Mon Fabuleux m’a tapé dans l’œil quand j’avais seize ans – au sens figuré bien-sûr – et il faut avouer que des années plus tard je suis encore sous le charme de sa personnalité originale et flamboyante.
Mais si je ne peux m’empêcher d’admirer cet homme évidemment beau, bon, profond et incroyablement intelligent, je ne peux pas non plus éviter d’être quelque peu désappointée par certaines de ses facéties qui ont le don, selon mon humeur, de m’amuser ou de m’irriter très légèrement.
Tout d’abord, disons-le : comme la plupart d’entre vous, chères Fabuleuses, quand on me demande combien j’ai d’enfants, je suis tentée d’en ajouter un à la liste :
« Cinq, monsieur. Trois garçons, une fille, et un mari. ».
Eh oui. Mon cher époux est un grand gosse.
D’ailleurs les enfants l’adorent : où que l’on aille, il est toujours entouré d’une nuée de gamins qui sautillent de joie autour de lui. Chouette, me direz-vous, mieux vaut une âme d’enfant qu’un esprit vieilli et aigri ! Certes.
Mais vous comprendrez aisément que je sois très relativement amusée puis un tantinet agacée quand, au moment du coucher des garçons, il leur lit l’histoire de Caroline au Pôle Nord avec l’accent allemand de Jacques Villeret dans Papy fait de la Résistance, puis que pour achever de les surexciter il entonne d’une voix de stentor une chanson improvisée dont les paroles provoquent l’hilarité des garçons ; il se roulent par terre de joie, puis sautent sur le dos de leur père qui entame une bataille de chatouilles.
« Merci mon amour. Tu peux aller ranger la cuisine ? Je vais les coucher moi-même. Ça vaudra mieux. »
Vous l’aurez compris : en matière d’éducation, mon Fabuleux a la rigueur d’un colonel Von Trapp et élève ses enfants avec un sérieux absolu.
Quand un de nos fils lui demande s’il a vu son doudou/jouet/livre préféré, mon cher et tendre époux lui répond immanquablement :
« Dans ton slip. »
J’attends avec un mélange d’effroi et de résignation le jour où une maîtresse me convoquera au motif que mon fils lui aura répondu « dans ton slip » après qu’elle lui aura demandé où il a posé son cartable.
Un dernier exemple (j’en ai trop, il a fallu choisir) : récemment, la tendance étant au relâchement dans la tenue – d’ordinaire excellente (hum hum) – de ma progéniture à table, j’ai instauré des « règles du repas ». Je les ai lues à mes garçons, et ceux-ci n’ont pas manqué de me faire remarquer l’oubli d’une règle d’importance à destination de leur père (!!) : ne pas lécher son assiette.
Car oui, cet homme pourtant si bien éduqué par ailleurs lèche son assiette, EN PRÉSENCE DES ENFANTS, un peu parce que ça lui fait plaisir, un peu pour se délecter de mon air furieux et un peu parce que cela fait rire ses fistons. J’ai donc dû instituer des règles du repas pour mon mari (la deuxième étant : je n’essuie pas mon assiette avec le doigt).
Vous voyez, j’ai bel et bien cinq enfants.
Passons sur ces quelques anecdotes qui vous auront prouvé à quel point nos enfants sont élevés avec sérieux, cohérence et exemplarité, entre le tempérament fantasque de leur père et celui non moins rigolard de leur mère.
Je pourrais aussi parler de cette habitude typiquement masculine — et que je ne m’explique toujours pas —, qui est de regarder pendant des heures entières (et de montrer à ses fils…) des vidéos stupides et d’une qualité médiocre, filmées par des amateurs Russes ou Américains : la mariée qui tombe à l’eau pendant sa séance photos, la fille qui se fait éjecter de son jet ski, l’homme complètement ivre qui s’écrase par terre après avoir essayé de sauter sur un mini trampoline depuis le toit.
Voyez-vous de quoi je parle ? Parfois je me demande s’il ne fait pas ça juste pour me tester et vérifier si mon seuil de tolérance envers ses manies est aussi élevé que le sien envers les miennes.
Bref.
Pour ne pas trop vous alarmer je n’évoquerai pas dans les détails son goût prononcé pour la provocation des honnêtes gens, sa propension déconcertante à faire des blagues dans les moments les plus solennels, ni son admirable capacité à ne pas me prendre au sérieux quand je suis de mauvaise humeur.
Je ne m’étendrai pas non plus sur son habitude de parler en verlan à nos garçons, sur les surnoms dont il m’affuble pour leur plus grande hilarité (ne vous inquiétez pas, je le lui rends bien), ou sur les menus types consommés par la maisonnée en mon absence (composés essentiellement de sucre et de gluten).
En fait, j’adore mon mari.
Il me fait rire intentionnellement ou malgré lui, et c’est une qualité dont je ne pourrais me passer. Il sait prendre la vie avec légèreté, ce qui fait beaucoup de bien à la grande anxieuse que je suis. Certes, il pourrait se passer de lécher son assiette avec gourmandise ou d’exciter les enfants à vingt heures trente.
Mais à vrai dire, je ne le voudrais pas autrement.
Je l’ai choisi comme ça, à la fois profondément droit et totalement fantaisiste, et je ne le regrette absolument pas. Il a le mérite de supporter mon fichu caractère et mes sautes d’humeur, presque toujours avec le sourire : et rien que pour cela, je lui suis profondément reconnaissante.