« Je n’en peux plus, tant pis, ça m’est égal, je le laisse faire ce qu’il veut. »
Je n’oublierai jamais cette amie ni cette phrase.
Éreintée corporellement et mentalement, elle venait de me dire que son fils de 5 ans n’avait qu’à faire ce qu’il voulait. Elle n’avait plus la force d’argumenter. Plus envie de lui expliquer pourquoi il devait se brosser les dents le soir ou encore de le convaincre de prendre le médicament dont il avait besoin. Une amie qui pourtant était une mère exemplaire et qui donnait tout pour ses enfants mais qui s’était vidée.
Cette maman intelligente, efficace, rigolote en était arrivée au point où les lampes internes s’étaient éteintes.
À l’époque, on ne parlait pas encore de burn-out parental.
Cela aurait peut-être aidé mon amie. On parlait de burn-out au travail, surtout dans le social. Mais peut-être cela l’aurait-elle aidé de savoir que ça arrive aussi aux parents de trop longtemps marcher sur le fil et de perdre leur équilibre, de ne plus se reconnaître soi-même.
Le burn-out parental est devenu une thématique internationale, reconnue, étudiée, et ce en grande partie grâce au travail de l’équipe de l’université catholique de Louvain (en particulier à Moïra Mikolajczak, Isabelle Roskam et leurs collaboratrices/teurs). Toutes les recherches effectuées permettent non seulement de confirmer qu’il existe bien des parents qui sont en burn-out de leur parentalité, que cela représente un danger pour leur santé physique ainsi qu’un risque de maltraitance pour les enfants MAIS aussi que l’on peut traiter ce burn-out et qu’on peut s’en sortir… qu’on peut aller mieux… qu’on peut récupérer des forces et retrouver le plaisir de la parentalité.
Et c’est pour cela que je vous écris cet article.
Non pas pour faire une longue litanie de tout ce que les parents d’aujourd’hui portent comme fardeau mais pour vous dire :
- OUI, on peut être en burn-out parental,
- OUI c’est différent d’une fatigue modérée qui vient mais qui repart,
- OUI c’est une souffrance réelle MAIS surtout qu’on peut la soigner et aller mieux (et je vous le dis déjà : n’hésitez pas à aller sur la page web créée à cet effet, faites le test, lisez les petits articles, regardez les vidéos proposées, si ça ne vous concerne pas directement, cela élargira votre horizon de compréhension).
Les signes du burn-out parental :
- Une énorme fatigue physique ou psychologique liée au fait d’être parent (qui ne se solutionne pas même avec un repos prolongé mais qui s’étire),
- Une distanciation émotionnelle envers ses enfants (on ne ressent plus d’empathie avec eux, on les évite, on se sent énervé par tout ce qu’ils font),
- Un sentiment d’inefficacité et de perte d’épanouissement dans le rôle parental (rien ne semble fonctionner, on « perd ses moyens »).
- Et puis une sorte de coupure, « on n’est plus comme avant ».
Est-ce qu’on ne se retrouve pas tous un peu dans cette définition, me direz-vous ? Oui mais non en fait. Parce que le dans le burn-out parental, on a dépassé les bornes de ce « ça arrive, c’est normal, après une bonne nuit de sommeil ça ira mieux ». On ne résoudra pas le problème en un week-end entre copines et ce n’est pas juste une méga crise de nerfs au milieu du chaos du samedi matin qui passe avec une pause café.
Le burn-out parental est vraiment une perte d’équilibre entre les ressources d’une personne et ce que son rôle de parent lui demande. Il concerne des parents qui veulent faire bien, tellement bien qu’ils rongent leurs propres réserves jusqu’au point de non retour. Ils ont payé trop cher, trop longtemps et ils sont dans le rouge. À un moment donné, le système craque, à force de vouloir donner le meilleur, tout le temps ; alors ils trébuchent et ne savent plus comment se relever pour continuer.
Et tout cet amour pour cet enfant devient un fardeau.
La parentalité pèse trop lourd, les actes à poser ont l’air trop grands, trop nombreux, même le plus petit détail, même le simple rendez-vous chez le dentiste à prendre. Comme dans un miroir déformant, les tâches parentales deviennent disproportionnées.
« Il faudra encore l’aider à s’habiller, répondre aux milles questions, lui couper sa tartine… ».
Le parent en burn-out rencontre un trou noir qui semble aspirer toute sa force, il ne reste que des miettes de ce qu’il faisait/était avant. Dans le domaine de la parentalité, il passe peu à peu dans un mode automatique, fait les choses sans grande motivation, sans attention pour l’enfant, sans présence émotionnelle, sans écoute.
Et c’est là tout le danger.
