Elle est là, au milieu de nous, et elle pleure. Dara nous parle de sa vie, et les larmes coulent. Elle nous raconte son départ d’Iran, pour être libre, parce que là-bas, il n’y a pas de liberté pour les femmes. Elle se souvient de son arrivée en France, il y a 20 ans, à l’aube de sa vie d’adulte, sa rencontre avec son prince charmant, son mariage…. Et puis sa descente aux enfers. Elle évoque devant nous, ahuris par tant de détresse et d’horreur, les violences psychologiques, la perte de confiance en elle, les critiques incessantes, les menaces, son sentiment de culpabilité permanent, sa peur de mal faire, son état de confusion et sa perte de capacité à penser par elle-même.
Dara : une victime parmi d’autres d’un conjoint pervers narcissique.
Nous : un groupe de professionnels de l’accompagnement venu se former afin de prendre conscience des mécanismes des personnalités toxiques, de comprendre les victimes et d’apprendre comment agir pour s’en libérer.
Aujourd’hui Dara a tout perdu. À bout de force, elle a fini par quitter son mari. Elle a changé de ville, elle n’a pas pu obtenir la garde de ses enfants. Elle ne voit plus que ses deux derniers, un week-end sur deux, les deux aînés ne veulent plus la voir. Ils vivent chez leur père et ont des mots très durs à son encontre.
Dara n’est pas une exception, malheureusement. Des victimes comme elle, il y en a des centaines.
Elles subissent le joug d’un pervers narcissique, encore appelé manipulateur ou personnalité toxique.
Ces termes-là, on les a tous entendus, un jour ou l’autre. Trop peut-être. Au point de se dire « c’est un mot à la mode, tout le monde ne parle plus que des pervers narcissiques ! Il ne faut pas exagérer, c’est un peu facile ! Et si ça se trouve, tout ça, c’est de l’invention ! »
Oui, on en a beaucoup entendu parler, mais non, ce n’est pas une invention, ni une manière un peu rapide d’expliquer l’échec d’un couple. Parce que ces personnalités toxiques existent bel et bien et elles font des ravages !
Des histoires comme celle de Dara, j’en ai lu des dizaines quand j’étais fée de la boîte mail :
- Je viens de déposer une plainte contre mon conjoint, pour violences conjugales… J’ai enfin franchi le pas, non sans honte et culpabilité.
- J’ai pris la décision de me séparer du papa, c’était une question de survie.
- Il a su et sait me rendre responsable de tous les grains de sable se glissant dans l’engrenage du foyer, quoi de mieux pour se sentir une bonne à rien ?
Comment en arrive-t-on à se séparer de son conjoint, pour une question de survie ?
Souvent les femmes qui racontent ce qu’elles traversent ne se rendent pas compte qu’elles sont des victimes. Il leur faut du temps pour réaliser que ce qu’elles traversent au quotidien sort complètement du cadre de la charge mentale « normale » de toute mère de famille. D’autre part, comme le disait plus haut une fabuleuse, la violence est bien présente. Et elle ne se cantonne malheureusement pas seulement à la violence psychologique. La victime est souvent malmenée, bousculée, attrapée un peu vivement : cette violence physique se voit généralement peu, et les femmes qui la subissent ont tendance à la minimiser.
On retrouve chez les victimes de personnalités toxiques, les mêmes comportements, les mêmes pensées et croyances. La femme est tellement sous pression, tellement dévalorisée par son conjoint qu’elle finit par croire qu’elle ne vaut pas grand-chose.
Elle sait qu’elle est épuisée, mais se dit qu’elle manque d’endurance.
Elle entend continuellement des critiques sur son fonctionnement et ses capacités, mais pense qu’elle est mal organisée et pas très maline.
Elle n’arrive pas à se faire comprendre de son conjoint, et en conclut qu’elle communique mal et qu’elle n’a pas les bons mots ni le bon timing pour une relation harmonieuse.
