Le 28 mai, mes plus jeunes enfants reprennent l’école, et moi, je reprends le travail en présentiel, à temps partiel. Enfin ! Voir des collègues, avoir des conversations d’adultes avec des vrais gens (qui ne jettent pas des legos à travers la pièce, EUX) même masqués, même d’un peu loin : quelle jubilation ! Prendre ma voiture pour aller ailleurs qu’au supermarché pour le plein hebdomadaire de courses : quel exotisme ! Voir autre chose de ma fenêtre : quelle nouveauté !
Le 28 mai, j’achève OFFICIELLEMENT mon confinement. YEAH ! Retenez-moi ou je vais mettre un disque de Franky Vincent à fond, c’est dire dans quel état de folie je suis.
Car pour ne rien vous cacher, j’en arrive à un stade où je ne peux plus voir mes enfants en peinture, ni mon mari, d’ailleurs. 74 jours à me les coltiner tous, 24h/24, 7j/7, même s’ils sont très mignons (mais quand même très souvent plus proches du gremlins que du bambin) c’est vraiment, vraiment, très très beaucoup trop.
Alors oui, bien sûr, ce confinement aura été l’occasion, pour nous qui vivons habituellement en célibat géographique, de nous retrouver au domicile professionnel de mon mari, avec un rythme « normal » : être à deux le matin, lire dans notre lit ensemble le soir, bavarder en rangeant la vaisselle, raconter les histoires chacun son tour. Il y eut, dans ces semaines particulières, ce bonheur simple de nous retrouver et de renouer avec une vraie vie de famille.
Mais je garderai aussi la frustration d’avoir un mari très pris par son travail, donc beaucoup absent ; et très sollicité au téléphone sur ses temps de présence. J’en garde la frustration d’entendre « j’arrive dans 10 minutes ! », puis, une heure plus tard, « désolé, j’ai été retenu, je pars maintenant ! ». Et le téléphone qui sonne, sonne et resonne, quand nous nous posons enfin dans le canapé.
J’en garde surtout l’ennui croissant, jusqu’à la saturation totale, de la cuisine. Parlons-en deux minutes, de la cuisine : comment ne pas développer une aversion pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à une casserole, quand il faut, 74 jours d’affilée, à 11h30 et à 18h, réfléchir à ce qu’il va encore falloir faire à manger ?
74 jours. 148 repas.
148 idées de menus à trouver, entre celui qui n’aime pas les haricots et veut des concombres à chaque repas, celui qui demande « qu’est-ce qui est le plus calorique ? L’emmental ou le parmesan râpé ? » (C’est que l’adolescence est bien là, et le souci de son corps avec), celle qui déteste les carottes cuites mais voudrait des chocapic en dessert, celui qui est constipé dès qu’il mange du riz, ceux qui s’empiffrent à l’apéro et n’ont plus faim quand le repas arrive, et celui qui en a marre des pâtes parce qu’il mange cela à longueur de semaine, tout seul loin de nous ? Avec tout cela, le souci de diminuer un peu les quantités ingérées pour compenser la baisse d’activité physique : un vrai casse-tête.
« J’aime pas les endives, beurk »
« Encore des épinards ! C’est tout ce qu’on a à manger ? »
« Je veux un flamby ! pourquoi t’as pas racheté de flamby ! »
Il est 13h30, nous finissons de débarrasser la table, un peu de répit et hop, une fois la sieste finie, la question fatidique revient :
« Maman, on mange coaaaaa ce soir ? »
Mon chéri, je n’en peux plus de chercher encore un nouveau truc pour remplir ce tonneau des Danaïdes qu’est ton estomac.
Manger, remplir le lave-vaisselle, cuisiner, entasser les plats sales partout, brûler mes courgettes parce qu’entre-temps il a fallu séparer les garçons qui s’écharpaient dans leur chambre et sanglotent tous les deux en s’accusant mutuellement d’avoir commencé, et me retrouver au dîner devant ces ingrats qui osent me dire en fronçant le nez : « Elles sentent le brûlé les courgettes, c’est pas très bon. » Je n’en peux plus.
Alors voilà mes enfants, en ce moment, Maman a envie de démissionner.
Maman a besoin de faire autre chose que nourrir sa troupe. Maman a besoin qu’on l’oublie deux minutes, qu’on dîne de chips ou de corn-flakes ce soir, Maman veut faire grève. Maman a besoin d’entendre autre chose que « Maman Maman Maman Mamaaaaan !!! » Maman veut retrouver sa vraie vie d’avant, celle où… enfin… Celle où elle vous voit un peu moins, quoi !
Parce que s’il y a une chose que j’ai bien comprise dans ce confinement, c’est que je n’étais pas du tout faite pour être mère au foyer. Je le savais déjà. C’est une situation que je n’ai vécue que lors de mes congés maternités, avec le plus souvent le bébé seulement avec moi. Ce furent des parenthèses pleines de tendresse, mais très honnêtement, j’ai toujours été heureuse de repartir travailler et n’en ai jamais ressenti de culpabilité.
Mais là, je l’ai perçu de manière plus aiguë :
Rester chez moi, ce n’est vraiment pas pour moi. Il faut, pour bien vivre cette situation, une solidité à toute épreuve, une patience angélique, et des trésors d’inventivité : toutes choses qui ne sont pas mes qualités principales. Et j’en retire une admiration encore plus grande pour toutes ces mamans qui par choix ou nécessité, mettent entre parenthèses leur activité professionnelle.
Bravo à vous, toutes les mamans qui parvenez à vivre avec sérénité ces mois ou ces années de tête-à-tête avec vos enfants, à faire preuve d’imagination et à transformer comme par magie, vos boîtes à œufs et rouleaux de papier-toilette en créations délicates ou même moches (ce n’est pas grave), à trouver votre joie dans tous ces petits instants.
Ce que j’ai compris aussi, c’est l’importance de mon travail. Déjà, je perçois la chance d’en avoir un, et la chance de le garder en dépit des circonstances. Et puis après plusieurs années de vie professionnelle, j’éprouvais un peu de lassitude, une perte de motivation, une volonté de changer pour je ne sais pas trop quoi, d’ailleurs. Avoir été en situation forcée de mettre mon activité en veille, m’aura permis de voir de nouveau ce que j’aimais dans mon métier : je crois bien que ce confinement aura dépoussiéré la relation entre mon job et moi.
Dans quelques jours, je vais retrouver définitivement mon cadre, mon appartement, mon placard rempli de fringues, ma ville, mes petits trajets, mes voisins, le vigile toujours souriant de mon supermarché. Et voilà : au bout de 74 jours de confinement et 148 repas à faire, je peux le dire vraiment :