Ado, je faisais le grand écart sur la poutre. Ça me demandait beaucoup de souplesse et d’équilibre. Je ne pensais pas que plus tard, en devenant femme, j’aurais à travailler ces deux capacités sur mon propre corps. Quotidiennement. Que ce travail ferait partie de ma vie de femme. De mon corps de femme, ce corps à la fois habité et traversé par une expérience singulière du temps, cette expérience singulière et incarnée qui est celle d’un double mouvement temporel et source de conflit.
Féminin et maternel : une différence de tempo
Mais de quoi je vous parle ? C’est tout simple, je vous explique ! La femme est habitée par une « double temporalité » :
– Une temporalité « féminine » linéaire, sur le temps long de l’existence, allant toujours de l’avant. Une temporalité marquée par le désir d’aller vers l’autre, de s’ouvrir au monde : vie sociale, amicale, professionnelle, amoureuse, érotique, engagée, artistique … Il y a tant à faire !
– Une temporalité « maternelle », périodique et cyclique, avec un début et une fin. C’est le temps du maternel, des premières règles jusque la ménopause. Un temps qui s’impose au corps, et qui est lié à l’attente et à l’expérience de la perte : le temps des règles, de la grossesse, de l’allaitement, des gestes maternants … Un temps qui habite la femme presque 40 ans ! 480 mois ! Ce n’est pas rien, tout de même ! Cela lui demande de se réapproprier son corps de façon permanente.
Quel temps fait-il en moi ?
On comprend dès lors facilement que ces deux temporalités, composées de deux mouvements contraires, l’un constant, l’autre périodique, puissent provoquer un conflit interne chez la femme. Conflit qui lui demandera de faire un incessant « travail du féminin » : un travail de réconciliation du « maternel » et du « féminin ». Pour donner deux exemples :
– Vous prévoyez un week-end en amoureux. Ça fait tellement longtemps que vous y pensez ! Vous avez choisi un super endroit, prévu de caser les enfants chez la voisine, prévu d’emporter votre plus belle robe, votre plus belle lingerie. Bref, vous êtes hyper amoureuse et vous voulez le rendre hyper amoureux. Le week-end arrive… Et là, flop : vous avez vos règles. C’est ballot, mais c’est comme ça… Vive le « maternel » !
– Vous adorez votre boulot, on vous félicite. Vous adorez également votre homme et désirez un enfant de lui. Et puis voilà qu’un jour bébé pointe son nez… au moment où l’on vous propose une promotion. Merci « maternel » de faire irruption dans mon « féminin » !
Désirant à la fois l’une et l’autre de ces deux capacités qui la définissent, la femme devra toute sa vie s’adapter, choisir, renoncer, différer, modeler. Le temps et les aléas de la vie se chargeront de le lui rappeler.
Dire oui à sa féminité
Alors, soit on pleure (non, quand même, si chaque femme passait 40 ans à pleurer, ça inonderait la terre …), soit on se dit que oui, ce conflit nous rend hyper-créatives, hyper souples, hyper tout ce que l’on veut ! Et profondément audacieuses. Mystérieuses. Singulières. Bref, géniales ! (comme le rappelait Axelle Trillard : Fabuleuses, et aussi géniales). Ça n’empêchera pas les larmes, certes. Parfois, cela demandera à certaines d’être accompagnées. Et parce qu’il se vit à l’intérieur de nous, ce conflit nous rappelle que nous sommes « sujet incarné », fait de chair et d’os. D’une certaine façon, ce conflit est ce qui nous constitue comme femme, notre « essence » (essence au sens d’identité profonde, première).
Saisissons-le comme un chance, non ?