Lettre à ma fille, à qui je demande pardon - Fabuleuses Au Foyer
Maman épuisée

Lettre à ma fille, à qui je demande pardon

lettre à ma fille
Agathe Portail 27 mars 2023
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Ma chérie,

Il y a quelques années, tu m’as dit d’une petite voix : « Moi, je ne veux pas d’enfants. C’est trop fatigant. »

Tu ne peux pas imaginer la résonance de ces deux phrases. Il est vrai que j’ai déjà une tendance à me flageller pour tout et n’importe quoi, mais là, c’était du gasoil excellium assaisonné d’une bonne dose d’ecstasy versé directement dans mon moteur à culpabiliser.

Ma manière d’habiter la maternité te semblait donc si repoussante ? 

À la façon de ces mots doux que tu glisses parfois sous la porte de ma chambre (« Maman, on peu regardé un dessinimé ??? jeutèm ❤️ »), je t’écris cette lettre, pour l’avenir.

Pardon de t’avoir fait croire qu’être maman, ce n’est qu’épuisant.

J’ai toujours eu besoin de 8 heures de sommeil, étudiante mes amis m’appelaient « mamie » parce que je rentrais me coucher bien avant tout le monde et j’ai choisi un métier qui fait mouliner le cerveau la nuit. Ma fatigue m’appartient. Elle est mon problème, pas le tien. Quand j’explose après avoir subi vos 2 456 795 « Maman » durant le quart d’heure de voiture qui sépare l’école de la maison, c’est parce que ma réserve d’énergie était déjà trop basse avant de venir vous chercher, et que j’ai préféré fermer mes oreilles plutôt que de vous accorder cinq minutes chacun pour raconter à tour de rôle ce que vous aviez à me dire.

Oui, être votre maman va puiser loin dans mes ressources,

mais il ne tient qu’à moi de les remplir à ras bord en me ménageant de l’espace, du temps, du lâcher-prise voire du laisser-aller dans toutes ces petites choses où se niche le perfectionnisme. Pendant quelques années, j’ai sous-estimé l’engagement physique, mental et émotionnel que demandait la maternité. J’ai cru que je pouvais mener de front un déménagement, deux enfants en deux ans et une troisième en route, pendant que mon Fabuleux montait sa boîte alors que nous habitions à 600 km de nos familles. J’ai essayé de courir un marathon en tongs et ça ne s’est pas bien terminé. Je te rassure : il est possible de s’y prendre autrement. 

Pardon parce que j’ai attendu beaucoup trop longtemps avant de m’avouer vaincue.

J’ai résisté si longtemps à la transformation profonde de ma vie avec votre arrivée que je me suis épuisée. Je roulais en première sur l’autoroute avec le frein à main. Tu m’étonnes que ça chauffait sérieusement. J’ai dépensé une énergie folle pour faire croire à tous que « ça va, je gère, nan j’ai pas changé, je suis toujours cette fille fofolle reine de l’impro, c’est pas une paire d’enfants qui va faire de moi une daronne ennuyeuse ! ».

Aujourd’hui je lutte toujours, pour mener de front notre vie de famille et une carrière

qui exige beaucoup de disponibilité et d’espace mental. Mais je le fais pour d’autres raisons : pour ne pas rejeter sur mes enfants la responsabilité du ratage complet de mon épanouissement professionnel, pour me ressourcer, pour rayonner, pour vous donner la certitude qu’on peut se lancer, y croire et y arriver. Pour autant, je suis en accord avec le contrat qui veut que je vous fasse passer en premier, quitte à rogner ponctuellement sur les autres dimensions de ma vie. Ça me demande de revoir mes priorités sans arrêt, je fais parfois des erreurs de jugement, mais cahin-caha, j’avance. 

Pardon, parce que je n’ai pas assez montré la joie que vous m’apportez.

Peut-être par peur de faire partie de ces mères insupportablement sucrées qui ont la bouche dégoulinante de bienveillance et de paroles valorisantes, j’ai tardé à comprendre le pouvoir de la gratitude et le trésor que je vous offre lorsque je vous dis : « Je suis tellement fière de toi quand… ». Un jour, dans la cour de l’école, tu as regardé ta maîtresse de l’année précédente qui te disait « Oh, comme tu as bien grandi », et tu lui as répondu :

« Je sais, ma maman me dit tout le temps qu’elle a de la chance d’avoir une fille comme moi ».

Mon Dieu, quelle vague d’émotion ! J’avais dû te le dire une fois et tu t’étais saisie de cette phrase pour la faire résonner encore et encore dans ton cœur. Depuis, je n’ai pas renoncé à dire ce qui est nécessaire, même quand c’est désagréable à entendre, mais je pense plus souvent à valoriser vos efforts. À remercier. Je voudrais par mes mots éclairer ton cœur, pour que tu n’aies aucun mal à distinguer tous les trésors qui s’y cachent. Te voir grandir est ma joie. Te voir progresser dans les domaines où tu peines est ma joie. Contempler ton sourire épanoui, monter t’embrasser le soir et te voir assise bien droite dans ton lit, un livre à la main, est ma joie. Caresser ta peau douce comme du velours est ma joie.

Je pourrais me morfondre de m’être trompée,

d’avoir abîmé ta foi en la maternité, de t’avoir laissé croire que tout était ta faute : ma fatigue, mes larmes, mon exaspération. Mais je ne m’en veux pas. J’ai fait ce que j’ai pu, avec mes a priori, mes forces, le contexte, ce que je connaissais de la maternité. J’ai grandi en même temps que vous. Je ne crois pas qu’il existait un raccourci secret qui m’aurait fait éviter toutes ces erreurs de parcours. Vous faites de moi une femme plus sage, plus dense, plus authentique et plus humaine. J’ai confiance en votre force de résilience, pour que ces mois difficiles pendant lesquels j’étais dans l’obscurité ne soient qu’un passage de votre construction, pas plus déterminant qu’un autre. Nous avons tant de choses belles et lumineuses à vivre ensemble ! 



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Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

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