Elle est angoissée tout le temps, mais se fustige d’être si poltronne.
Elle doute de tout, ne sait plus comment agir et finit par croire qu’elle a une case en moins, et qu’elle est vraiment une incapable.
Les autres y arrivent bien ! Alors pourquoi pas elle ?
Elle est nulle, c’est sûr, son conjoint a donc raison !
Toute femme épuisée, qui a du mal à communiquer avec son conjoint, ou qui est angoissée, n’est pas forcément — et c’est heureux ! — une victime d’un pervers narcissique ! Les mamans connaissent bien ces phases d’épuisement qui peuvent survenir après la naissance d’un enfant ou dans les premières années de la maternité. Hélène et les Fabuleuses ont mis des mots dessus et donné des pistes pour sortir de cette spirale du burn-out.
Les victimes ont pour, la plupart de grandes qualités humaines et des valeurs morales, elles sont empathiques et altruistes. Leur joie de vivre, leur chaleur humaine, leur réussite professionnelle et leur aisance sociale, voilà ce qui attire le pervers narcissique.
Dès lors, l’emprise, puisqu’il s’agit bien de cela, peut se mettre en œuvre.
Le mécanisme suit toujours le même déroulé :
- La phase de repérage de la cible
- La phase de séduction
- La phase de mise sous emprise
- La phase de destruction
Ce mécanisme est insidieux, la victime éblouie par ce prince charmant qui a tout pour plaire et correspond en tout point à ses rêves ne voit pas venir le danger. Elle glisse sans s’en rendre compte dans un état de dépendance et de stupéfaction qui la prive de toute sa liberté. La descente aux enfers est sournoise et progressive et se construit sur de petits détails qui n’attirent pas l’attention, mais enferment de jour en jour la victime dans un état second :
elle perd son libre arbitre, sa capacité de réfléchir et sa liberté.
Elle perd aussi bien souvent son indépendance financière, voire la jouissance de ses biens propres.
Souvent, personne ne perçoit la situation comme elle est réellement, la victime encore moins qu’une autre. Pourtant certains signes peuvent alerter, si ce n’est la victime elle-même, du moins son entourage :
- Une angoisse constante
- Une grande fatigue
- Un doute interne permanent
- La peur de mal faire, de mal dire
- La sensation de marcher continuellement sur des œufs pour ne pas déclencher une énième crise du conjoint
- Une incapacité à reconnaître ce qui est normal de ce qui ne l’est pas
- Une grande culpabilité
- Une honte de ne pas savoir se débrouiller
De son côté, la personne toxique (manipulateur, pervers narcissique) est reconnaissable
à des traits de personnalité qu’on retrouve à chaque fois : (cf. les caractéristiques du manipulateur)
- Il culpabilise l’autre
- Il se déresponsabilise, ce n’est jamais de sa faute, il se victimise
- Il ne communique pas clairement
- Il critique et dévalorise
- Il ment
- Il menace ou fait du chantage
- Il est égocentrique et sans empathie
- Il a des paroles opposées à ses attitudes
- Il fait perdre ses repères
- Il isole sa victime
Voilà ce que j’ai pu lire dans les mails des fabuleuses :
- Il me fait une place dans son quotidien. Tout se passe comme dans un rêve. Mais au bout de quelques semaines, le calvaire démarre sans même que je m’en aperçoive. Il commence à m’éloigner de mes amis puis avec le temps, de mes proches… L’homme charmant n’était en réalité pas si charmant que je le pensais.
- Il s’immisce petit à petit dans mes pensées et finit par déteindre sur mes manières de faire et d’être.
- Se sentir rabaissée, connaître la peur, la culpabilité… Je n’étais plus moi, je me suis perdue moi-même, je ne savais plus si j’avais le droit de rire ou de pleurer, je me sentais vide d’émotion, éteinte par peur de ne pas être comprise dans ce que j’aurais pu ressentir.
