Son odeur n’est plus la même. Tout comme le grain de sa peau. Quelques boutons plus ou moins discrets apparaissent sur son visage. Ses épaules s’élargissent et le voilà qui s’allonge.
Mon tout petit n’est plus.
Encore quelques mois et je serai obligée de m’étirer sur la pointe des pieds pour lui tendre un baiser qu’il accueillera avec hésitation. C’est un fait : la puberté a pointé le bout de son nez. Je devine grâce à ces petits signaux interceptés que son corps est en chantier jusque dans son intimité. La puberté est une bonne nouvelle. Elle marque la fin de l’enfance pour introduire ce passage d’un corps d’enfant à un corps d’adulte, passage ou processus que l’on nomme communément l’« adolescence ».
En tant que maman, j’ai aimé regarder mes garçons grandir.
Ces petits bouts d’homme que je tenais dans mes bras quelques années auparavant, j’ai aimé les regarder devenir hommes, se transformer, embellir. Parfois, je trouvais que tout allait très vite, trop vite. J’étais étonnée de constater que le duvet sur leurs joues était déjà devenu plus épais et qu’il me fallait acheter des rasoirs. Je comprenais à la présence de ce léger duvet que bien d’autres choses dans leur corps se jouaient et que cela devait les interpeller. D’autres fois, prise dans des conflits idiots avec eux, je soupirais en me disant « Vivement que ça passe et que ces foutues hormones se stabilisent un peu ». Mais de façon globale, j’ai aimé les voir me dépasser et, entraînés par leur puberté, les voir s’engouffrer dans l’adolescence comme on sauterait dans un train sans vraiment choisir la destination.
La puberté ressemble à un véritable « tsunami hormonal » :
autrement dit, ça pousse dans tous les sens et, le plus souvent, de façon désorganisée. La voix change, les poils font leur apparition, les seins se forment, le sexe évolue, les rondeurs s’invitent, les règles et les premières éjaculations apparaissent, les muscles se développent. Ce corps apprivoisé durant l’enfance est appréhendé de façon nouvelle, comme s’il fallait le reconnaître. Se re-connaître quand on devient autre : voilà l’un des défis de l’adolescence.
Re-connaître ce corps sexué qui s’impose, tout en faisant le deuil de l’enfance.
Nos bébés d’autrefois sont effectivement en train de devenir, coincés dans un entre-deux identitaire pas toujours confortable : plus tout à fait enfant, mais pas tout à fait adulte. On comprend dès lors que le questionnement devient complexe. Il peut être amusant, passionnant, mais également angoissant : « Qui suis-je puisque celui que je vois n’est pas tout à fait moi ? Comment signifier ce que je suis ? » pourraient murmurer nos enfants-chrysalides. Pris entre l’idéal de ce qu’il voudrait vivre (ou être) et la réalité qu’il peut trouver fade, limitante ou décevante, l’adolescent se cherche.
Dans cette quête, il ou elle investira son apparence :
prise en otage de la salle de bain, préoccupation de l’image donnée à voir, jeux de séduction, maquillage ou musculation, tenue vestimentaire originale pour se démarquer ou au contraire en tout point conforme pour ne pas dénoter par rapport au groupe. Il s’agira de rendre visible ce qui se passe en soi à travers le vêtement, une attitude, un genre, afin de vérifier dans le regard de l’autre, et notamment celui de l’autre sexe, sa valeur tout comme sa capacité à être aimable.
La question des limites est également éprouvée :
« Puis-ce que tout bouge en moi, autour de moi, jusqu’où puis-je aller ? ». Chercher ses propres limites dans le sport ou la musique n’a pas les mêmes conséquences que de les chercher dans l’alcool ou la sexualité. C’est ainsi que certains adolescents se mettront en danger pour les avoir mal évaluées. Mais c’est aussi en osant embrasser l’inconnu que le jeune pourra prendre et assumer des responsabilités, grandir, conquérir son indépendance et découvrir ce dont il ou elle est capable.
La sexualité fait partie de ce monde à comprendre et explorer.
L’adolescent découvre le plaisir avec son lot de curiosité, de culpabilité ou d’enthousiasme : son corps lui donne de nouvelles sensations sans lui fournir de mode d’emploi. Il prend conscience de l’autre, qui peut lui plaire, l’intriguer, l’exciter, l’émouvoir, lui faire peur. « Comment l’approcher ? » se dit-il. La question meuble ses rêveries, elle revient de façon régulière dans les échanges permanents qu’il entretient avec ses bons amis. En réalité, si le corps se transforme, la maturité affective (avec la reconnaissance de l’autre comme étant lui aussi aimable, différent et sexué) sera plus longue à acquérir, année après année, bien au-delà de l’adolescence.
On comprend dès lors que l’adolescence soit la période des montagnes russes émotionnelles…
…que l’adolescent lui-même ne déchiffre pas toujours ; on comprend que cela puisse devenir déstabilisant pour les parents. Et pourtant, les adolescents vont plutôt bien. J’aime le titre du livre de Philippe Jeammet, médecin psychiatre spécialiste de l’adolescence, « Adolescents d’aujourd’hui, ils vont bien, merci. Et si nous leur faisions confiance ? » Oui, ils vont plutôt bien.
Cela ne veut pas dire que le lien sera parfait, qu’il n’y aura pas de conflits, de pas de côté, de déprime passagère, d’égarements, ni de franches engueulades. Mais cela signifie que ce passage tant appréhendé par de nombreux parents, fantasmé comme obligatoirement difficile, peut être en réalité une période positive avec des discussions riches, parfois même drôles ou décalées.
Nous pouvons admettre que pour certains jeunes,
l’adolescence sera un moment douloureux, violent et terriblement angoissant.
Certains auront besoin de se confronter aux limites avec plus d’instance ou de se mettre en danger pour se sentir vraiment vivants. D’autres se protégeront tant bien que mal en devenant profondément solitaires et renfermés. Ces adolescents-là auront besoin d’un accompagnement plus spécifique pour comprendre que les conflits qu’ils génèrent en famille, avec leurs parents ou dans leurs espaces de sociabilité sont en réalité le reflet du conflit qui les habite.
Accompagner son enfant dans sa puberté, c’est reconnaître de façon positive et bienveillante ses changements corporels et lui dire combien nous sommes heureux, en tant que parents, de le voir grandir.
À nous de lui proposer avec subtilité de petits outils pour qu’il se sente bien.
Le vêtement, par exemple, est une piste intéressante, tant il constitue à cet âge une seconde peau réconfortante.
Accompagner son enfant dans l’adolescence, c’est lui dire : « Tu as en toi un potentiel, des ressources, je te fais confiance pour aller au-delà de tes difficultés. Et même si parfois tu me fais peur, même si parfois je crains qu’il ne t’arrive quelque chose ou que tu te casses la figure, quoiqu’il arrive, je t’aimerai encore, car tu es un gamin chouette et cela, avec ou sans barbe. Jamais mon amour pour toi ne sera remis en question ! »