Les portes qui claquent - Fabuleuses Au Foyer
Vie de famille

Les portes qui claquent

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Agathe Portail 13 mai 2024
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« Et tu chantes, chantes, chantes ce refrain qui te plaît
Et tu tapes, tapes, tapes, c’est ta façon d’aimer »

Ce refrain iconique de mes jeunes années a pris un sens nouveau depuis que j’ai des enfants. Maintenant, c’est plutôt : 

« Et tu claques, claques, claques, les portes à la volée,
Et tu tapes, tapes, tapes, c’est ta façon… d’aimer ? De jouer ? De te faire respecter ? De me faire interner ? »

Oui, chère Fabuleuse, chez moi les portes claquent, que ce soient les portières des voitures (attention aux doigts), les portes des chambres (attention aux cadres), ou celle de l’entrée (attention aux courants d’air). Chaque fois, je sursaute, je me retiens de hurler mon exaspération, mon désespoir, mon impuissance ! Comme disait Didier Bourdon, dans ce sketch my(s) thique des Inconnus « Mais vous allez vous aimer, bo*del de me*de ? », j’ai envie de dire à mes enfants « Mais vous allez vous aimer, flutain de motel ? ». 

Il en faut, de la résistance nerveuse, pour désamorcer ces débuts de conflit, jeter de l’eau et non de l’huile sur les étincelles qu’ils produisent dès qu’ils sont dans la même pièce (ou, au hasard, dans la voiture).

Alors j’ai essayé, comme toute mère de bonne volonté, de : 

  • leur donner la parole chacun leur tour
  • leur expliquer que hurler n’allait pas résoudre leur conflit
  • les prendre séparément, pour avoir une chance de comprendre ce qu’on me dit, puis ensemble, pour avoir une chance de rétablir le lien
  • les faire écrire
  • leur faire faire des trucs sympas ensemble pour qu’ils créent un autre lien
  • les récompenser toutes les fois où je les ai vus prendre sur eux pour ne pas s’énerver

Rien ne fonctionne dans la durée. Notre vie de famille est une pétaudière, quoi que nous essayions de faire avec mon Fabuleux (d’ailleurs, bizarrement, ils se lâchent dix fois plus quand il n’est pas là).

Ah, si, j’ai tenté un dernier truc : les asseoir sur mon lit, très sérieusement, et leur dire ces mots, avec beaucoup de gravité : 

  • Un jour, papa et moi, on sera morts. Le monde ne va pas vous faire de cadeau, les gens seront méchants avec vous. Alors il faut que vous soyez une équipe, parce que personne d’autre qu’un frère ou une sœur ne pourra vous loger si vous êtes à la rue, pauvre et / ou malade. Vous êtes une équipe ? VOUS ÊTES UNE ÉQUIPE ??

Réponse : un « moui » mou, et trois minutes plus tard, tout le monde s’écharpait pour avoir la place du milieu dans la voiture. (Je vais lancer une pétition « pour des voitures SANS places du milieu »). En un mot comme en cent : agiter le spectre de leur déchéance potentielle et de notre mort n’a pas eu le moindre effet sur eux. 

Pourquoi ai-je l’impression que certains amis réussissent à créer entre leurs enfants une ambiance sereine, douce, saine, faite de coopération et de soutien mutuel ?

Pourquoi les miens sont-ils si prompts à se dénoncer mutuellement, à s’écharper et à s’écraser les orteils ? 

Une phrase, une seule a réussi à alléger ce poids terriblement lourd à porter. 

« Si je comprends bien, vos enfants s’aiment, mais ne s’entendent pas ». 

M’est alors revenu en mémoire cet épisode entre mes deux chiffonniers en chef : après une sortie vélo à l’école, ils m’avaient tous les deux suppliée de rentrer à la maison par la piste cyclable qui passe sur l’ancienne voie ferrée. La confiance n’excluant pas le contrôle, je les avais accompagnés à l’entrée de la piste, puis j’étais allée me poster à la sortie, juste devant la maison. Et là, coup de téléphone. 

  • Bonjour madame, je suis avec votre petit garçon, sa sœur est tombée à vélo et elle s’est fait mal. Il m’a demandé mon téléphone pour vous prévenir. 

Me voici à courir vers eux et là, juste derrière le tournant qui les cachait à ma vue : mon bonhomme, debout à côté de sa sœur (genou en sang et larmes aux yeux), la main sur son épaule.  

Oui, mon fils ne s’entend pas avec sa sœur (et c’est pas mal réciproque), mais quand il a fallu faire preuve d’empathie et chercher une solution, il l’a fait, et il l’a fait parce que, quoi qu’il en dise, il n’en a pas rien à fiche. 

Chère Fabuleuse, si tes enfants ne s’entendent pas, sache que ça ne les empêche pas de s’aimer.

Bien sûr, on préférerait tous que cet amour s’exprime autrement qu’à travers des portes claquées et des insultes murmurées entre deux coups de coude au petit déjeuner. Bien sûr, il y a des jours où tu supportes plus ou moins bien ces conflits larvés ou ouverts, ces explosions de colère et ces coups vaches. Certains jours, j’ai envie de m’enfouir la tête sous les coussins du salon le temps que tout se calme (rendez-vous dans dix ans), d’autres jours, j’ai la patience d’enfiler mon casque bleu, parfois j’ai l’impression que je ne dois pas intervenir, d’autres fois je me dis que si je ne fais rien, je risque de retrouver les dents de l’un plantées dans l’épaule de l’autre. Comment on gère les portes qui claquent ? Au jour le jour. Comment on apporte un peu de sérénité dans la vie de famille ? On innove, on teste, on rate, on cherche. Comment on se rassure sur le fait qu’ils s’aiment quand même ? On se rassure en se disant qu’ils s’aiment quand même. 

Je suis sûre qu’il existe énormément de ressources éducatives pour affronter le problème des portes qui claquent.

Si te plonger dans la littérature éducative est ton dada : fonce ! Si ça te file de l’urticaire : papote, échange, partage les trucs qui ont marché une fois, confronte, souffle un coup, rappelle-toi comment tu étais avec tes frangins, et réessaie. Ça ne dure pas toute la vie. Ton job à toi n’est pas de les forcer à bien s’entendre, ça, c’est leur affaire. Ton job, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas de sang sur les murs et d’organiser comme tu le peux des moments de joie familiale qui vont les nourrir et mettre de l’eau dans le vinaigre de leurs relations. 

Chère Fabuleuse, ne désespère pas, essaie sans relâche et parfois, sois lâche. Si ça dépasse tes compétences (ça dépasse les miennes, la plupart du temps), n’hésite pas à te faire aider. D’ailleurs je vais te faire une confidence : la phrase clé dont je t’ai parlé plus haut « vos enfants s’aiment, mais ne s’entendent pas » n’est pas de moi, mais d’une chouette thérapeute. Elle n’a pas réglé le problème des portes qui claquent, mais elle m’a rassurée sur le fait que ce n’était pas le drame absolu et irréversible que j’imaginais.

Sinon, on peut aussi choisir de passer aux portes coulissantes. 



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Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

https://www.fnac.com/ia9173370/Agathe-Portail

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