Vous parlez quel langage, vous ?
Moi, je suis en cours de formation. J’apprends à parler « Ado ». J’attends ce jour fantastique où je pourrais peut-être valider quelques acquis. Je dis bien peut-être, car rien n’est jamais assez sûr dans ce domaine. Je repousse toujours mon échéance. Ou plutôt : ILS me forcent à la repousser.
ILS ? Ce sont mes ados, pardi ! Je cherche des parents qui suivraient le même cursus que moi.
Y a-t-il quelqu’un par ici ?
On pourrait échanger, décoder ensemble, plancher sur une version, oser un ou deux thèmes. Ça pourrait être sympa, non ? Chez nous, ils sont plutôt branchés rap, rock, electro, smileys attitude, selfies, shoesfies, expressions bizarres. Chaque jour, j’élargis ma culture générale, je découvre un univers de musiques hétéroclites, j’enrichis mon vocabulaire. Voyage en terre inconnue.
Waouh ! C’est cool !
Soyons un peu sérieux. Alors ? Les ados ? Qui parle couramment « Ado » ?
Qui a le mode d’emploi ? En douze heures de temps je viens d’essuyer les montagnes russes des émotions. Ours du matin, chagrin. Révolte du midi, esprit. Fou-rire du soir, espoir. Et ne me demandez pas de traduire cela en émoticônes.
J’essaye de comprendre les liens entre ce qu’ils vivent, la réalité et les débordements. Je vois surtout que ça déborde. D’un point de vue hormonal, ça c’est sûr. Je vois aussi que ça pousse. La taille, les poils, les pieds. Et les idées aussi. Pour le meilleur … et pour le pire.
Concernant ma formation quotidienne pour me familiariser avec le langage « Ado », j’ai déjà passé quelques niveaux. Pas tous avec mention, mais je me débrouille. Avec recul, je me dis que c’est déjà pas mal. Heureusement, quand on rate un niveau, il y a les rattrapages. C’est gratuit, on ne paye pas, c’est déjà ça. On peut donc se rattraper l’heure ou le jour d’après. On a même le droit de dire « Pardon, là j’avais pas compris » . Eux aussi, d’ailleurs.
Mais je dois avouer que ces temps-ci, je patauge, car tous les jours, du niveau « ado 13 » au niveau « ado 15 », je dois changer de disque. Jongler. Et ça bug. Mon disque dur a beau faire preuve de souplesse, dans ces moments là, il rame.
Ce matin, alors que j’écris ce texte, ils sont en veille.
Vous avez compris : ils dorment. D’accord, c’est le week-end, mais je ne peux pas dire que je me sente agressée par leur vivacité. Pourtant, je vous assure que je les encourage dans chacun de leurs efforts :
« Vas-y, tu vas y arriver. Continue de passer l’éponge comme ça. C’est bien. Non, tu n’auras pas de crampe au poignet. Bravo, tu arrives au bout de la table, elle sera bientôt propre. Yes : tu as passé l’éponge ! Imagine un stade de foot entier qui t’acclame. Stand-up ovation : waouuuuuh ! »
Je suis une maman généreuse, je leurs prête des choses à moi comme mon aspirateur pour qu’ils puissent prendre soin de leur chambre.
« Un mouvement en avant, un mouvement en arrière. C’est comme la valse, mon chéri, parfois faut faire un pas de côté, et parcourir tout l’espace donné. Inutile de me répondre qu’avec ta technique tu feras des économie d’électricité. »
J’aime discuter avec eux.
Mais pourquoi toujours à la pause café ? Ou quand je me lave les dents ? Là où j’ai besoin d’être tranquille ? Tant pis. Allez, je me branche, j’ai trop peur de rater un wagon. Et nous voilà partis pour refaire le monde, le tube de dentifrice à la main. J’écoute. Pour une raison que j’ignore, mon second se fait toujours les oreilles quand il me parle. Ça me rappelle un conte :
« C’est pour mieux t’entendre, mon enfant.»
J’aime leurs amis.
Une ouverture au monde à travers leurs yeux d’ados.
« Maman, je voudrai inviter cinq copains à dormir sous la tente ».
Je gonfle mon plexus, je relâche mon plexus. C’est l’été, certes, mais j’ai besoin de bien respirer pour accueillir le projet. Très vite, je décode. Ils sont trop jeunes pour me demander de leur laisser la maison, mais comprenez bien : il va falloir faire le plein de courses. Apéro chips-coca, barbecue et tiramisu aux spéculoos. Les 5 fruits et légumes par jours sont bien loin aujourd’hui. Je transpire à l’idée de me voir pousser le chariot dans le supermarché. J’agonise en imaginant les réserves de mon garde-manger fondre en un rien de temps, au rythme effréné de ces estomacs jamais rassasiés, je tâte mon porte-monnaie qui s’allège, expérience empirique réelle et validée.
« Maman, grâce à nous, jamais de reste ! »
Et avec les copains, encore moins.
Les copains ? Tous très gentils.
Faut juste que j’explique les quelques règles de la maison ainsi que le ferait une hôtesse de l’air :
« Ici, vous pouvez décrocher de vos tablettes, décoller de vos téléphones ou autre Ipod mis en perf. Non, promis, personne ne sera en danger de mort. Juré, ça ne fait pas mal non plus. A droite, le ping-pong, à gauche le baby-foot, derrière moi un ballon et des vélos. »
Je me moque mais …, je me dis qu’ils sont tout de même courageux les ados. Si mon corps avait pris douze centimètres en un an, une quarantaine de boutons sur le visage en six mois, je crois que je n’oserai plus sortir ni même me regarder.
Et puis, je les trouve drôles, sympas, serviables. Bien sûr, il faut répéter les choses. Évidemment qu’ils jouent avec le cadre.
Parfois, j’ai ma petite gorge qui se serre quand mes antennes maternelles ont écho de ce que certains font aujourd’hui. Les miens seront-ils plus forts ?
Je ne sais pas. Je me concentre alors sur le positif et les beaux moments que nous vivons ensemble, sur leur humour, au-delà des portes qui claquent. Je me nourris de l’énergie qu’ils dégagent malgré les temps d’inertie. Pardon, je devrai plutôt parler temps de repos pour se ressourcer …
Vous savez quoi ? La seule chose dont je suis certaine, c’est que grâce à eux, mes journées ne sont jamais les mêmes : au diable la monotonie ! Et avec leur père, ça nous fait rire. Ils nous poussent à inventer, à innover, à pétiller, à sortir de nos terrains balisés !