Il ne parle pas - Fabuleuses Au Foyer
Vie de famille

Il ne parle pas

Anna Latron 6 novembre 2018
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Alors, ta journée ?

LA question semble ne pas bien tomber, ce soir. Je retenterai le coup plus tard. Oui, plus tard. Il y a quelques années, je n’aurais pas retenté le coup « plus tard », j’aurais rongé l’os jusqu’à atteindre la moelle, et TOUT DE SUITE.

J’aurais posé la question à mon Fabuleux, encore et encore, avec ses variantes :

Il y a eu un souci ?

Le boulot, ça s’est passé comment ?

Ta réunion s’est déroulée comme tu voulais ?

Sans réponse, la phase « vénère » aurait immédiatement succédé à la phase questionnement :

Mais pourquoi tu ne me racontes jamais rien ?

Sympa, la soirée face à un mur !

Qu’est-ce que j’ai fait ?

Notez que chez moi, la phase « vénère » se déroule pas mal en mode victime^^. À tant vouloir obtenir une réponse (et de l’attention), voilà ce que je récoltais :

  • Un silence encore plus profond
  • Un recours encore plus rapide aux écrans
  • Une forme d’indifférence muette

Bref… la fameuse caverne décrite par John Gray dans Les Hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus en chair et en os ! La lecture de ce grand classique de la communication homme-femme m’avait d’ailleurs fait un peu sourire :

« Nan, mais je ne suis pas comme ça, moi ! »

Non, pas du tout, je suis même bien pire. Ou plutôt, j’étais. À force de me pourrir la soirée (et la sienne avec, soit dit en passant), j’ai préféré lâcher du lest.

Sauf que ce soir, j’ai beau vouloir montrer à la terre entière que 10 ans de vie commune permettent de jolis progrès, sa mâchoire semble ne pas vouloir se desserrer. Je tente une autre approche et lui raconte ma journée. En mettant la table, j’essaie de résumer (pour ne pas risquer une overdose d’informations : autre apprentissage permis par le temps^^) tout en gardant les points saillants de ma journée : ce qui m’a pesé, ce qui m’a mis en joie, ce que j’ai accompli, ainsi que mes ressentis.

Merci pour le dîner, c’est super bon.

Première phrase (ou presque) de la soirée. Après l’avoir remercié pour son merci (car mon Fabuleux est en général assez avare de compliments en matière culinaire), j’en profite (on ne se refait pas, hein !) :

Je sens que ça n’a pas l’air d’aller. J’espère que ce n’est rien de grave.

(Je me retiens de poser ma question-réflexe qui a le don de le mettre en rogne : « C’est de ma faute ? »)

Re-silence. On débarrasse la table du dîner.

Alors que Monsieur met les assiettes dans le lave-vaisselle et que je me trouve à l’autre bout de la cuisine (c’est à peu près toujours quand je ne suis pas à portée du regard qu’il sort de son mutisme), il semble se souvenir de ma dernière question :

Rien de grave, non, mais c’est juste compliqué au boulot.

Je sors alors mon décodeur :

« Rien de grave » équivaut à « Tu n’as pas à t’inquiéter » ;

« C’est compliqué » équivaut à « Pas envie d’entrer dans les détails » ; et « juste » équivaut à « Ça va s’arranger ».

À mon tour, je réponds d’un ton le plus détaché possible :

Ok, merci pour l’info, je comprends. Je suis là si tu as besoin.

Dans le canapé, bien que je le sente toujours aussi préoccupé, je lui saisis la main pour y déposer un léger baiser. Tout simplement.

Voilà, c’est tout, un simple petit « Merci », mais qui veut dire tellement :

  • Je sais que tu es là, que je peux compter sur toi ;
  • Merci de ne pas m’avoir bombardé de questions alors que j’ai déjà du mal à répondre à toutes celles qui m’assaillent ;
  • Merci de respecter mon silence sans me forcer à me barricader dans ma citadelle (version Louis XIV de la caverne socratique) ;

Effet de ce micro-dialogue ?

Sur moi : je passe à autre chose, sans bloquer sur le fait que « mon Fabuleux ne parle pas ». Sur lui : il sait qu’il n’est pas seul et qu’il n’a pas, en plus de son souci au boulot, à gérer sa harpie hystérique préférée.

Quoi, mais comment ça, tu lâches l’affaire si facilement ? Quelle femme soumise tu fais ! Femme soumise, je ne pense pas l’être. Je pense même que l’honnêteté la plus élémentaire envers les femmes subissant la moindre maltraitance m’interdit décemment de dire que je suis effacée et docile. Viens faire un tour chez moi, ton côté féministe sera rassuré sur mon degré de soumission quand il s’agit de lui demander de faire quelque chose ^^.

Femme réaliste, oui. Femme qui a décidé de choisir ses combats, aussi. Plutôt que de me lamenter sur le fait qu’« il ne parle pas », j’ai choisi d’accepter ce fait comme une composante de mon quotidien (que j’ai choisi, lui aussi), tout comme on décide un jour d’accepter que les chaussettes finiront toujours toutes seules ou que le tee-shirt blanc tellement claaaasse sera gris dans deux lavages à peine.

Plutôt que de lutter en le forçant à sortir de son labyrinthe (version Renaissance de la caverne), apprendre une forme de maîtrise de soi et de respect de l’autre tel qu’il est. Tel qu’il est et pas tel qu’on le rêve.



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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 14 ans, elle est la maman de deux garçons dont l'aîné est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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