Il perd son instinct pour l’enfant, pour les besoins de celui-ci. Cela me rappelle ce qu’on nous avait expliqué à propos de la lèpre, quand j’étais enfant. La peau devenue insensible est toujours un peu en danger, parce que la personne ne sent pas quand elle se blesse, elle ne réagit donc peut-être pas assez vite et tout s’empire. Eh bien dans le burn-out, on retrouve une similitude : on perd la sensibilité émotionnelle, nos petites lampes de sécurité sont éteintes. On n’entendra peut-être pas les appels à l’aide de notre enfant, ou même, on peut ne plus réagir à sa souffrance lorsque l’on passe ses nerfs sur lui, à travers ce qu’on lui dit ou encore ce qu’on lui fait.
Alors, oui, le burn-out parental c’est un sujet grave, un sujet important, dont on doit pouvoir parler, qu’on doit pouvoir regarder en face, non seulement pour aider le parent en souffrance (psychiquement et physiquement, vu le stress et le cortisol qui s’accumule à long terme dans son système) mais aussi pour les enfants, pour les familles qui se retrouvent dans ce tourbillon-là.
Là, je sens chez moi monter cette envie de dire merde ! « C’est vraiment trop injuste », dirait Caliméro. D’abord, on met une pression intenable sur les parents, ils n’en peuvent plus et puis, après, quand ils vont mal, on leur met encore plus la pression en disant « Oui mais si t’es en burn-out, ton enfant va souffrir ». On est dans un piège, un cercle méga vicieux. Les parents se trouvent écartelés entre mille et une attentes démesurées. Ce cercle vicieux commence par les pressions subjectives ou objectives que ressentent les parents, il continue par le manque de soutien qu’on leur offre et il se baigne dans l’idéologie « Il faut tout faire et plus encore pour rendre nos enfants heureux ». C’est comme danser la macarena en talons hauts sur le sol gelé du coin de la rue.
C’est périlleux et quand on dérape, c’est la catastrophe.
Le grand dérapage, quand l’équilibre se perd, quand la balance penche trop d’un côté et qu’on ne sait plus comment s’en sortir.
La priorité : travailler à retrouver un équilibre
C’est ce qu’Isabelle Roskam et Moïra Mikolakczak mettent en avant dans leur travaux : le burn-out représente une perte d’équilibre. Et si on veut aller mieux ou si on veut prévenir le burn-out parental, il faut travailler à retrouver un équilibre. Le burn-out s’estompe peu à peu quand on travaille à mieux équilibrer les facteurs de risques (les attentes envers nous mais aussi notre manière de gérer le stress, notre perfectionnisme, etc.) et les facteurs protecteurs (les ressources, les moments qui lui redonnent des forces, la baby-sitter qui vient de temps en temps, le rendez-vous des enfants chez un ami, les balades en famille, les soirées télé, le groupe de mamans avec qui on communique et qui nous comprennent, etc.).
Parfois, retrouver cet équilibre coule de source et on pourrait se dire qu’on va résoudre son problème de burn-out parental soi-même, mais parfois on a tellement le nez dans les difficultés, le corps tellement vidé de ses ressources, qu’on n’a même pas la force de commencer à réfléchir à ce qui devrait changer. Dans ce cas, le mieux que l’on puisse faire est de trouver un partenaire qui nous aidera à ressortir du trou.
De plus en plus de professionnels se forment au traitement du burn-out parental et les livres qui traitent du sujet se multiplient. C’est un réel soulagement pour les parents en burn-out de pouvoir expliquer leur situation sans que l’écoutant ne soit ni catastrophé ni relativisant. Je sais combien on peut hésiter à faire appel à un psychologue mais je sais aussi que cela peut être l’élément déclencheur pour remonter la pente.
Trouver un espace où l’on peut enfin déposer tous nos paquets, oser tout expliquer et trier tout cela, avoir quelqu’un qui élargit notre horizon de solutions et pose des questions qui bouleversent notre manière de penser. Bien sûr qu’on peut toujours essayer de s’en sortir seul, mais je pense qu’en tant que parents, on a aussi parfois besoin d’attraper une main tendue et d’entendre quelqu’un nous répondre et se pencher avec nous sur notre balance pour voir comment changer peu à peu l’équilibre bancal.
Evidemment, je pense particulièrement aux parents qui ont vécu un vrai parcours du combattant en 2020 et dont les forces sont encore fortement mobilisées pour les mois à venir. On sent le choc encore dans nos os, dans nos nuits, dans nos plans pour l’avenir.
L’équilibre mondial s’est pris dans le tapis, celui de nos foyers aussi.
On a joué à la chaise musicale avec nos ressources et les demandes. Plus besoin d’amener les enfants de A à Z toute la semaine mais plus non plus d’après-midi chez les grands-parents, plus d’école mais encore des devoirs, les grandes vacances mises à mal, le télétravail, etc. Alors oui, on est tous fort fatigués, plus ou moins stressés/frustrés et comme des mulets, on a de gros paquets à transporter au quotidien, mais on peut :
- Apprendre à observer notre balance et retirer les paquets non essentiels (tous les « on devrait », « que vont dire les voisins »,… ),
- Ne pas chercher à être superwoman et vivre au-delà de nos ressources énergétiques (oui, à un moment, on doit se poser pour récupérer),
- Déléguer ce qu’on ne doit pas forcément faire soi-même (même si ça veut dire que la tâche ne sera pas faite comme nous l’aurions faite).
