« Je n’en peux plus de me battre »,
me dit Deborah, « j’ai l’impression que tout est lutte en ce moment dans ma vie : je me bats pour que mes enfants m’obéissent, je me bats pour venir à bout de la to-do-list, je me bats contre moi-même pour essayer d’être plus cool, je me bats contre mon mari alors que j’aspire à son soutien et à une relation complice avec lui ».
Deborah me confie se sentir à bout de force, elle est gagnée par une grande lassitude. Le résultat ? Elle baisse les bras, elle laisse faire, elle ferme les yeux, elle fait un pas en arrière. Elle se tient à la frontière de sa vie, comme si la pièce de théâtre se déroulait devant ses yeux, sans elle.
Deborah considère sa vie comme un champ de bataille.
Et la guerre, elle en a sa claque. Elle ne se sent pas l’âme belliqueuse. Elle a beau adorer ses enfants, elle a une puissante envie de déserter.
Bien sûr, elle a conscience que cette posture de retrait n’est pas un choix épanouissant. Elle sent bien qu’elle se recroqueville. Simplement, elle en a marre. Sa vie se résume à ce choix unique : se battre ou renoncer. Or, elle n’a plus la force de prendre les armes.
Pourquoi vient-elle me voir, Deborah ? Elle se doute bien que ce n’est pas un psychologue qui va la planquer dans son grand manteau pour lui faire passer la frontière en douce, vers le pays des Bisounours.
Elle vient parce qu’elle sent bien, dans le fond, qu’en se tenant au bord de sa vie, c’est aussi à elle-même qu’elle renonce.
Elle ne le dit pas comme ça, non, elle nomme une insatisfaction grandissante, une colère sourde contre son mari, un détachement de ses enfants. Elle perçoit que la joie s’est fait la malle. Tout cela l’inquiète.
Ce qui arrive à Deborah, c’est qu’elle a opté pour une forme de renoncement que l’on pourrait appeler « la paresse d’être soi ». Parfois, c’est plus facile de rester planquée derrière les décisions des autres. Quand on a été habituée, comme Deborah, à être celle dont la parole ne compte pas, on est devenue experte en adaptation. On sait parfaitement comment ne pas faire de vagues.
C’est un système qui peut être confortable pendant un temps. Parfois c’est l’unique stratégie pour survivre.
C’est le cas pour Deborah. Elle vit en économie d’énergie : elle accomplit ses tâches pour que sa vie de famille roule, en bon soldat. Si elle aime ça ? Pas vraiment, mais elle n’est pas de celles qui ouvrent grand leur bouche et imposent leurs quatre volontés. Elle en rêve parfois en secret. Mais elle sait que ce n’est pas une manière de faire et d’être qui lui ressemble. Elle garde pour elle sa vague impression de se sacrifier et souffre en silence. Jusqu’au jour où, comme d’autres, elle se demande : mais que suis-je en train de faire de ma vie ?
Deborah vient me voir le jour où elle réalise qu’elle n’est pas respectée par ses proches :
« personne ne m’écoute dans cette famille, quant à dire ce qui compte pour moi, ça fait belle lurette que tout le monde s’en fout ».
Deborah a changé d’avis, elle n’a plus envie d’être dans l’adaptation et le retrait permanent, mais elle n’ose pas en parler à son conjoint. Qu’est-ce qui la retient ? L’impression d’être liée par une promesse gravée dans le marbre. Quand elle a rencontré son mari, il lui a dit l’importance que revêtait pour lui sa vie professionnelle et en retour, elle lui a promis son soutien dans ce désir de réalisation. En plongeant dans leur vie amoureuse, maritale, puis de parents, elle est restée fidèle à cette conversation d’alors, s’occupant entièrement de la logistique de la maison et des besoins de leurs enfants.
Aujourd’hui, elle me confie se sentir douloureusement partagée :
à la fois désireuse de tenir ce qu’elle considère comme une promesse faite à son mari au début de leur vie à deux, à la fois douloureusement consciente que sa « promesse » lui demande de faire le sacrifice de sa vie professionnelle à elle, et qu’elle n’en peut plus de ce renoncement. Elle en veut à son mari, elle s’en veut à elle et elle se sent coincée dans une impasse : soit je trahis la promesse faite à mon mari, soit je me trahis moi-même.
Deborah va découvrir qu’elle a changé depuis cette « promesse », que sa vie a changé.
L’arrivée des enfants a modifié la donne, rendant douloureuse cette « loyauté » à laquelle elle s’oblige et qui est source de souffrance pour elle aujourd’hui. Son mari et elle ont la responsabilité en tant que couple de se mettre autour d’une table et de rebattre les cartes de leurs choix, chaque fois que c’est nécessaire.
Elle va comprendre qu’elle vit une étape importante de sa vie. Une étape qui est une formidable occasion pour repérer ce qui, chez elle, n’est pas respecté. Deborah va réapprendre à se respecter elle-même, préalable indispensable quand on veut se sentir respectée par ceux avec qui l’on vit.
La psychologue que je suis va l’aider à considérer ses besoins, à débroussailler la forêt de ronces qui recouvre son désir, à honorer sa vie, à formuler des demandes, à s’écouter et à se faire entendre.