Les plaisirs les plus simples sont le moyen le plus sûr pour être durablement heureux.
C’est en apprenant à nous contenter de peu, à jouir et nous réjouir de presque rien, que nous sommes assurés de trouver le bonheur. Épicure, philosophe grec du IVe siècle avec J.-C., est connu pour avoir fait l’éloge des plaisirs, qui sont pour lui le moyen le plus sûr de trouver le bonheur, car « tout plaisir est un bien », dit-il. Mais il n’invite pas pour autant à une vie où débordent les plaisirs les plus incroyables et les plus fous.
Car le plaisir suprême se trouve… en buvant tout simplement de l’eau.
« Les saveurs simples apportent un plaisir égal à un régime riche ». Ainsi, « l’eau procure le plaisir suprême si l’on était en manque lorsqu’on l’a absorbée ». C’est pourquoi que je te propose aujourd’hui de prendre le temps de boire un verre, avec le philosophe Épicure.
J’ouvre le robinet, et je remplis mon verre. L’eau jaillit soudainement, limpide et claire, transparente et pure. J’entends son léger clapotis. Sans que j’aie besoin de fournir le moindre effort, elle monte dans mon verre dont la surface est agitée par le tourbillon de l’eau vive. Je n’ai pas besoin de faire des kilomètres ou d’aller la chercher au fond d’un puits. Elle est là, presque toujours à portée de main, à attendre que j’aie besoin d’elle. Si ordinaire qu’on ne la regarde plus. Si habituelle qu’on l’absorbe sans y prêter attention. Eau sans laquelle aucune vie ne serait apparue, et sans laquelle aucune ne se maintiendrait bien longtemps.
Je coupe le robinet et l’eau devient presque immobile. La surface oscille légèrement à cause de ma main hésitante.
Je porte mon verre d’eau à ma bouche. Première gorgée.
Le liquide froid humidifie ma bouche et la rafraîchit. Et l’eau, qui anime tout ce qui vit, me fait me sentir vivante.
Je sens l’eau descendre dans ma gorge, avant d’irriguer chaque partie de mon corps.
Deuxième gorgée, troisième gorgée.
Chaque gorgée est composée de myriades de gouttes d’eau, qui du ventre de la terre sont montées jusqu’au ciel, pour redescendre à la surface et venir m’abreuver. « L’eau bue dans la paume ou à même la source fait couler en nous le sel le plus secret de la terre et la pluie du ciel », chante Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien.
Je continue de boire. Je ressens peu à peu les effets de l’eau dans mon corps.
Je me sens plus légère. L’eau me dés-altère, autrement dit, elle me rend à moi-même. L’espace d’un instant, elle me reconnecte à mon corps, à la terre, au vivant, à tout ce qui est sous le ciel.
Boire un verre d’eau. Cette activité est si ordinaire et banale que nous le faisons de manière mécanique, sans y faire attention. Nous accomplissons les tâches les plus nécessaires avec automatisme et rapidité, pour en finir au plus vite et ne pas se laisser distraire par les nécessités que notre corps nous impose. Mais si nous y faisons attention,
nous pouvons faire de ces actes les plus simples, les plus essentiels, des moments de jouissance pure.
C’est dans notre capacité à jouir des plaisirs les plus simples que se cache le secret de la vie heureuse, nous dit Épicure. Car les plaisirs les plus simples sont les plus accessibles, les plus facilement réalisables. La joie qu’on peut en tirer est d’autant plus grande qu’ils répondent à un besoin nécessaire et vital, et que nous pouvons facilement reproduire les conditions de cette jouissance.
Si je sais me réjouir d’un verre d’eau,
même au milieu d’une journée harassante et tourbillonnante, je redescends dans mon corps engourdi. J’apprends à ne pas seulement avoir un corps, mais, pour quelques instants, j’apprends à être mon corps.
Jouir d’un simple verre d’eau, c’est se rendre capable de cueillir le bonheur dans les choses qui m’entourent
et sont déjà là, autour de moi, mais que je ne vois habituellement pas.
« Carpe Diem », disait le poète épicurien Horace. « Cueille le jour présent ». Goutte-le. Savoure-le. Choisis ce jour comme étant celui où tu vivras heureuse. Je passe mes jours en plannings, to-do-list, organisation… Mais la vie heureuse, la vie que je cherche, c’est maintenant qu’il faut la vivre. Et cela commence par un verre d’eau.
Écoutons pour finir Saint-Exupéry exalter les pouvoirs de l’eau dans Terre des hommes :
« Eau, tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peut pas te définir, on te goûte sans te connaître. Tu n’es pas nécessaire à la vie : tu es la vie. Tu nous pénètres d’un plaisir qui ne s’explique point par les sens. […] Par ta grâce s’ouvrent en nous toutes les sources taries de notre cœur. Tu es la plus grande richesse qui soit au monde, et tu es aussi la plus délicate, toi si pure au ventre de la terre. […] Tu répands en nous un bonheur, infiniment simple ».
Chère Fabuleuse, tu viens de goûter les plaisirs simples qui rendent la vie heureuse, en savourant un verre d’eau. Sache ainsi goûter les plaisirs simples qui font la beauté de ta vie !