- Retrouver les indices du plaisir à être ensemble, être comme un détective qui cherche les moments où on apprécie la présence de nos enfants (et parsemer nos semaines de ces petits moments cadeaux… pour ne pas perdre le goût de la vie de famille).
- Choisir nos batailles : on ne pourra pas donner 100% sur toute la ligne tout le temps, alors il faut prioriser. Moduler nos réponses par rapport à ce qui nous dérange (différencier les comportements inacceptables de comportements dérangeants et ne pas répondre de la même manière au deux, non, on ne va pas priver Alfred de télé pendant 3 mois parce qu’il n’a pas rangé son papier de bonbon).
- Trouver ce qui me porte moi, les espaces où je me sens soutenu et non jugé.
- Ralentir peut-être, pour pouvoir s’observer parfois.
- Écouter des émotions internes, apprendre à les exprimer, apprendre à reconnaître les émotions des autres aussi. Trouver un équilibre entre « Je me fais du soucis pour tout le monde et je veux rendre tout le monde heureux » et « Après moi le déluge »…
- Ne pas se faire de reproche quand l’équilibre se fragilise ou se perd : ça n’aide pas, l’autocritique et c’est hyper énergivore (en fait, c’est comme laisser votre frigo ouvert toute la nuit).
- S’éloigner des sources de poison. Si les réseaux sociaux te laissent un sentiment constant de « je ne suis rien », « je n’y arrive pas alors que tout le monde semble gérer super bien », « si seulement j’avais plus de discipline », alors éloigne toi, évite-les. C’est comme si l’eau de ton robinet contenait des métaux lourds. C’est toxique et même si on pense ne pas se comparer aux autres, au fond, ça nous fait un petit pincement au cœur (même en sachant que les autres ne postent aussi que les beaux côtés de leur vie de famille).
Pour finir cet article, j’aimerais t’encourager de nouveau à refuser cette pression ambiante qui pèse sur nos épaules de parents. Celle qui nous dit que tout se joue maintenant, qu’il faut investir chaque milliseconde, que la vie devrait être glamour et pleine de succès, qu’à ton âge on doit tout donner parce qu’après c’est bof bof…
S’il te plaît, aie confiance en toi, en tes enfants.
Un jour, j’ai entendu une conférence donnée par une directrice d’un foyer pour enfants placés. Cette femme d’un certain âge, à l’autorité naturelle et ayant tout vu au niveau parentalité, nous a dit :
« Nous traumatiserons tous nos enfants ».
J’ai ouvert grand les yeux et j’ai pensé « Merde ». Mes deux premières filles étaient encore petites et j’aurais aimé crier à l’oratrice : « Non, jamais, je ne veux pas, ce n’est pas possible ! ». J’étais révoltée à cette idée. Jeune psychologue, mère de 2 petits filles innocentes et pour qui j’étais prête à tout sacrifier, je ne voulais pas qu’on me dise « Toi aussi, toi aussi tu vas faire des erreurs ».
Avec cette phrase, elle a fait un petit trou dans ma cocotte-minute.
Elle ne disait pas « vous êtes toutes de mauvaises mères et vos enfants vont souffrir », non, elle nous expliquait « vous êtes l’adulte dans la famille et cela va influencer la vie de votre enfant et vous ferez des erreurs, ça va arriver ».
Pffffft. L’espoir de toujours tout faire bien s’envolait.
Chère Fabuleuse, me permettrais-tu aussi de faire un petit trou dans ta cocotte-minute à toi ? Nos vies ne sont pas que glamour et on ne sait pas en savourer tous les instants, on pense qu’on arrive à l’apogée de nos vies quand on est indépendant financièrement, propriétaire d’une maison et parents d’enfants qui apprennent l’anglais en maternelle, maîtrisent un instrument à 8 ans et pratiquent avec dextérité au moins un sport d’équipe et un sport en individuel.
Mais c’est du pipeau, tout ça.
La mauvaise nouvelle, c’est que même dans cette vie de rêve, il y des poux, des erreurs, des larmes et des cris. Mais la bonne nouvelle c’est que la vie est plus belle encore. Parce qu’elle s’étale plus loin, parce que les temps et les saisons changent, parce qu’on traverse des tempêtes et qu’on ne l’a pas toujours facile mais que c’est la vie, notre vie. Il y a ce qu’on donne et ce que l’on reçoit, ce qui nous fait tomber et ce qui nous relève. Alors, rassure-toi, si ton enfant n’a pas tout appris avant ses 12 ans, il aura encore le temps après.