Quand le cadeau des beaux-parents s’enfuit, qu’un bébé de plus s’annonce, que les cultures familiales se télescopent et que le deuil vient brouiller les pistes, Noël n’est pas de tout repos, surtout quand il se fête dans les belles-familles. Nos quatre sœurs y survivront-elles ?
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Episode 2 : Overdose rouge et or
Était-ce normal d’avoir les paumes des mains moites et l’échine parcourue de frissons à l’instant de rencontrer sa future belle-famille au grand complet ? Avant de franchir la large porte cochère avec son scooter vert pomme, Celia déglutit trois fois et retira ses gants pour taper un dernier WhatsApp. « J’entre dans la fosse aux lions, c’est parti ! ». Le groupe « Fab’Sisters » se mit aussitôt à bruisser de réponses mais elle rangea son téléphone et engagea son deux-roues sur les pavés qui dessinaient l’allée jusqu’à l’imposante maison. Par-dessus le toit de tuiles, elle aperçut un long courrier amorcer sa descente.
À peine eut-elle garé son engin que le sapin planté à l’entrée de la maison se mit à clignoter joyeusement et la porte s’ouvrit en grand.
« La voilà ! »
Celia retira son casque juste à temps pour réceptionner sa future belle-mère qui l’étreignit avec enthousiasme dans un nuage de Guerlain mêlé d’effluves de laque Elnett. Samuel l’avait avertie, on était plutôt démonstratif chez les Noury. Célia avait pu s’en rendre compte lors de l’annonce officielle de leur futur mariage. Raide comme un piquet dans son blouson d’hiver, elle aperçut par-dessus l’épaule de Christine Noury le regard attendri de son Samuel qui venait de franchir le seuil lui aussi et venait à sa rencontre.
« Ne l’étouffe pas tout de suite Maman, chez Celia on se serra la main pour se dire bonjour le matin.
– Sottises, en famille on s’embrasse ! », répondit Christine en lui collant sur les deux joues un baiser sonore.
Le sourire contraint de Célia n’échappa guère à son fiancé
qui la débarrassa de son casque avec un clin d’œil. Ses deux mains chaudes plaquées sur les joues glacées de sa future bru, Christine reprit, l’air faussement fâché.
« Tu n’as pas répondu à mon message concernant le dessert ? Du coup j’ai pris chocolat…
– Je ne suis pas très téléphone, reconnut Celia en se passant la main dans les cheveux. J’appelle ma propre mère une fois tous les dix jours vous savez. »
La main sur le cœur, Christine ouvrit des yeux effarés.
« Comment ? Elle doit dépérir !
– En réalité, c’est toujours moi qui l’appelle. Elle n’y pense pas tellement d’elle-même. Mais on est très famille, rassurez-vous.
– J’espère, j’espère ! »
Avec un hochement de tête soulagé, la mère de Samuel passa son bras sous celui de Celia et l’accompagna jusqu’à la porte. L’entrée embaumait le pain d’épice, une guirlande rouge et or courait le long de la rampe qui grimpait jusqu’à l’étage en une courbe élégante. En fond sonore, la voix de Frank Sinatra plongeait toute la maison dans une atmosphère de fête très Capra.
Célia se sentit merveilleusement enveloppée et affreusement à côté de la plaque avec son jean noir et ses bottes usées. Elle venait de réaliser que chez les Noury, on fêtait Noël en grand, en large, en beau. Rien à voir avec la distance un peu ironique qui prévalait chez ses parents et grands-parents. Noël, une fête commerciale et mercantile à laquelle il convenait de rendre son sens premier : un beau rassemblement familial, un chocolat chaud, la messe de minuit et le lendemain matin seulement, quelques cadeaux posés en toute sobriété devant la chaussure que chacun prenait le soin de laisser devant la cheminée. On ne lésinait pas sur la crèche, mais il était arrivé qu’il n’y ait pas de sapin. Impensable chez les Noury dont Celia découvrait peu à peu le salon. Un père Noël agitait la tête en levant sa chope de bière sur la cheminée.
La pièce entière scintillait de décorations bicolores.
« Cette année on a sorti le rouge et or, j’en avais marre du vert et argent, s’exclama Christine. Samuel peut te montrer ta chambre pour que tu puisses te changer.
– Eh bien… balbutia Celia, je n’ai pas vraiment prévu… »
Avec une grande indulgence, Christine Noury contempla la petite fiancée embarrassée.
« Aucune importance, Bérénice fait ta taille, elle a forcément une robe à te prêter. Allez, dans dix minutes c’est l’apéritif ! »
Puis elle se pencha vers l’oreille de Celia et murmura :
« On a prévu le passage de papa Noël, les enfants sont dans un état d’excitation terrible. »
C’est alors que dans le salon surchauffé entrèrent six bambins habillés de pied en cape de velours rouge, bonnet bordé de blanc sur la tête. Six lutins qui la saluèrent avec des yeux brillants.
« Asseyez-vous dans le canapé les amours, on fait la séance photo le temps que Celia s’habille et après, vous savez qui vient nous rendre visite…
– Ouiiiiii ! piaillèrent les petits enfants roses de bonheur qui se précipitèrent pour enlacer leur grand-mère.
– Samuel, tu as bien rechargé la caméra ? Je ne veux pas en perdre une miette ! Dis à ta sœur et ton frère de se presser un peu », s’écria Christine Noury,
tandis que Célia battait en retraite vers le grand escalier, étourdie de bruit, d’arômes roboratifs et de lumière clignotante.
Fuir. Maintenant.
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