Je m’attendais à toutes sortes de réflexions, mais pas à celle-ci.
J’attends un sixième enfant et je viens de l’annoncer. Il y a dans ma déclaration naïve « Je suis enceinte ! » comme un parfum de scandale. La question me touche. Elle tourne comme un petit vélo dans ma tête. De longs jours. Au fond, c’est une très bonne question.
Une charade familiale.
Mon premier est arrivé à la fac. Enceinte à plus de 8 mois et demi à la bibliothèque royale de Bruxelles, j’ai bien cru que j’y accoucherais. Aujourd’hui, il adore lire.
Mon second est venu la veille de mes écrits d’instit. J’ai repiqué le concours l’année d’après. On ne trouve pas gamin plus scolaire que lui.
Mon troisième a été conçu dans le tsunami d’une maison que l’on retapait. Il est d’un calme déconcertant et ne craint aucun désordre.
Mon quatrième s’est invité lors d’un voyage en Italie. Pendant plusieurs années, sa grand-mère l’a emmené visiter lignes de bus, de tramway, de métro, à pied, en vélo, en trottinette …
Ma cinquième s’est annoncée un jour de brocante au village. Pour l’instant, elle passe son temps à vider les placards.
Pourquoi ?
Malgré la fatigue, j’ai toujours aimé les attendre, les sentir naître, les voir s’éveiller au monde. Plus encore, j’ai aimé les faire dans les bras de mon homme. Mais pourquoi « autant » enfants ?
- Parce que je suis amoureuse ? Non. Ça aide, mais ça n’explique pas la famille nombreuse. Parce que j’aime voir le bas des escaliers avec 14 « gueudasses » entassées allant du 21 au 45 ? Ça dépend des jours.
- Parce que j’adore repasser ? Pas possible ! Le linge est un cauchemar, sauf que tu as beau essayer de te réveiller, ça ne marche pas : tu ES dans TA vraie vie.
- Parce que j’aime crier « A taaaable !!!!!! » et voir tout le monde débouler dans la cuisine ? Peut-être. Parce que j’aime les plans foireux comme : ta voiture familiale brûle sur l’autoroute, que fait ton amoureux ? Réponse A : il rachète un T3 camion pompier de 1981 rouge avec des gyrophares. Pas d’argent pour racheter mieux. Ça éclate tout le monde sauf moi. Aucune réponse B.
- « Parce que tu es forte » m’a-t-on dit. Non. Je ne peux me résoudre à cette réponse. Le courage d’une mère, sa vitalité, son mérite, sa souplesse (…), encore moins sa maternité ou son amour donné, ne se mesurent au nombre d’enfants.
Découvrir.
Mais voilà, j’ai dans la vie, un grain de folie. Une marotte.
Y’a celles qui partent découvrir le monde, un sac sur le dos, avec pour seuls bagages, leur détermination, leur fragilité et le désir immense de rencontrer un inconnu qui les dépasse. Le monde que je voulais découvrir était celui-ci : la famille nombreuse, le délire d’une famille au format XXL. Et j’en éprouve une joie immense, parce que je me sais à ma place.
Le désir d’enfant est mystérieux. De mon côté, il ne sera jamais rassasié. J’ai comme l’impression qu’un enfant manquera toujours à l’appel. Un jour viendra où je devrai le saluer, « cet enfant de plus », pour lui dire adieu et me contenter de le rêver. Cette place laissée vacante par un désir non comblé prendra chair d’une autre façon, aspirée par ce désir de poursuivre la route à la rencontre de l’autre, dont les richesses seront infinies. Mon mari. Les enfants. Les amis. Les projets. Le boulot. L’imprévu. Les hauts. Les bas.
Folles de vie.
Le nombre. Cela dira peut-être quelque chose de mon histoire, des femmes auprès de qui j’ai grandi, de celles qui m’ont inspirée, de l’homme que j’aime bien entendu, mais je n’ai pas de réponse à ce « pourquoi ». Avec mes bientôt six gosses, l’enthousiasme qui en découle tout comme la frustration, j’ai envie de croire que ce désir, celui d’être mère, me dépasse.
Il fait de nous, les femmes, des folles de vie. Des aventurières de l’autre que nous portons en nous, cœur et/ou corps, si proche et irrémédiablement différent. Des ouvrières du lien, alors même que celui-ci pourra être malmené, fragilisé. Un lien qui sépare nécessairement pour que l’enfant vive et grandisse. Un lien qui relie, et par lequel nous transmettons, malgré nous, bien au-delà de celle que nous sommes. Cette folie du lien ne se traduit pas en équation. Elle ne se mesure pas au nombre.
C’est une folie qui se vit, avec un, deux, trois enfants, ou plus encore. C’est un pari sur l’avenir – coloré d’espérance ? – Le plus souvent « réfléchi », notre société moderne et ses aléas nous y invitent, ce moment où nous accueillons un enfant est un saut dans le vide, il est teinté d’inconscience, tant nous ne pouvons prévoir à quoi et vers qui nous mènera cette aventure. Être mère, c’est déjà fou, peu importe le nombre.