Quand le cadeau des beaux-parents s’enfuit, qu’un bébé de plus s’annonce, que les cultures familiales se télescopent et que le deuil vient brouiller les pistes, Noël n’est pas de tout repos, surtout quand il se fête dans les belles-familles. Nos quatre sœurs y survivront-elles ?
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Épisode 4 : Noël sous les cocotiers
Sous les néons des Duty Free Shops, Eloïse se trouvait une mine terrible. Les enfants gambadaient entre les rayons, quoi qu’à quinze et dix-sept ans on ne gambadait plus tellement, on déambulait, le pas un peu traînant. À la faveur d’un corner Chanel, elle se poudra les joues et déposa au centre de sa lèvre une pastille carmin qu’elle étira du bout de l’annulaire. Dans la glace, elle surprit l’image de ses deux alliances enfilées l’une sur l’autre et elle ferma les yeux.
Chaque détail, chaque mot était un piège d’où jaillissait la détresse.
Elle ne voulait pas se laisser submerger encore une fois et elle fixa son attention sur la vendeuse aux sourcils parfaitement dessinés qui la regardait d’un œil mauvais. Ah oui, elle avait appliqué le rouge directement sur ses lèvres, en ces temps de post-pandémie, c’était moyen. Elle lui sourit le plus largement possible et se dirigea vers l’espace culturel où son aîné feuilletait un guide touristique.
« Ça va faire super bizarre de fêter Noël à la plage, tu crois pas ? », lui demanda-t-il, la moue dubitative.
Sans répondre, elle lui sourit et lui passa la main dans les cheveux, geste qu’il lui autorisait de nouveau depuis quelques mois. Il la dépassait d’une tête à présent, et elle se faisait violence pour ne pas venir se blottir contre lui.
Il n’avait que dix-sept ans et n’avait pas à porter sa peine à elle en plus de la sienne.
« Tu as vu Armand ?
– Il traîne du côté des whisky.
– Arrête…
– Mam, il a quinze ans, qu’est ce que tu crois ?
– Je crois qu’il boit encore du Nesquik au petit déjeuner. »
Ils se sourirent et elle constata une fois de plus combien il ressemblait à son père, même sous un éclairage trop cru, même avec des Converses éculées aux pieds, même avec un affreux pin’s passé dans le sourcil gauche. Ça avait été sa manière à lui de marquer le coup, elle avait laissé faire.
À quinze ans, Armand n’avait pas manifesté grand-chose et son silence était finalement plus inquiétant que les initiatives disruptives de son aîné.
« T’as déjà bonne mine avant de partir dis donc, sourit Timothée en lui touchant la pommette.
– Tu crois que c’est une mauvaise idée ? », lui demanda-t-elle, brutalement assaillie par le doute.
Elle ne pouvait pas en permanence les protéger de ses angoisses, de ses tâtonnements de mère seule.
Elle l’avait compris au fil de ses sept mois de deuil.
Elle faisait du mieux qu’elle pouvait et c’était déjà pas mal. Elle filtrait beaucoup moins et n’essayait plus d’offrir l’image de la mère-bunker. Ce n’était pas ce qu’attendaient d’elle Timothée et Armand.
« Pas si tu en as envie, Mam. Armand et moi on est ensemble, on gère. Ici ou là-bas, papa nous manque, mais si toi tu es mieux loin, bah on sera tous mieux loin.
– Et tes grands-parents ? Je me sens tellement mal de les priver de vous, mais Noël chez eux… c’est au-dessus de mes forces.
– Arrête de te prendre la tête, vraiment. Chacun se débrouille comme il peut. »
Avec un sourire bancal, Timothée fixa son attention au-dessus de la tête de sa mère.
« Qu’est-ce que vous êtes grands tous les deux », souffla Eloïse.
Dans la poche de sa saharienne, achetée pour l’occasion, son téléphone vibra et machinalement, Eloïse fit défiler les messages et éclata de rire.
« Quoi ? »,
demanda Armand qui s’approchait, une barre géante de Toblerone à la main.
Hilare, Eloïse leur montra une photo de perroquet bleu perché sur la faîtière d’un toit pentu.
« C’est Sophie, elle a laissé s’échapper le cadeau de ses beaux-parents. »
Et passant du rire aux larmes, elle les serra contre elle de toutes ses forces. Une voix désincarnée résonna à travers l’aéroport.
« Vol 1238 pour Tenerife, embarquement porte 22 »
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