L’autre jour, à la sortie de l’école. Tandis que j’essaie d’extirper un biscuit du paquet pour étancher la faim de mon cadet (je ne suis pas sûre qu’il mange quoi que ce soit à la cantine), j’entends mon fils aîné papoter avec un copain.
Génial, il a un copain !!
Teneur de la conversation : l’activité qui va occuper leur fin d’après-midi, maintenant que l’école est finie.
Le copain : « Je vais chez ma mamie, il y aura des dessins animés. »
Mon fiston : « Moi, je vais aller au parc. Avec mon frère, on va monter sur l’araignée. Moi, j’arrive même à monter tout en haut ! »
Le copain : « Whaou, t’as trop de chance ! Qui va t’emmener ? »
Mon fiston : « Ben, c’est ma mère ! »
J’ai buggé. Complètement.
Ma mère !?
Non, mais ça va pas, non ? Comment parle-t-il de moi, ce petit morveux ? La prochaine étape, je la vois comme si j’y étais, la voici : “Ma mère me fait ch…”.
Me voilà donc devant le portail de l’école, le sac de mon cadet sur l’épaule, un biscuit grignoté dans une main, tentant de moucher comme je peux le dit cadet. Pourtant, à l’intérieur, on est bien loin de la gentille maman qui va aller au parc avec ses enfants.
“Mère” : ce petit mot a suffi pour déclencher en moi un tsunami émotionnel.
Même si théoriquement et administrativement, je suis bien sa mère, ce terme me chiffonne. D’abord, parce qu’il exsude un dangereux parfum de rébellion. Quand je disais “ma mère”, c’était surtout pour me plaindre d’elle et me la péter auprès de mes copines de collège ! Oui, de collège. Sauf que là, on en est loin, du collège : fiston est encore à l’école primaire pour un bon moment.
Mais “mère”, ça fait un peu “mauvais genre”, non ? Du style : “Elle me saoule tellement, ma mère”, ou “Oh, c’est ma mère, je dois te laisser”. Dans mon inconscient, le terme de mère ne tient aucunement compte de tout ce que cette femme représente. Quand on parle de la mère en général, aucun souci, mais dès qu’il s’agit d’une mère en particulier, c’est comme si ce terme lui enlevait ses lettres de noblesse.
“Mère”, dans la bouche d’un enfant de tout juste 8 ans, ça fait quand même bizarre. Oui, oui, je vous vois sourire tandis que je tarde à crever l’abcès une bonne fois pour toutes : ce garçon est en train, peu à peu, de prendre de la distance avec la figure maternelle.
Bref.
De “maman”, je suis en train de devenir “mère”.
Moi qui suis toujours en train de prôner l’autonomie de l’enfant, moi qui ai un peu de mal à comprendre les mamans qui refusent de laisser partir leur enfant en voyage de classe, moi dont l’objectif est bien d’élever mes enfants pour les offrir au monde, pour les préparer à quitter leurs parents… me voilà tout bêtement, sur le trottoir de l’école, à assister à l’autonomisation affective de mon fils premier né.
Et bien que je n’aie jamais été ce que l’on appelle une “mère poule”, là, tout de suite, je suis tout simplement une mère qui vient de se prendre une petite leçon en pleine face :
Mon fils grandit. Quel scoop ^^
Mais aussi, quelle étape !
Mon fils, qui, à 8 ans, pleure encore plusieurs fois par jour, doit faire la sieste le week-end et vient tout juste d’accepter de jouer aux Lego; ce garçon-là, très immature affectivement, encore peu autonome…eh bien, il suit l’évolution normale de tout garçon de 8 ans : sur le trottoir de l’école, il appelle “mère” celle à qui il fait des câlins plusieurs fois par jour, celle qu’il couvre de compliments dès qu’elle est un peu fatiguée, celle qui se plie en deux chaque matin pour lui faire ses lacets et qui l’aide à gérer ses émotions quand par malheur un des stylos quatre couleurs de sa collection est cassé.
Et ça, c’est une magnifique nouvelle.
Et puis, on est encore loin de l’adolescence, et même de la pré-adolescence : j’ai encore un peu de temps pour profiter de cette saison durant laquelle je peux encore le prendre dans mes bras, lui lire des histoires, lui remettre sa couette en allant me coucher (et au passage, renifler sa petite odeur de chaud dans le cou !!).
J’ai encore un peu de temps pour préparer des gâteaux avec lui, pour m’allonger dans son lit le soir et lui lire une histoire, pour lui répéter une énième fois que le bleu est ma couleur préférée (sa fixation du moment) et que non, je n’ai aucunement l’intention de changer de voiture (son autre fixation du moment).
Dans cette saison, moins de pipi au lit, moins de fatigue physique, moins de réveils nocturnes, moins de fesses à laver et de colères à calmer. Dans cette saison, plus de conversations, plus d’explications sur « pourquoi on fait comme ça », plus d’accompagnement vers l’extérieur de la maison, plus de confiance, aussi.
Ce temps qui me reste de la saison qui touche à sa fin, je compte bien en goûter chaque gorgée, y débusquer les trésors insoupçonnés jusqu’ici, tout en accompagnant mon fils vers la prochaine étape qui, elle aussi, recèlera de trésors nouveaux.
Je prendrai plaisir à les chasser, tout en ayant gardé, dans mon coeur de maman, les joyaux de sa petite enfance. Et en y jetant un regard doux mais aussi émerveillé sur tout ce qu’elle m’a permis de découvrir de lui…et de moi.
Je vous laisse, il m’appelle pour que je l’aide à enfiler la fermeture éclair de son sweat. Je crois que j’ai encore un peu de marge 🙂