Il y a une chose que je n’ai jamais faite, depuis que je suis maman. Plusieurs, même : aller me faire épiler régulièrement, me faire poser du vernis quand j’en ai envie, remplacer ce jean déchiré aux genoux bon pour la poubelle que même mon ado de fille n’oserait pas porter, m’acheter ce fameux manteau qui est juste chaud, léger, classe et décontracté ce qu’il faut, et prendre des vacances entre copines.
Cela m’est déjà arrivé, bien sûr.
La dernière fois, c’était en deuxième année de fac :
une semaine de plage entre amies. Mais c’était il y a… quelques années déjà. Si loin qu’il a fallu que je cherche longtemps dans ma mémoire pour trouver quand c’était arrivé. Depuis, je n’ai jamais renouvelé cette expérience.
Je me suis mariée, nous sommes partis à deux, puis à trois, puis j’ai divorcé (ce qui n’est jamais bon pour la cagnotte vacances), puis j’ai rencontré mon amoureux et nous avons eu un, puis deux bébés, et depuis c’est un non-stop le nez dans le guidon parental. Je voyage au pays merveilleux des biberons, des doudous et des Lego ninja. Donc non, je ne l’ai jamais refait.
Depuis la naissance de ma grande, mon quotidien est d’entendre :
« Mamaaaaaan ! j’ai fini de faire cacaaaaa ! »
« Chérie, comment je fais cuire les pâtes ? Que faut-il faire du linge humide dans la machine ? » (Je suis mauvaise langue)
« Oui mais j’avais oublié que j’avais un exposé d’histoire demain, tu pourrais m’imprimer 15 illustrations en couleur, format A3 s’il te plaît ma maman chérie ? » (J’exagère un peu)
Et autres petits fiorettis sexy.
Mes soirées entre copines (car j’ai préservé cet indispensable sas de décompression) me donnaient un avant-goût de ce que pourraient être quelques jours. Ces soirées où, à 23 heures, je regarde ma montre avec un petit soupir, en disant : « Bon, il faut que j’y aille ! » et qui ont toujours un parfum d’inachevé.
Depuis quelques années cela me titillait. J’éprouvais comme un manque de complicité féminine, un besoin de me retrouver en tant que femme. Femme au sens féminin, pas femme au sens maternel ni conjugal : pour cela je suis plus que largement servie et j’ai bien conscience de ma chance.
Mais j’ai besoin d’échanger sur des sujets de femme, entre femmes, de claquer mon temps en futilités qui m’enchantent sans personne à mes basques, de développer longuement mon ressenti sur le dernier roman alambiqué que j’ai lu face à quelqu’une qui comprendra ce que je veux dire, d’épiloguer sans fin sur nos maris et leur gestion des émotions, de m’extasier en groupe sur les prouesses de nos enfants, et paradoxalement de retrouver un cerveau 100% disponible pour moi-même, bien que je les emmène tous dans un gros coin de mon cœur.
Et puis…
…il y a eu les vacances au ski en famille cet hiver.
Des vacances particulièrement éprouvantes pour mes nerfs. Nous étions entassés dans un minuscule studio rempli de combinaisons mouillées et de moufles de toutes tailles. L’espace le plus intime était les toilettes : pas spécialement romantique pour un couple qui vit séparé toute la semaine. Et si mon homme est un chamois des pistes, je me rapproche davantage de l’hippopotame crispé sur ses skis. Cerise sur le gâteau, la cohabitation avec ma belle-mère n’avait pas été de tout repos, pour parler sobrement.
Alors, en rentrant de ces vacances, je me suis tournée vers mon chéri, et je lui ai dit, les yeux dans les yeux :
Never again.
Et c’est là que l’idée a germé. Pourquoi le priver du ski ? Et de sa mère ?
J’ai donc pris une grande inspiration, et je lui ai dit :
« Mon amour, l’hiver prochain, tu partiras initier tes fils aux joie de la glisse alpine. Moi, je partirai avec mes copines m’initier aux joies du spa accompagné d’un bon mojito. »
Et voilà.
Proposition, validation, choix de destination, réservation, délectation. C’était aussi simple que ça.
Depuis je me demande régulièrement : Mais pourquoi ai-je attendu 42 ans pour réaliser ce fantasme absolu ?
- Parce que je pense que je suis indispensable ?
- Parce que dans le fond, je kiffe le pliage de linge ?
- Parce que c’est valorisant, quand même, que ce soit moi qui fasse tourner la baraque ?
- Parce que je crains que mes enfants ne soient perdus sans moi ?
Allons, on ne parle que de quelques jours sans ma précieuse présence. Peut-être plutôt parce que j’ai du mal à exister sans eux, et qu’il faut que j’en reprenne l’habitude :
C’est une sorte de cure de désintox maternelle.
Je vais demander à être remboursée par la Sécu.
Mais finalement, je suis aussi éberluée par le fait que cela ait été aussi simple. Et pourquoi donc ? Parce que je n’ai pas tourné autour du pot.
Je n’ai pas demandé à mon chéri : « Penses-tu qu’il serait éventuellement possible, qu’exceptionnellement, je te laisse t’occuper des enfants quelques jours, si tu es d’accord et que tu juges ça compatible avec tes obligations… ? » Phrase qui évidemment prédispose à l’échec puisqu’elle sous-entend que :
- Il n’en est pas capable,
- S’il s’en pense capable, je lui présente la chose de manière si angoissée que je le ferai douter de ses propres capacités,
Et finalement, je me mets moi-même des bâtons dans les roues en soulevant des objections possibles.
À la place, je suis partie des postulats suivants :
- Qu’il se débrouillera parfaitement car après tout, il connait ces enfants depuis leur naissance (comme moi)
- Qu’ils seront tous ravis de faire des dîners de chips-saucisson-pizza-frites
- Que cette semaine sera l’occasion de tisser une belle complicité entre eux sans mon encombrante présence.
Alors, voilà :
Roule ma poule, advienne que pourra, alea jacta est, après moi le déluge.
Et là, tout en accrochant un petit Père Noël dans mon sapin et en réajustant discrètement la décoration un peu bancale disposée par les petits – toutes les boules dans le tiers inférieur droit des branches -, je me réjouis de ce beau cadeau que nous nous faisons mutuellement :
Je me réjouis car cette irremplaçable expérience permettra de remettre en tête à mon amoureux que sa femme assure (et toc) et que ce n’est pas de la tarte tous les jours (re-toc).
Je me réjouis parce qu’il en a habilement profité pour négocier une semaine de vacances entre copains l’année suivante, qu’il n’y aurait pas forcément pensé sans cette impulsion, et que je sais à quel point cela lui fera du bien.
Et je me réjouis car je reviendrai gonflée à bloc, reconnaissante envers eux tous de m’avoir laissée m’échapper, et si heureuse de les retrouver, eux qui sont ma raison de vivre.