Alors que le monde tourne au ralenti, nos histoires continuent de se tricoter, de s’entremêler, de s’interroger. Les jours passent. Step by step. On s’organise, seul, en couple, en famille. Il faut trouver son pas, poser de nouveaux repères. Et tenir.
Si nous vivons une même période de confinement, il est évident que nos situations de vie sont bien différentes. Ce n’est pas tout à fait la même chose de vivre ce temps de retrait dans un petit appartement que dans une maison avec jardin. Mais la notion d’enfermement n’est pas liée qu’à la notion d’espace.
Pour d’autres personnes, l’enfermement sera le couple, le face à face. L’expression de Sartre « l’enfer, c’est les autres » devient soudain étrangement familière.
La semaine dernière, j’étais inquiète. Certains couples que j’accompagne traversent des moments difficiles, douloureux et tendus. En pleine crise, alors que chacun aurait besoin de trouver un temps pour respirer et se ressourcer dans un espace à soi, voilà que l’étau se resserre. Il faut supporter l’autre et vivre avec, sans échappatoire.
Je reconnais avoir été surprise par la réactivité des couples. Fallait-il cette onde de choc – le confinement – pour qu’émerge enfin la nécessité de se mettre au travail ? Accepter de communiquer de façon intelligente, s’organiser et respecter l’autre dans sa façon de fonctionner ?
Puisqu’il faut vivre ensemble, la question des limites et de la règle devient incontournable. Les lignes bougent et se redéfinissent.
Les limites :
- Le confinement invite à l’exigence. Il force à l’effort pour repérer les limites de l’autre et les considérer comme un interdit à ne pas franchir sans y avoir été invité.
- Pour une meilleure cohabitation, il oblige chacun à exprimer ses besoins et ses attentes. En effet, vivre ensemble H24 force à accepter de comprendre que celui ou celle avec qui je vis ne peut lire dans mes pensées.
- Le confinement invite à redéfinir un « no man’s land » : un espace de trêve dans lequel le couple s’engage à partager un repas ou à passer un moment ensemble sans forcément déterrer la hache de guerre. Surtout quand il y a des enfants.
- Le confinement enjoint d’aménager au sein de mon foyer un espace à moi, intime, dans lequel je pourrais me « faire la belle » et me ressourcer régulièrement sans être dérangé.
- Moi, et l’autre. Vivre ensemble sans porte de sortie implique de reconnaître que celui ou celle avec qui je vis a tout autant besoin que moi de construire sa « bulle ». Il s’agit donc de respecter son terrier dans lequel il pourra se réfugier, ouvrir ses fenêtres intérieures et s’évader, pour revenir ensuite plus calme, reposé et patient.
Le temps :
- Penser un rythme participe à la structuration de nos journées. Le temps passe ainsi plus vite. L’« après » peut être anticipé. On sait ce que l’on doit faire, les repères sont posés, ils rassurent, même si nos enfants peuvent râler. Le rythme donne un semblant de maîtrise sur un temps présent, quand le reste nous échappe. Il aide à tenir, à rester dans la vie, à ne pas se laisser glisser dans des pensées anxiogènes liées à la situation sociale, économique et sanitaire. Des pensées qui viendront polluer notre relation à l’autre, notre relation à soi.
- Penser le temps, c’est également s’obliger à concevoir un relais pour le partage des tâches, du « qui fait quoi dans la maisonnée », de façon claire et explicite. Ainsi, tel couple a revu son organisation. En alternance, chacun s’occupe des enfants pour que l’autre puisse travailler sans interruption ou souffler un coup quand il en a besoin.
Ainsi, parce que l’on ne peut plus faire autrement, on accepte de mettre en place des choses que l’on tardait à bâtir auparavant. Il est question d’un pacte, avec soi, avec l’autre, d’une alliance temporaire à faire pour traverser la vague sans s’épuiser. Une alliance souple et indulgente, adaptée aux imprévus constants du quotidien, matériels et émotionnels.
Oui, le confinement force à l’effort.
Il invite à évaluer de façon innovante, lucide et franche nos limites spatiales et temporelles pour un meilleur équilibre intérieur. Ce même équilibre qui nous permettra, pas à pas, de gravir « cette putain de montagne » en acceptant de le faire avec celui ou celle qui, hier, m’exaspérait. Un équilibre à chercher entre la nécessité de faire tourner la petite communauté conjugale ou familiale que nous formons et la reconnaissance des besoins vitaux de chacun.
Cette semaine, de nombreux couples m’ont prouvé que cela était possible et que, malgré les tensions qui lacéraient leur relation, ils étaient capables de consentir « au mieux » pour avancer sans se démolir.
Oser la confiance, encore un peu.
Une intelligence relationnelle que je salue et que j’encourage : je sais bien que certaines marches seront plus difficiles à monter que d’autres. Je sais bien que nos vieux démons, parfois un peu sadiques, malhonnêtes et de mauvaise foi, auront vite fait de nous titiller pour nous faire baisser les bras, envoyer valser celui ou celle avec qui je vis, et hurler que je veux partir.
Mais on peut essayer, « step by step », en se concentrant sur ce que nous vivons, au fur et à mesure de nos actions, en trouvant de l’aide auprès des Fabuleuses que nous connaissons, en partageant nos petits trucs qui nous font avancer, les choses qui nous font pleurer, mais aussi celles qui nous font rire.
Enfin, en découvrant des communautés virtuelles bienveillantes qui, en ce temps de confinement, pourront devenir un appui positif et indulgent (comme les Fabuleuses !).
L’idée n’est pas de jouer aux wonder-couples ou aux wonder-woman, mais bien de mettre en place des petites habitudes qui pourront apaiser l’atmosphère, permettre de ressortir du confinement assez vaillante pour pouvoir reprendre une vie paisible.
Une vie pleine de promesses et qui pourra, je l’espère, bénéficier de cette expérience pour analyser, avec un autre angle de vue, ce qui nous relie aux autres et à nous même.