Oui, je juge. J’en ai honte, je n’aime pas ça, je m’énerve moi-même. Je ne veux pas juger, mais je le fais. Je suis jugeante envers les autres, malgré moi.
Mais ça ne m’empêche pas d’être révoltée quand j’apprends qu’une maman, un papa, n’importe qui a été critiqué pour ses choix, ses actions ! Surtout quand je vois le mal que ça fait à la personne jugée, à la personne qui reçoit en pleine figure une parole blessante.
Mais quand je sens cette révolte en moi, quand je la dis, je ne peux pas faire taire cette petite voix en moi qui me dit
« Eh ! Attends un peu ! Toi aussi tu le fais, toi aussi tu juges les autres ! »
Je ne peux pas, je ne veux pas me voiler la face, et faire croire aux autres et à moi-même que je ne suis jamais jugeante…
Oui, je juge. Je sais bien que c’est mal, que ça fait mal.
Je sais bien que ça ne sert à rien, que chacun-e fait comme il/elle veut, comme il/elle peut. Que ce n’est pas toujours facile, ou même possible. Je sais bien que ce n’est pas parce que moi je fais différemment que ce que font les autres n’est pas bien. Nous sommes différents, nos histoires sont différentes, et c’est normal du coup que nos actions soient différentes.
Mais j’ai beau savoir tout ça, j’ai beau me dire « la prochaine fois je ne jugerais pas ! », quand je suis témoin d’une scène (et faut pas se leurrer, c’est particulièrement le cas quand la scène implique un enfant et un parent), la première chose qui me vient en tête c’est :
« Mais pourquoi elle fait ça ? Si elle faisait plutôt comme ça, ce serait sûrement mieux pour elle, sa famille, son bébé, la planète, tout le monde, non ? »
Et si vous saviez à quel point je m’énerve moi-même !
Je me sens tellement impuissante quand mon cerveau part en vrille comme ça et analyse tout ce qui m’entoure, sans que je n’aie rien demandé ! J’ai l’impression de ne rien contrôler, de ne pas comprendre ce qui se passe, de ne pas maîtriser mes pensées… et le manque de maîtrise, ce n’est pas un ami que je porte dans mon coeur !
Bon, je me console un peu en me disant que la plupart du temps, ça reste à l’étape de la pensée et je ne dis rien… ouf ! Mais quand même, ça ne me plaît pas.
Et puis, parfois, je me surprends à me dire :
« Mais voyons, c’est bienveillant, tu cherches à aider, à trouver comment faire mieux et à améliorer la situation pour tout le monde. Et en plus, comme tu es déjà passée par là, tu sais comment il est possible de faire, ça pourrait être utile de donner un conseil. »
Et après, je mets un panneau rouge mental devant mes yeux en me disant :
« Stop ! Arrête de te mêler des affaires des autres ! Ce n’est pas ton rôle, et ce jugement ne fait du bien ni à l’autre, ni à toi, ni à votre relation. »
Et voilà que je m’en veux de ne pas réussir à prendre la situation et la personne simplement pour qui elle est, sans chercher à tout prix à « améliorer » la situation.
(qui a dit en plus que la personne a envie que ça change ?!)
Oui, je juge. Je n’aime pas ça, d’autant plus que j’ai l’impression de le subir, de ne pas réussir à le contrôler.
Mais un jour, quelqu’un m’a dit une chose qui m’aide énormément :
« Tu n’as peut-être pas de pouvoir sur cette première pensée qui te vient en tête, cette première histoire que tu te racontes. Mais tu as du pouvoir sur la deuxième. »
On ne contrôle pas toujours ses pensées premières, mais on peut contrôler celles qui viennent ensuite. Alors quand je me dis « Et bah j’aurais pas fait pareil », juste après j’essaie de me dire « Mais c’est vrai que je ne vis pas la même situation, donc c’est sûrement bien pour elle de faire comme ça. »
Quand je me dis « Il a l’air d’avoir vraiment de la peine avec son enfant, peut-être que s’il faisait différemment ça irait mieux », je me dis après « Je ne sais pas ce qui les a mené à cette situation, peut-être qu’il a déjà tout essayé, peut-être qu’il est fatigué, malade, en soucis pour son travail. »
Ça ne résout peut-être pas mon problème de jugement premier, mais ça me donne tout de même un petit sentiment de contrôle sur mon cerveau 🙂
Et je crois, en fait, que c’est un super pouvoir : le super pouvoir de changer d’avis, de changer de pensées, et de ne pas garder en soi les pensées jugeantes.
Ce super pouvoir est accessible à tout le monde.
Il prend du temps à mettre en place, il n’est pas facile à appliquer en tout temps. Il demande de la bienveillance envers soi-même, pour ne pas rester simplement dans la colère contre ses pensées. Il demande de l’empathie envers les autres, du décentrement de soi-même. Et surtout il demande de la vigilance et des rappels réguliers : ce n’est pas parce qu’on a réussi 1 fois, 3 fois ou 100 fois à l’utiliser, que la 101e c’est automatique. Le retour en arrière est très rapide !
Mais, je le crois, il est vraiment très efficace 🙂
Je rêve du moment où ce super pouvoir aura des impacts sur mes premières pensées, de ce moment où j’arrêterais de juger les autres et où je pourrais directement les regarder avec tendresse, compassion, avec respect et compréhension.
Mais en attendant ce jour bienheureux, j’accueille cette première pensée jugeante, cette analyse de l’autre, je la laisse passer plus loin en souhaitant très fort qu’elle ne fasse pas trop de dégâts (et bien sûr je la garde pour moi!), et j’active mon super pouvoir pour avoir une deuxième pensée bienveillante !