Je suis la 5ème d’une famille de 7 enfants. Cette réponse que je donnais quand j’étais petite à la question « Vous êtes combien dans ta famille ? » a toujours été un déchirement.
Ma maman a perdu un petit garçon un an avant ma naissance.
Ce n’était pas une fausse couche, elle a accouché après une grossesse normale et 2 heures après, ce petit garçon est mort. Il se trouve qu’il n’avait pas de reins et ses poumons ne s’étaient pas bien développés. Les échographies, moins performantes à l’époque, n’avaient pas permis de montrer que cet enfant ne serait pas viable. Pierre est donc le 5ème enfant de mes parents et je suis par conséquent la 6ème d’une famille de 8 enfants.
J’ai toujours su que Pierre avait existé, cela n’a jamais été un tabou — en revanche, je pleurais dès qu’on parlait de lui. Tout le monde mettait cela sur le coup de ma grande sensibilité mais c’était beaucoup plus complexe que cela. Jamais ma famille n’aurait pu le deviner car même moi je l’ignorais.
Il m’aura fallu de nombreuses discussions avec des amies qui étaient elles aussi « l’enfant d’après », une psychanalyse alors que j’avais plus de 30 ans pour pouvoir mettre des mots sur ce que j’avais toujours ressenti.
J’avais développé le syndrome du survivant.
Je me sentais coupable d’être en vie alors que mon frère était mort. Cela a été à la fois une source de grande détresse pour moi mais m’a aidé à me dépasser. Je voulais à tout prix tout faire tout bien pour montrer que je méritais bien d’être vivante. Cela était donc très compliqué dès que je ne réussissais pas à faire quelque chose ; ainsi, je pleurais en 6ème dès que j’avais une mauvaise note.
J’avais idéalisé Pierre, j’en avais fait un saint et je m’efforçais de me montrer à sa hauteur. Ainsi dans ma tête, lui aurait toujours eu des bonnes notes, lui ne se serait pas disputé avec ses frères et sœurs, lui n’aurait pas claqué la porte de sa chambre… c’était le double effet kiss cool pour moi !
J’ai également idéalisé la relation que nous aurions eu : il aurait été mon confident, il m’aurait compris, nous ne nous serions jamais disputé, il aurait été mon meilleur ami en plus d’être mon grand frère…
J’avais donc un grand frère imaginaire réel mais mort.
Ma famille n’a jamais soupçonné toutes les questions que je me posais car en façade, ça allait plutôt bien. Je travaillais bien à l’école, j’étais très dynamique, rigolote… et j’étais plutôt une enfant facile. Mes parents n’ont jamais pensé que je puisse faire un transfert entre Pierre et moi. C’était un garçon, j’étais une fille et il n’y avait donc pas de transfert possible. Ils en ont pris conscience lorsqu’à 19 ans j’ai demandé à ma mère si elle avait déjà pensé à Pierre quand elle m’avait dans ses bras quand j’étais bébé.
Cela fut un gros choc pour elle !
Elle m’a rassurée en me disant que bien sûr que non et elle m’a aidée à me rendre compte que Pierre — s’il avait vécu — aurait été gravement malade avec une vie pas très drôle et qu’il n’aurait pas été parfait car personne ne l’est !
C’est avec ma thérapie que j’ai commencé à faire le deuil de ce frère.
Revenir sur mon enfance et accepter que j’étais à ma place, en vie, tout cela n’a pas été évident. J’ai également remis Pierre à sa place. C’est bien mon frère mais il est mort et n’a donc pas la même place que mes frères et sœurs vivants. Cette thérapie m’a permis de relâcher la pression que je me mettais depuis toute petite pour faire tout parfaitement.
Je suis à ma place et n’ai plus besoin de me prouver que je dois être parfaite pour avoir le droit d’exister.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Laure.