- J’ai peur d’aborder certains sujets avec lui, même pour des trucs basiques. Soit ça roule, soit ça va être le point de départ de commentaires hyper durs. Mon mari me dit que je suis une merde, que je suis en dessous de la moyenne, qu’il ne voit aucune vertu en moi, que je suis chiante, que si un jour il me frappe (déjà fait) il me cassera une dent et même plusieurs, que sortir avec moi est un martyr. Ça fait 5 ans. Depuis, la violence n’a cessé d’empirer, mais ce n’est jamais de sa faute. Il ne faut pas que je réveille la bête et tout va bien.
- Je ne suis pas tranquille chez moi… J’ai peur de la moindre parole que je prononce.
- J’ai vécu l’isolement, je n’avais plus le droit de voir ma famille et mes amis sans son accord, on ne voyait plus que sa famille et ses amis… Il voulait me rendre financièrement dépendante de lui en me demandant de quitter mon travail… J’ai vécu des violences psychologiques.
Ces paroles-là reflètent ce que les neurosciences appellent le SSPN :
le Syndrome du stress post-narcissique. Il ressemble au Syndrome de stress post-traumatique, à la différence qu’il est insidieux et non pas brutal. Mais ce que nous apportent les neurosciences, c’est une meilleure compréhension du comportement de la victime. À cause du stress constant qu’elle subit, son cerveau n’est plus capable de fonctionner correctement, il est en mode survie, il n’a plus de capacité de réflexion ni d’analyse. La personne, non seulement ne peut plus raisonner correctement, mais encore, elle est coupée de ses émotions, de sa mémoire. Elle est en état de sidération.
C’est vraiment important de prendre conscience de ce fonctionnement. Ainsi, on peut mieux comprendre les victimes et les aider. Non, elles ne l’ont pas « bien cherché » et « elles n’ont qu’à se bouger et partir ! », n’est pas si simple à mettre en œuvre.
Mais comment leur venir en aide ?
D’abord, en les croyant. Chère Fabuleuse, si parmi tes amies, certaines ont des vies qui ressemblent à ce que j’ai décrit plus haut, prends le temps de les écouter. Fais-les parler de ce qu’elles traversent. Montre-leur, avec douceur, que ce qu’elles vivent n’est pas normal. C’est toujours compliqué de se voir comme une victime. Parfois la violence est cachée, ne laisse pas de trace visible. D’ailleurs la victime n’a souvent pas la même échelle de gravité que toi, par rapport à ce qu’elle subit. Il y a toujours « des situations pires que la sienne, et ce n’est si grave, c’est sûr, maintenant il va changer ! » Ah, oui, c’est vrai, les pervers narcissiques sont de grands baratineurs : ils promettent toujours la lune, une prochaine amélioration, un effort ! Mais souvent ces belles promesses ne sont que du vent. Pour aider efficacement une victime, il est nécessaire de porter attention à ce que fait le manipulateur, plutôt qu’à ce qu’il dit. Il y a un grand écart entre ses paroles et ses actes. Partir des faits, c’est le début d’une prise de conscience.
Et si c’est ta propre vie que tu as l’impression de lire dans ce texte, ne reste pas seule !
Sortir de l’emprise prend du temps et demande du courage. Il faut souvent partir et mettre de la distance avec la personne toxique. Il est important de se faire accompagner. Il ne faut pas hésiter à en parler à son entourage, à une bonne amie, à son médecin traitant ou à un psychologue, à un avocat. En cas de violence physique comme psychologique, la police peut agir aussi ainsi que les associations d’aide aux victimes.
Il n’est jamais trop tard pour parler de ce qu’on vit, pour agir et pour reprendre les rênes de sa vie. La vie est trop précieuse pour se la faire voler. Tu vaux bien plus que ce qu’on te laisse croire ! Chère Fabuleuse, choisis la vie !