Le petit grain de folie des mamans - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Le petit grain de folie des mamans

Rebecca Dernelle-Fischer 25 février 2018
Partager
l'article sur


Parfois, pour rire (ça doit être de l’humour de psy), je m’imagine un dialogue entre un psychiatre et une maman. Et je ris… je m’imagine le docteur d’un certain âge cocher des listes de symptômes qui n’en finissent pas, sauter d’un diagnostic à l’autre dans sa tête, compter les années de thérapie nécessaires pour traiter tout cela et désespérer, jusqu’à ce que… attendez, imaginez avec moi.

Il dirait poliment : « Bonjour Madame, je vous en prie, installez-vous donc » et il noterait dans son carnet : « J’accueille madame Y., son regard est vide, ses lunettes sales, les cernes sont marquées, les cheveux sont lavés mais pas séchés, sur la joue gauche on constate une grosse griffure, les vêtements ne sont ni propres ni ajustés de manière correcte, sur l’épaule droite je peux distinguer une substance gluante transparente dessinant de longues traces jusqu’au bord du décolleté. »

Il demanderait gentiment, en parlant fort et en articulant bien : « Madame, permettez-moi de vous poser quelques questions ».

Elle répondrait : « Tout ce que vous voudrez, tant que je peux rester assise un instant. »

Lui : « Entendez-vous des voix ? »

Elle : « Oui, tout le temps. »

Lui : « La nuit aussi ? »

Elle : « Oui, tout le temps. »

Lui : « Avez-vous l’impression que les voix veulent que vous fassiez quelque chose en particulier, vous donnent-elles des ordres ? »

Elle soupire : « Oui, beaucoup, tout le temps, ça n’arrête jamais. »

Lui (merde là on est dans la psychose pure) :

« Ressentez-vous une perte de liberté ? Vous sentez-vous persécutée ? Suivie ? Observée ? »

Elle rit jaune : « Oui, partout et tout le temps, ils me poursuivent même dans les endroits les plus intimes, je les entends derrière la porte des toilettes ».

Lui : « Vous arrive-t-il d’avoir des propos incohérents ? Votre entourage vous fait-il des remarques sur votre manque de suite dans les idées ? »

Elle renifle : « les gens me regardent souvent de travers, surtout quand je dis des choses comme :

  • ‘ressors du lave-vaisselle,
  • ne mets pas ça sur ta tête,
  • j’ai trouvé une paire de ciseaux dans le tiroir de mes chaussettes,
  • c’était pas des crottes mais des raisins secs par terre
  • ou encore : j’ai trouvé une culotte de barbie dans mon portefeuille’.

J’ai l’impression que personne ne me comprend. »

Lui (qui intérieurement fait la liste des médicaments qui pourraient aider) : « Madame, parlez-moi de votre capacité de concentration. Parvenez-vous à terminer les projets que vous commencez ? »

Elle ferme les yeux et visualise, une à une, le pièces de sa maison.

Son regard s’arrête sur le tableau d’affichage près du téléphone, une panique l’envahit, elle ouvre les yeux et crie visiblement angoissée : « Non docteur, rien, jamais, rien de fini, toujours de nouveau, les piles ne diminuent pas, je cours, je cours et le but s’éloigne, je refais sans cesse les mêmes gestes mais rien ne change… »

Il lui donne un verre d’eau, le problème est bien plus important qu’il l’avait imaginé. Pour sûr, il faut envisager la possibilité de présence de tocs, d’angoisses et de troubles de la concentration. Il faut ratisser plus large : « Comment sont vos nuits ? Pouvez-vous dormir d’une seule traite de 6 à 8 heures par nuit ? Et votre appétit ? Prenez-vous le temps de manger 3 repas par jour, au calme en étant assise ?

