c’était dur de ne pas être là, qu’il n’aime pas se sentir culpabilisé pour une situation qu’il n’a pas choisie, et surtout que le reste du temps, il est là, et vraiment là, à la maison, sans contraintes de bureau. Je le sais, tout ça, j’ai des années de pratique ! Pourtant, je ne parviens pas à retenir le flot de la mauvaise humeur accumulée pendant ces quelques jours d’absence.

Il m’écoute, avec tendresse. Il ne sait pas trop quoi dire. Alors il se tait et il me sourit. Il sait que quand la fabuleuse est dans cet état-là, tout ce qu’il dira pourra être utilisé contre lui. Il sait que je sais qu’il m’aime. Il sait que je sais qu’il est désolé que la semaine ait été un désastre. Il sait que je sais que la vie n’est pas toujours comme on l’a choisie. Il sait que je suis à bout… et il respecte ça.

Sauf que quelques heures plus tard, devinez qui déclare une gastro ? Le mari ! Ben voilà, moi qui voulais profiter de lui, je vais encore devoir jouer l’infirmière et attendre, attendre qu’il aille mieux, attendre que quelqu’un s’occupe de moi et moi seule. Et ça m’énerve, et je lui en veux d’être malade, et je m’en veux de réagir comme ça…

Si mon mari n’était pas si souvent absent

L’autre jour, j’ai découvert dans Les pouvoirs de la gratitude de Rebecca Shankland un exercice : décrire à quoi ressemblerait notre vie en l’absence de telle situation. Les scientifiques appellent ça la « soustraction mentale » : en gros, tu imagines à quoi ressemblerait ta vie en l’absence de tel ou tel élément… Cela t’aide à réaliser à quel point tu peux éprouver de la gratitude pour cette situation.

Alors j’ai réfléchi à ces déplacements professionnels. Je me suis imaginé à quoi ressemblerait ma vie sans cet ingrédient-là. C’est sûr que d’une certaine manière, ma vie serait plus simple si je n’avais pas un conjoint souvent absent.

Et pourtant, s’il n’était jamais en déplacement :

  1. Je n’aurais pas des soirées entières pour regarder mes séries à moi (va le convaincre de regarder Downton Abbey avant de s’endormir)
  2. Je n’aurais pas ces semaines sans rien à cuisiner (parce que moi avec une tomate, un demi-concombre et du pain complet, je vais bien, tu vois ?)
  3. Je n’aurais pas, les 8 dernières années, appris par l’expérience que le bonheur nous appartient, à chacun. En l’absence occasionnelle de béquille, j’ai appris à me tenir debout, et j’ai appris que sourire est un choix que personne ne peut faire à ma place. Depuis que je suis sur ce chemin-là, je ne sais pas, c’est comme si j’avais récupéré le trousseau de clés de mon bonheur et de ma confiance en ma capacité à être heureuse malgré tout…
  4. Je n’aurais pas appris à vivre l’instant présent. Être là, pleinement là, plutôt que de croire le mensonge que “tout ira mieux quand il sera de retour.” Oui, la vie est plus douce quand mon homme est là, mais quand il est là on se prend aussi la tête, comme tous les couples – surtout ceux qui travaillent ensemble à la maison ! – et dans ces moments-là j’ai aussi besoin de savoir savourer l’instant.
  5. Il y aurait beaucoup plus de routine dans notre relation. S’il y a bien un truc qu’on ne connaît pas chez nous, c’est la routine. Parfois, ça me rend malade. Mais quand j’y pense, mon couple a du mordant, du piquant, et je ne vous fais pas de dessins mais les soirs où il revient, on s’amuse bien.
  6. Au final cette solitude que je crains tant, elle m’a permis d’apprendre à l’écouter, cette voix intérieure que je veux toujours noyer dans le bruit ambiant. Ce silence, il fait que je peux écouter vraiment ce qui se passe à l’intérieur de moi. Il fait que je peux me remettre en question, accepter, apprendre, avancer. Moi qui m’occupe de tout, paradoxalement, quand je suis seule, j’apprends à m’occuper de moi.
  7. Si mon homme n’était pas absent de temps de temps, je n’aurais pas été obligée d’apprendre à sortir de ma coquille pour envoyer un texto à une amie : “un café ça te dit ?” je n’aurais pas développé certaines des relations qui comptent le plus pour moi aujourd’hui, et au travers desquelles, dans certaines situations, je me sens bien mieux soutenue que par mon homme lui-même (on nous dit que le bonheur c’est d’être marié à son meilleur ami – mais mon mari, tu vois, il y a certaines choses qu’il ne peut pas comprendre, et au fond c’est tant mieux.) À lire à ce propos : Maman n’a pas d’amies
  8. Et s’il n’était pas régulièrement en déplacement, il n’aurait pas non plus cette vie-là un peu spéciale, pas vraiment dans le rang, qui l’oblige à bouger souvent mais qui lui permet, le reste du temps, de travailler à la maison, de déposer et de chercher avec moi les enfants à l’école, de m’emmener prendre un café à n’importe quelle heure, de prendre 2 jours “off” après qu’on ait tous les deux tout donné… Cette vie de couple et de famille qui ne peut être comparée à aucune autre, simplement parce qu’il n’y en a pas deux pareilles et que la nôtre on l’a choisie, on l’a voulue, elle est difficile parfois, mais elle est belle souvent. Cette vie-là c’est la nôtre, et c’est à nous de choisir si on va la laisser nous faire grandir ou pas !

Mon fabuleux, merci pour cette vie d’aventure à tes côtés. Jamais ce n’est facile d’être sans toi – et au fond c’est bon signe qu’on se manque quand on n’est pas ensemble ! Merci pour tous les jours où tu es là, et merci aussi pour les quelques-uns où tu es loin.

P.S. Mais quand même : reviens vite 🙂



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Cet article a été écrit par :
Hélène Bonhomme

Fondatrice du site Fabuleuses au foyer, maman de 4 enfants dont des jumeaux, Hélène Bonhomme multiplie les initiatives dédiées au bien-être des mamans : deux livres, deux spectacles, quatre formations, la communauté du Village, une chronique sur LePoint.fr et un mail qui chaque matin, encourage plusieurs dizaines de milliers de femmes. Diplômée de philosophie, elle est mariée à David et vit à Bordeaux.

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