La sidération du départ fait place à la parole.
Il y a quelques mois son « mec », comme elle dit, s’est barré, la laissant seule avec trois enfants. Le dernier venait de naître.
Elle qui rêvait de se poser pour un congé mat’… et bien, c’est raté.
Seule, elle devra reprendre le travail, trouver une maison moins chère, se débrouiller avec ses horaires, ceux de l’école et la nounou.
Maintenant, elle arrive à en parler.
Au départ, bien que dotée d’un caractère jovial et bavard, rien ne sortait. Le choc avait constitué comme un bouchon noir au milieu de la gorge, formé une grosse boule d’incohérence au fond de l’estomac. Impossible de penser ce qui lui arrivait.
Son « mec », parti faire des courses, n’était jamais rentré. Il avait fait sa valise et « tchao, je vais vivre ma vie et démerde toi ».
Elle répète cette phrase plusieurs fois comme pour se l’entendre dire, se l’approprier, tant la violence de l’évènement lui semble encore inaudible.
D’ailleurs, était-ce vraiment son histoire ?
Non, avait-elle pensé : c’était un coup de fatigue, il allait revenir. Mais le temps avait passé, et l’espoir d’un retour était oublié.
Elle raconte. Une façon de mettre à distance, d’objectiver, de trouver du sens. Avant qu’il ne parte, c’est certain, ça ballottait. Chacun avait du mal à apprécier les moments passés à deux.
Il était rentré un soir complètement « beurré », elle avait envoyé valser une pile de linge, il avait répliqué avec des paroles blessantes qu’elle n’arrivait pas à digérer, rongée par la rancune, meurtrie dans son cœur de femme. Elle s’était réfugiée dans les bras de ses enfants, le boulot et les cafés entre copines.
« On était un couple vitrine »
Trop mignons. Belle maison, enfants adorables.
« Franchement, t’y crois, toi ? Quand je l’ai rencontré, j’avais vu en lui le père de mes enfants. J’en voulais un de lui. Deux, trois. Je me sentais rassurée dans ses bras. J’y croyais dur comme fer. Nous deux, c’était pour le meilleur et pour le pire. »
Devant les copains, ils s’efforçaient d’aller bien. Petits gestes tendres et jolis sourires. Surtout ne pas dire, d’abord pour ne pas s’inquiéter du malaise latent qui s’installe, mais aussi pour ne pas admettre la situation, parce que ça fait mal. Ou peur.
Et puis, ça ira mieux demain ; et puis, on n’étale pas sa vie devant les autres : si on (se) décevait …
« Nous, tu comprends, on faisait tout comme il faut :
On ne craignait rien ! Le couple qui fait naufrage, ça n’était pas pour nous. L’engagement, les disputes, la désillusion, le manque de désir ? On avait bossé sur ces questions. On communiquait comme on nous l’avait conseillé, on s’offrait des petits temps à deux. On a même prié ! On se croyait invincibles. »
« Nous étions des enfants sages refoulant la colère, la déception, la rancœur, et tous les grains de sable qui font partie de la vie de couple au quotidien mais que nous ne voulons pas voir, parce qu’ils nous renvoient à notre pauvreté, notre difficulté à aimer et à vivre ensemble. »
« Nous étions devenus une écorce vide. Un couple éreinté de vouloir tout bien faire. Nous nous sommes mentis à nous-même avant de nous mentir l’un à l’autre. Et pour échapper à ce mal-être commun que chacun vivait pourtant seul sans rien dire, nous avons préféré fuir en cumulant sorties, engagements, responsabilités professionnelles et associatives. Des défis pour nous prouver à nous-mêmes que nous étions des gens biens mais qui, au final, nous enfonçaient chaque jour un peu plus dans notre propre isolement et notre désir de reconnaissance. »
Laisser passer les vagues.
Mon amie est courageuse. Je voudrais la consoler, répondre à ses questions, ses « pourquoi », ses attentes, ses espoirs. Il lui faut faire le deuil de cet homme qu’elle a aimé, du couple rêvé, de cette famille « havre de paix » qu’elle avait voulu construire.
Quand ton homme ou ta femme se barre, au-delà d’une séparation, c’est un abandon infiniment douloureux et angoissant pour celui qui reste. Ça fait des vagues, un choc émotionnel où tout se mélange et dont on peine à croire qu’on sortira un jour.
Quand ton homme ou ta femme se barre, ce sont les enfants qui trinquent, fragilisant leur confiance en eux, leur capacité à se sentir aimables, ne sachant d’ailleurs plus comment aimer celui ou celle qui est parti(e) et qui manque à l’appel le soir, avant de dormir.
Suis-je coupable ?
« Peut-être qu’on aurait pu faire autrement, j’aurai dû lui parler, l’accompagner un peu plus dans cette mauvaise passe qu’il traversait, on aurait pu gérer autrement la fatigue… »
Avec recul, on serait bien tenter d’écrire une autre histoire avec une « happy end ». On se sent coupable de n’avoir pas su faire. Une culpabilité qui, au-delà, exprime l’immense colère ressentie contre soi et contre l’autre.
« Quand ton mec se barre, tu fais comment ? »
J’aimerais lui faire une réponse toute faite, lui donner point par point les étapes à franchir pour se reconstruire, lui épargner la souffrance, raccourcir le temps qu’il faut pour aller mieux enfin, lui présenter un autre « mec » qui l’aimera et lui fera oublier cette épreuve. Mais je ne peux rien de cela.
Je peux seulement lui rappeler que je suis présente. Pour elle. Et lui donner du temps.
Je n’aurais pas l’orgueil de la juger, ni lui d’ailleurs, quand leur histoire me renvoie en pleine figure la dose d’humilité et de connaissance de soi nécessaires pour avancer dans le mariage ; quand cette histoire me rappelle que les blessures et les failles que nous avons refoulées ou tenues cachées se réveillent bien souvent au cœur de cette relation que nous avons choisie de vivre et pour laquelle nous avons tant investi et espéré : le couple.
Oui, si la relation à l’autre fait grandir et nous aide à nous épanouir, elle a aussi le chic de gratter douloureusement, dangereusement, là où ça fait mal.
Cet été, j’ai envie de vous inviter à prendre du temps avec vous-même.
Si vous venez de vous faire plaquer,
ou au contraire, si vous aviez envie de tout envoyer balader, prenez le temps de vous poser, seul(e), auprès d’un(e) ami(e) ou d’un professionnel. Nos cerveaux ne sont pas des moteurs de recherche.
Nous avons besoin de temps pour prendre une décision. Nous avons besoin d’être éclairés, de comprendre, de changer d’avis mille fois, de nous perdre un peu dans nos méandres intérieurs, avant de décider.
Nous avons besoin, tout simplement mais si difficilement, d’ÊTRE : d’être en vérité avec soi-même pour être en vérité avec l’autre.
La liberté se trouve (peut-être) par là.