Un samedi matin, tandis que je courais, je me souviens m’être extasiée sur le bleu du ciel, le vert des feuilles et la lumière du soleil (il n’était pas en grève ce jour-là).
Comme la nature est belle !
Mon regard émerveillé s’est posé ici et là, tout autour de moi, et j’ai vu alors le chaos de la nature : il y en avait partout, dans tous les sens. Un peu comme dans ma maison, en fait. Je me suis fait cette réflexion, catastrophée : la nature a horreur du vide ? Mes enfants aussi. Je ne gagnerai donc jamais cette bataille qui consiste à garder ma maison rangée.
Mon fils est comme le bambou :
tu crois avoir contenu son espace de jeu dans la salle de jeux, mais tu retrouves des rejets un peu partout dans les autres pièces.
Ma fille est comme le chèvrefeuille :
c’est joli, ça sent bon, mais si tu n’y prêtes pas attention, ses jolies créations envahissent toutes la maison.
Et moi, je suis une jardinière qui n’a pas la main verte :
à l’intérieur, mes plantes meurent ; à l’extérieur, elles prolifèrent à mon insu. Mon jardin, c’est comme ma maison : j’aimerais bien que tout reste intact une fois que j’ai fini de ranger, nettoyer.
Ça me fait penser à mon ancien cabinet. J’avais un petit jardin pour lequel j’avais de grands projets : création d’un potager avec mes patients, déplacement de mes séances à l’extérieur dès que le temps serait clément. Et chaque printemps, je passais de longues heures à arracher des mauvaises herbes qui m’arrivaient à la taille. Jamais le potager n’a vu le jour.
Mes enfants, tels le liseron, envahissent la maison.
Leurs jouets, leurs vêtements, leurs chaussures, leurs dessins… Et moi, trop occupée à d’autres tâches, je les laisse faire. Jusqu’au jour où la brique de Lego fait déborder la caisse de jeux trop remplie ! La tornade en moi se réveille soudain, ramassant tout sur mon passage et menaçant de tout mettre au compost (voire à la déchetterie) dans un orage de cris et de grincements de dents.
L’orage finit par passer, laissant la place nette. Oui, mais à quel prix et pour combien de temps ?
Je contemple parfois le jardin entretenu par le paysagiste de notre voisine, le potager où rien ne dépasse chez notre autre voisin. Parfois, je rêve que ça soit aussi beau chez moi, que la nature bouillonnante m’oublie quelque temps.
Sauf que, à bien y réfléchir, je ne les vois jamais, mes voisins, profiter de leur beau jardin.
C’est impeccable, mais ça ne vit pas. Un peu comme chez ma grand-mère, chez qui nous restons cantonnés dans la cuisine pour ne surtout pas déranger les autres pièces.
Est-ce que je veux vraiment d’un jardin parfait ? Est-ce que je veux vraiment d’une maison-musée ? La vie est là, qui ne demande qu’à s’exprimer. Et quoi que je fasse, je ne pourrai jamais la contrôler. En ai-je vraiment envie ? Au milieu des mauvaises herbes du cabinet, des fraises des bois ont poussé. Au milieu des plantes enchevêtrées, de petites fleurs ont trouvé une place. Au milieu de mon jardin-jungle, nous avons pu cueillir des mûres.
Et au sein de ma maison sont nés des chansons, des mots d’amour, des jeux inventés, des rires.
Au cours de ce footing printanier, la nature à ma droite, la nature à ma gauche, je me suis rendue compte que j’étais sur le chemin, en son centre. Je suis en chemin et rien ne m’empêche d’y emmener mes enfants pour en faire des apprentis jardiniers, leur apprendre quelles plantes garder et comment en prendre soin, lesquelles donner, lesquelles jeter. Leur montrer que cinq minutes de soin par jour seront plus simples à mettre en place et plus efficaces qu’une énorme séance une fois tous les six mois.
Et de temps en temps, profiter des belles surprises de la vie.
Ma maison est un jardin, la nature y a ses droits, et moi je suis la jardinière qui met un peu d’ordre dans tout ça.