Et dernière question : comment est votre libido ? »

Elle avale de travers et entre deux quintes de toux, s’interroge : «Dormir, manger ??? Tranquille ? Assez ? Au calme ? Et ma libido, vous voulez dire mes envies… je veux juste la PAIX, docteur. »

Il s’étonne de tant d’agressivité d’un seul coup. Aurait-il à faire à une personne instable, soumise à ses impulsions ? Il se risque à un timide :

« Avez-vous des envies de meurtre parfois ? Ou tout simplement des pulsions auxquelles vous ne pouvez résister ? »

Elle rit, elle ne répond pas tout haut mais dans sa tête elle entend : « Oh oui des envies de meurtre et de tout planter là entre la répétition de danse et la bibliothèque qui réclament encore 3 livres et demi non rendus depuis 3 ans ».

Il tente de cacher son inquiétude.

Dans sa tête, il navigue d’une catégorie à l’autre du manuel de psychopathologie… manquerait plus qu’un profil de dépendance à un quelconque drogue. Il en perd son latin, il n’a jamais vu un cas si complexe, on dirait que cette dame traverse une phase d’intense perte de contact avec la réalité. Ce sera la dernière de ses questions, il s’y aventure :

« Madame, vous arrive-t-il de chercher frénétiquement une substance à consommer au plus vite et de préférence en cachette, peu importe le moment de la journée ? »

Elle penche la tête, ses lèvres marquent un sourire gêné et elle murmure : « J’avais tout caché dans l’armoire pour qu’ils n’en mangent pas trop d’un coup, et deux jours après que le grand Saint soit passé, Max m’a demandé de lui sortir un de ses chocolats, j’ai ouvert le placard et là… PLUS RIEN. Docteur, j’avais, sans le réaliser, mangé toutes les sucreries, toute seule, en 48h … c’est pour ça que je vous consulte ce matin. Est-ce grave docteur ? »

Il bégaye : « … Vous avez des enfants ? »

Elle opine du chef : « Oui, docteur 3, entre 6 mois et 5 ans. »

Il la regarde sortir de son sac à main :

  • une tétine
  • des mouchoirs sales
  • un livre
  • des chaussettes
  • des élastiques
  • 3 playmobils
  • des bonbons
  • puis enfin son portefeuille qu’elle ouvre (en laissant tomber 4 tickets de caisse sur le sol)
  • et lui montre la photo de 3 lutins riant aux éclats, le visage barbouillé de glace.

Elle lève les yeux, écrase une larme, murmure :

« J’ai l’impression d’être folle docteur, j’en peux plus ».

Il pose son carnet de notes sur son bureau, prend son cahier d’ordonnances, il s’assied près d’elle et lui dit en souriant : « je vous prescris :

  • du chocolat,
  • des promenades sous la pluie,
  • des films de Noël en été,
  • une grasse matinée de temps en temps,
  • beaucoup d’humour,
  • un calendrier plein de blagues idiotes dans les WC,
  • et de temps en temps de crier des gros mots dans la nature et s’autoriser une grosse crise de larmes sous la couette quand tout craque,
  • mais surtout, revenez me voir quand ils seront sortis du nid… Vous verrez, les journées sont longues mais les années passent vite et les plus belles mamans ont toutes un petit grain de folie, un fabuleux petit grain de folie.


Partager
l'article sur


LA NEWSLETTER DES FABULEUSES
Rejoins une communauté
de Fabuleuses mamans
Les aléas de ta vie de maman te font parfois oublier la Fabuleuse qui est en toi ? Comme 150 000 mamans, reçois chaque matin ton remontant spécial maman qui te fera rire, pleurer et réfléchir. La petite attention quotidienne idéale pour prendre soin de toi, et te souvenir à quel point tu es Fabuleuse. Alors rejoins-vite notre communauté de mamans qui ont décidé de prendre soin de leur santé émotionnelle, on n’attend plus que toi ! En plus, c’est entièrement gratuit !


Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

> Plus d'articles du même auteur
Les articles
similaires
mains qui se tiennent soutien
Prendre soin de mes peurs
Il paraît que mettre un pied dans le monde de la maternité, c’est accepter que la peur devienne notre compagne[...]
Oui, je vais chez le psy
Je me souviens de la réaction de ma mère la première fois que je suis allée chez le psy. « J’espère[...]
Conception et réalisation : Progressif Media