Que celle qui n’a jamais dit d’un air envieux, voire mauvais :
« Nan mais elle, elle ne se plaint jamais, c’est une maman parfaite » lève le doigt.
Après des années d’omerta sur le visage sans fard de la maternité, avec son cortège de points de suture, de crevasses mammaires et d’exaspération éducative, j’ai l’impression que nous, les mères faillibles, désorganisées, mal attifées, de mauvais poil le matin, avons formé une communauté puissante : les « mauvaises-mamans-décomplexées ». Puissante… et un poil féroce, parfois.
Tout a commencé avec un élan hyper positif : entre mères nulles et conscientes d’être imparfaites, nous avons fait du chemin.
Nous nous sommes soutenues mutuellement pour accepter l’inacceptable : nous ne serions jamais parfaites et nos imperfections étaient un minimum tout à fait suffisant pour aimer bien nos enfants. Mais au fil du temps, au fil de la libération de la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, il est devenu de plus en plus suspect de dire tout haut : « J’adore être maman, moi ! ». Ce type d’affirmation a le don de faire dresser l’oreille au Club des mauvaises-mamans-décomplexées, moi la première, et de leur faire hausser le sourcil. Elle « adore être maman » ? Il y a un loup… ou alors, c’est qu’elle fait partie du Club des mamans-gnagnan. Je suis la première à offrir à ce type de confidences un sourire crispé et à susurrer, sur un ton de conspiratrice : « OK, mais là, ils ne t’écoutent pas, tu peux me dire qu’ils sont affreusement relous, en vrai ! ».
Que s’est-il passé pour qu’après des années passées à remonter la pente de l’épuisement, je m’agrippe encore au Club des mauvaises-mamans-décomplexées et me sente menacée par ces femmes qui, elles, n’ont pas été obligées de passer par le même sentier obstrué par les ronces et les orties ? Pourtant j’ai bien bossé : le temps a fait son travail, la fatigue est digérée, l’imperfection acceptée et oui, maintenant ça va ! Je m’en excuserai presque.
Parce que j’ai le sentiment que dire qu’on aime sa vie de maman est devenu inaudible.
Est-il aujourd’hui permis de dire qu’on s’éclate à donner le bain, que confectionner des guirlandes en papier crépon pour les anniversaires est un kiff et qu’on voudrait prolonger les histoires du soir parce que c’est le meilleur moment de notre journée ? Or, c’est justement vers cela que mène le chemin proposé par les Fabuleuses : retrouver le goût de passer du temps avec ses enfants, kiffer son quotidien tel qu’il est !
C’est mon Fabuleux, qui m’a gentiment fait prendre conscience du fait que j’étais incapable de faire à un tiers un compliment sur mes enfants (ou à accepter qu’on en fasse un sur eux) sans corriger aussitôt par un : « enfin, bien sûr, la plupart du temps ils me rendent dingue » alors que je ne le pensais même pas. Mais c’est quoi, le malaise ?
Est-ce que le club informel des mauvaises-mamans-décomplexées est à ce point exigeant qu’il bannit toute forme d’épanouissement dans la maternité ?
Est-ce que je m’empêche de sortir de cette période de réelles difficultés, maintenant que tout va mieux, pour ne pas me sentir rejetée dans le Club des mamans-gnagnans ? Depuis quand être une mère qui subit l’enfer est-il devenu plus cool qu’une mère qui goûte ses années de maternité ? Je deviens cette femme qui ne sait plus féliciter une jeune cousine qui annonce sa grossesse sans prendre un air entendu : « tu vas voir dans quoi tu te lances ma cocotte ». Je suis cette femme qui demande d’abord à une jeune maman « ça va, la fatigue, l’isolement, tu tiens le coup ? » plutôt que « comment s’appelle-t-elle, cette petite merveille ? ».
Pourtant j’ai trouvé dans le Club des mauvaises-mamans-décomplexées une écoute réelle, sans jugement,
qui m’a permis de me sentir comprise et entourée. Mais aujourd’hui, tout va mieux. Nous avons grandi, mes enfants et moi, et j’ai plus de raisons de m’émerveiller de ce qu’ils deviennent que de raisons de me plaindre de ce qu’ils me font subir. Je voudrais sortir du soupçon que je fais peser sur les mamans qui vont bien : « c’est forcément qu’elle refoule, c’est une question de temps avant qu’elle ne s’écroule ». Entrer dans l’inconnu des mamans qui sont contentes de l’être me fait un peu peur, je le reconnais, et renoncer à la carapace protectrice de l’ironie, voire du cynisme, n’est pas aisé.
Avoir traversé l’épuisement ne devrait pas rendre cynique.
C’est que le chemin n’est pas terminé. Accepter que d’autres ne se heurtent pas à ce que j’ai dû régler chez moi, croire à leur bonheur, me réjouir de ce que vivent les mères épanouies et devenir moi aussi une maman qui s’émerveille, c’est mon prochain défi.
Qu’est ce qui est inspirant, finalement ?
Une maman qui serre les dents et coule en silence ? Une maman qui reconnaît ses difficultés et qui coule en râlant contre tout ce qui l’empêche d’aller bien ? Une maman qui décide de mettre en marche le changement pour aller mieux, tout en considérant que celles qui vivent bien leur maternité sont suspectes ? Ou une maman qui rayonne, qu’elle ait ou pas traversé les eaux tumultueuses d’une estime de soi qui flanche et du manque de sommeil ? Chez les Fabs, celles qui nous inspirent sont celles qui vont au bout de l’authenticité et qui, par leur sourire, par leur écoute, par leur bienveillance, mettent à l’aise autant les mamans épanouies que celles qui souffrent. Être une « Fabrique de mamans rayon de soleil », c’est l’ambition du Village, le programme créé par Hélène Bonhomme. Si malgré ta remontada, tu ne peux toujours pas te réjouir sincèrement pour ton amie qui va avoir son premier bébé, il manque une étape à ta reconstruction, il y a encore un pas à faire, et sache que je dois le faire moi aussi.
Et toi, chère Fabuleuse, est-ce que tu réussis à ne pas projeter tes difficultés sur les autres mamans, est-ce que ta vision de la maternité est réparée, depuis que tu vas mieux ? Le chemin est long, en réalité, et je t’encourage à ne pas rester coincée dans le Club des mauvaises-mamans-décomplexées.